13 – L’EXIL, UN PASSEUR SPIRITUEL : L’ITINÉRAIRE DE KARIMA BERGER.

Karima BERGER Auteure. 20 mars 2019 – 31 participants
Si l’exil est une chose qui peut nous faire périr ou mourir, il peut aussi nous faire naître et même renaître. Après tout la vie n’est-elle pas migration ?

Karima a grandi en Algérie dans une famille musulmane traditionnelle avec trois sœurs et un petit frère chéri de leur mère. Le père entre deux mondes, nourri d’une double culture, orientale et occidentale, pousse ses filles à faire des études. A l’heure de se marier, il a imposé sa volonté à son propre père d’avoir une épouse qui sache lire et écrire (le prétexte, les ordonnances du médecin qu’elle devra comprendre pour soigner les futurs enfants !). Il a une passion pour sa langue arabe (il est un grand calligraphe) et pour le français. Homme musulman à la fois moderne et traditionnel dont l’appartenance religieuse et la double culture ne seront jamais en contradiction. A l’école, on apprend en français, Karima ne sait pas écrire l’arabe mais elle l’apprendra seule pour pouvoir lire son Coran comme elle lit Baudelaire. Suite des études à Alger et elle découvre le cosmopolitisme avec tous les réfugiés des pays en révolution. A leur contact, elle rêve de découvrir Cuba mais c’est en France qu’elle part, pour voir autre chose, pour tout connaître, tout comprendre et notamment de la vie familiale et de la culture des autres en comparaison avec la sienne. Sur ce thème, elle écrit son premier livre « L’enfant des deux mondes ».
En aparté, il est question du tableau de Courbet « L’origine du monde » qu’un riche musulman a acheté au peintre et installé dans sa maison : caché derrière un petit rideau, il le dévoilait à ses visiteurs privilégiés. Voilées, dévoilées, on voit les choses autrement.
Hégires, titre de son dernier livre. L’hégire est la datation de l’islam en 622 quand le prophète part de la Mecque avec ses compagnons pour se réfugier à Médine alors appelé Hijra. Fuir, partir, s’exiler, c’est cela l’hégire. Déplacement physique mais aussi intérieur, intellectuel, culturel. En ce sens nous sommes tous des exilés mais nous devons trouver de qui et de quoi nous sommes exilés. De notre premier jour, notre premier cri, nous sommes exilés du ventre de notre mère. L’homme s’exile pour trouver une nouvelle dignité. Dans l’exil, le risque est de prendre peur, de rester coincé dans son passé et de revenir en arrière, même en restant dans ce même lieu de l’exil, dans ce nouveau pays. Comment recoudre d’où je viens et où je suis ? Pour Karima, sans menace, sans peur, c’est un immense élan à partir qu’elle a ressenti. Avec cette sensation que si on reste bloqué dans son origine, on manque d’air.
Comment regarder les exilés d’aujourd’hui ? Karima les appelle les « gueux couronnés », gueux car ils n’ont rien, ils ne sont rien, ils sont invisibles. Ils portent une couronne car aujourd’hui, par leur seule présence, ils nous dépaysent comme la vision d’un rêve inaccompli. Un rêve d’Orient romantique comme l’ont vécu des écrivains tels qu’Arthur Rimbaud, Pierre Loti, Gérard de Nerval, ou encore Lamartine et qui a influencé durablement leur vie et leurs œuvres. Ces exilés, on les voit en masse, comme une menace, alors qu’il s’agit de destin individuel. Leur soif de vivre fait exploser les frontières.
On assiste à une régression du monde musulman, une catastrophe, un désastre le plus terrible depuis l’Hégire. L’image de l’islam est meurtrie et il faudra des décennies pour qu’il se répare. La foi est ébranlée. Et qu’en sera-t-il à l’avenir ? De tous ces exilés que deviendra leur foi et celle de leurs enfants dans un monde nouveau, une nouvelle culture ? Peut-être s’uniront-ils à des occidentaux, adopteront-ils le mode de vie occidentale, la culture occidentale. Et peut-être oublieront-ils leur foi ou en prendront-ils une autre ? L’occident des lumières a voulu régenter le monde en lui offrant sa propre culture, sa mode, sa musique, son art … et cela a créé un désir chez l’autre, en orient, un désir que l’occident rejette quand l’autre veut accomplir ce désir en s’exilant. Le pacte de vivre ensemble est détruit.
Comment l’exil peut-il devenir un accomplissement ? L’exil est-il la condition de notre accomplissement ? Mon pays, je le porte en moi. L’exil est comme un échafaudage qui me construit petit à petit, par la connaissance de l’autre, par l’altérité, par l’apprentissage et quand je n’ai plus besoin de l’échafaudage, je suis accomplie. Il faudrait donc s’exiler pour être accompli. Changer de pays, de culture, mais aussi simplement en restant sur sa terre, regarder l’autre, s’imprégner de sa culture, voir ce qui est beau, désirable et ne pas penser qu’une culture est supérieure à une autre.
Karima rend hommage à ces premiers exilés, du Maroc, de l’Algérie que la France a fait venir pour travailler dans les mines, la construction, les usines. Qui se préoccupait de leur sort, de leur vie, de leur histoire, de leur famille ? Il y a eu le regroupement familial, les femmes sont venues et les couples ont construit leur famille. La femme est alors l’unité de la famille. Accomplir les tâches quotidiennes, faire le ménage, les lits, préparer les repas, s’occuper du linge pour que les enfants soient toujours propres, c’est déjà en soit un pays. Faire la cuisine, c’est retrouver quelque chose de son pays. Ce rapport à la nourriture, aux saveurs, aux odeurs c’est la mémoire, juifs, musulmans, chrétiens se retrouvent dans cette mémoire et c’est peut-être ce qui sauve les femmes en exil.
Karima a 20 ans quand elle arrive en France, elle fait sa thèse en 3 ans et entame une psychanalyse. Elle parle arabe mais le lit mal, n’a pas de vocabulaire, elle culpabilise de laisser son pays et d’aller vivre dans le pays colonisateur. Elle cherche une psychanalyste femme, arabe, qui connaisse sa culture, sa langue mais s’aperçoit très vite que c’est une erreur. Celle qu’elle choisit ne connaît rien et c’est Karima qui lui raconte sa culture, son pays, et en disant, elle monte son échafaudage. C’est un dialogue dans l’altérité, une approche de l’autre par l’émotion plutôt que par le savoir. Laisser quelque chose vibrer en soi.
Karima a une grande admiration pour l’Émir Abdelkader, (1808-1883), grand chef religieux et militaire algérien qui mènera une lutte contre l’invasion française de l’Algérie au milieu du XIXème siècle. Il sera le héro de nombreux faits d’armes et ses efforts pour unifier le pays contre les envahisseurs extérieurs, tout en combinant autorité religieuse et politique, le désigneront comme «prince parmi les saints et saint parmi les princes». Il témoignera toute sa vie d’un respect constant aux droits de l’homme, surtout en ce qui concerne les opposants chrétiens. Il échoue à sauver son pays et passe quatre années en captivité en France, apprend à connaître les Français, du plus humble villageois au plus glorieux général. Quand il quitte la France pour Damas, il rédige sa «Lettre aux Français», adressée à une France catholique et rurale mais déjà bien engagée dans le monde moderne. L’épître qui ouvre la lettre s’intitule «Rappel à l’intelligent et Avis au négligent». C’est une exhortation à chercher partout la vérité et à combattre l’ignorance et l’injustice. A Damas, en 1860, son intervention cruciale sauvera la communauté chrétienne d’un massacre et lui amènera des honneurs et des récompenses du monde entier.
La migration c’est la modernité, c’est le mouvement. C’est une transformation, une métamorphose, aller vers l’autre, s’ouvrir à l’autre, avoir le goût de l’autre. Voir le travail d’ethnologue de Germaine Tillion en Algérie, ses engagements dans la justice et la paix, son goût de l’autre traduit dans toutes les actions de sa vie de militante. Elle créera et structurera, entre autre, les centres sociaux, organismes pour la scolarisation des familles rurales maghrébines. Son ouvrage «Il était une fois l’ethnographie» raconte ses travaux dans les Aurès de 1934 à 1940.

La soirée se poursuit avec la séance de dédicace des livres par Karima Berger. Un grand merci pour sa gentillesse et générosité.