N° 2 – INFO DU MOIS – OCTOBRE 2017

13 participants. Suite aux premières réformes, il y a lieu de réfléchir à ce qu’est le nouveau pouvoir, dans quel contexte politique il agit et qu’elles sont les idées qu’il porte.
Avec l’élection surprise d’Emmanuel Macron, et celles des Législatives qui ont donné une Assemblée Nationale réunissant gauche et droite, société civile et experts, peut-on parler de nouvelle forme de gouvernance, de nouvelle vie politique, d’une nouvelle époque ou tout simplement d’une même routine politique sous couvert d’une autre méthode ? Que donnera à prochain terme ce nouveau style politique face aux défis que sont la Loi Travail, la Réforme de l’Etat, les finances publiques des territoires, le budget, la fiscalité, la bio éthique, la transition énergétique ? Comment seront traités les conflits inévitables ? Quelle place à la contestation ? Quels temps consacrés au débat démocratique ?

Sur toutes ces questions, il faut essayer de se construire un jugement qui relève de la raison. Pour cela, écouter le langage du Président, auteur et porte-parole du projet est essentiel.
Aucune promesse mais un langage scientifico/politique, idéologique soit un cadre d’idées qui prône un idéal, une vision de la France future. Voyons son vocabulaire, selon ses déclarations pendant la campagne et depuis son élection.
– une idéologie parlant de nouveaux concepts : «nouvelle égalité, nouveau concept de liberté, un nouveau vocabulaire : idéal, futur, progressisme, optimisme, volontarisme ». Des valeurs mais pas très bien précisées.
– «Le rôle de la politique c’est de porter une idéologie au sens noble du terme, une vision commune sur des valeurs » – «Délibérations dans le long terme, mais paradoxe car en contradiction avec l’urgence des décisions » – « Savoir arrêter une conversation infinie » – «Je suis le maître des horloges » et une volonté affichée «d’aller vite ».
– Les entreprises sont sa grande préoccupation. – «Faire de la France une nation comme un vaste atelier industriel» – «L’entreprise au cœur de nos sociétés» – «L’alternance c’est l’efficacité » ca(r seul compte le résultat de ce qu’on entreprend.

Des réformes sont entreprises sur tous les terrains mais comment identifier le projet contenu dans ces déclarations ? Performance, management, liberté d’entreprise sont à priori un projet néolibéral contemporain mais dont on retrouve la trame dans tous les processus d’industrialisation de l’Occident chrétien. L’industrie a pris naissance dans les monastères et l’entreprise et son développement professionnel viennent de ces monastères : organisation nouvelle du travail, modèle de développement social, évolution de la croyance chrétienne qui était « Croissez et multipliez et je vous donnerai des biens à profusion », le progrès allait venir par l’intermédiaire de dieu, or au XIIème siècle arrive la réforme grégorienne : savants, chercheurs, moines qui inventent des moyens techniques – moulin à vent, turbine … qui génèrent des progrès fantastiques. Les monastères devaient donc réorganiser le travail au regard des inventions : temps des moines, temps du travail, temps du repos, c’est le Code du Travail de l’époque. XVII, XVIIIème siècle, Descartes, mathématicien, inventeur des sciences, arrivée des machines. C’est une époque de développement et d’une réorganisation du temps : recherche, éducation, confrontation. XIXème siècle, essor de l’ère industrielle avec de nouvelles conquêtes dans les airs, les territoires. L’industrie devient performante, des acteurs entraînent comme à chaque époque une transformation de la maîtrise du temps et la conception du travail. Des courants politiques naissent, émanant des entreprises, des usines. L’industrie prend une immense place dans la culture, elle prétend même pouvoir se substituer à la politique et faire des industriels des acteurs de la politique.

Les monastères sont les plus anciennes multinationales du monde. Peu à peu, prise de conscience que le recours à dieu n’était pas suffisant mais que pour le progrès, il fallait faire appel aux hommes. Naissance du travail codifié, des lois, des règles : contribuer au progrès, ne pas admettre les oisifs, vivre une certaine ascèse, faire la charité en protégeant le fruit de la production..
Comme dans les monastères, chaque époque réserve une nouvelle place au travail donc aux salariés qui doivent subir une nouvelle organisation pour une meilleure efficacité. Cette évolution de la société à travers des progrès liés à l’industrialisation dégage l’émergence de clivages politiques. 1ère période, auto production, auto consommation. 2ème période, avec la création de l’argent, élargissement de la circulation des biens, des échanges, ce qui modifie les relations entre les monastères comme Cluny et Cîteaux, deux modèles différents qui s’affrontent dans leur pratique et leur idéologie. Cluny se consacre essentiellement à l’échange, au commerce de plus en plus lucratif : argent, enrichissement, provoquent des divisions internes, le pape s’en mêle et Cluny disparait. Cîteaux refuse le luxe et le commerce, est productif, progresse en performance, transforme le territoire en construisant ateliers, fabriques, forges … A la Réforme, la recherche scientifique est injectée dans les monastères, ce qui change aussi la perception de la religion : compromis, conception nouvelle du monde. Le besoin de savoir devient une composante de la culture chrétienne. La nature ne pourra se transformer que par l’action humaine. Affrontement entre les socialistes que sont les industrialistes qui croient au progrès et les mercantilistes qui sont pour le commerce extérieur, les échanges.
Dans les années 40, concept du taylorisme, travail à la chaine, rendement (c’est déjà le temps de l’efficacité) … pour arriver à aujourd’hui, l’ère de la cybernétique phénomène qui consiste à transformer la matière et la conduite des machines à partir d’un système de calcul et de guidage infaillible.

Durant toutes ces périodes, on assiste à une succession de transformation du Code du Travail. Donc aujourd’hui, on dit qu’il faut transformer les lois du travail .en partant du principe que la politique d’avant a failli (avant, il y a six mois, un an ?), on parle de management, de cybernétique, d’informatique, des dogmes qui touchent aussi bien la production matérielle qu’intellectuelle. Et pour construire ce monde moderne, on a recours à des experts, des professionnels. C’est dans la logique de l’évolution des choses. Management = efficacité. Alternance = remplacement d’une politique qui a failli.

Pourquoi ce cours d’histoire ? Pour dire qu’Emmanuel Macron plonge dans ce monder moderne à construire ; disciple de Paul Ricœur, le philosophe de la volonté, il s’en inspire pour défendre sa politique volontariste. Mais comment va-t-il répondre aux oppositions et aux réticences, aux exigences de la démocratie ? Dans le discours il fait et fera certainement des progrès et aura des résultats, mais sur le plan humain qu’en sera-t-il ? Par exemple l’efficacité = une croyance aléatoire, fondée sur des chiffres, des prévisions qu’on veut atteindre à tout prix et qui sont calculés par des algorithmes, par la cybernétique … En quoi cette efficacité comme objectif essentiel est-elle gage de justice, d’équité, de protection ?

Budget : le dogme imposé de baisse du déficit est de 3%. Emmanuel Macron affirme sa volonté d’une baisse de 2% sur le quinquennat. Encore la cybernétique dira quels sont les domaines où il faut réduire les dépenses ou payer plus d’impôts pour parvenir à ces 2%. La « startubilisation » de la société est en marche.

Démocratie : si on ne cherche pas des compromis, la démocratie sera affaiblie. Des réformes paraissent intéressantes mais il faut prendre le temps du conflit, entendre les raisons de ceux qui n’ont pas la même opinion. Un espoir c’est qu’Emmanuel Macron s’est entouré de politiques de tendance rocardienne, (Rocard, homme de la sociale démocratie et du compromis) et de syndicalistes comme la CFDT. Mais encore faut-il qu’ils aient gardé leurs convictions et qu’ils se battent pour qu’elles s’imposent.

Louis CAUL-FUTY