11 – LES MANUSCRITS DE TOMBOUCTOU

Jean-Michel DJIAN Journaliste, producteur rédacteur en chef de la revue France Culture Papiers
20 février 2019 – participants
Tombouctou, cité florissante qui accueille au XVème siècle plus de 25 000 étudiants. Des milliers d’écrits où tout est noté, commenté, référé. Que cachent ces manuscrits ?
Que peuvent-ils nous apprendre ?
Les quelques lignes de CV de Jean-Michel Djian ci-dessus ne reflètent pas toute l’étendue de ses engagements et compétences. Il faut y ajouter l’écriture de biographies comme celle de Léopold Sédar Senghor, poète, défenseur de la francophonie et homme politique, ou celle d’Ahmadou Kourouma, écrivain ivoirien reconnu par la nouvelle génération des écrivains africains. Des films, et notamment « Un siècle dans leur tête » avec un portrait consacré à la Mère Gaud et que nous pourrons voir au printemps. Des entretiens pour France Culture de la série « A voix nue » de Fabrice Luchini à Eric Cantona, de Christiane Taubira à Dany Laferrière. En 2005, il initia le projet de ‘L’Université ouverte des 5 continents », 8 jours de conférences et de débats à Tombouctou. Depuis toujours il nourrit une passion pour l’Afrique et pour les relations Occident-Afrique. Mais victime d’une fatwa en 2013, il lui est impossible de se rendre au Mali et c’est un sentiment de tristesse infinie que de ne plus pouvoir travailler sur les manuscrits.
Depuis toujours, l’opinion dit que la culture africaine est orale, mythe entretenu par les griots qui disent que la parole est supérieure à l’écrit, mais sans la puissance de l’oral, il ne pourrait y avoir l’écrit, le lien est étroit entre ces modes d’expression.. La découverte de ces milliers de manuscrits va à l’encontre de tout ce que l’on nous a dit. Ils sont disséminés au nord du Mali, au Niger, il y en aurait de 900 000 à un million cachés dans des greniers, dans des coffres familiaux, dans mes madrasas.
Après le règne du Royaume de Gao (VIIème-XIIIème siècle), l’Empire Songhaï indépendant nait au XVème siècle. Tombouctou est l’épicentre du commerce de l’or et du sel et grâce à ses richesses, le l’Empire Songhaï se développe et est à son apogée (XVème-XVIème siècle). Il connaît une prospérité matérielle mais aussi intellectuelle sans précédent. Tombouctou en est le phare universitaire de tout le continent et au-delà. Le circuit de l’or et du sel est aussi celui du savoir et c’est un vrai marché privé de l’enseignement dans des domaines très variés, copiste, enlumineurs, enseignants, savants … une sorte de Sorbonne au cœur du Sahel. On venait d’Égypte, d’Andalousie, du Maroc ou de l’Empire du Ghana pour suivre des cours à l’université de Sankoré. En pleine gloire, la ville accueillait plus de 25 000 étudiants. Ces écrits racontent la fabrication de la politique, la création des institutions, des élites et de ce Pôle des Lumières à Tombouctou, un rassemblement des savoirs dans un esprit qui ressemble à celui de la Renaissance. René Caillié découvre Tombouctou en 1828, il ne voit rien des manuscrits, les militaires non plus n’ont rien vu.
Pourquoi les ethnologues ne se sont pas intéressés aux manuscrits ? Ils n’étaient pas des historiens et tous les manuscrits étaient cachés dans des greniers, dans les familles et ces familles ne les ouvraient jamais. Pourquoi étaient-ils cachés ? En 1590, al-Mansour, sultan de la dynastie saadienne au Maroc, envahit le nord du Mali pour capter les richesses et les savoirs. Tombouctou est dévasté, les familles pillées, les manuscrits visibles volés, détruits et depuis les familles ont l’obsession du pillage et même aujourd’hui, elles ne souhaitent pas transmettre. On n’en parle pas par superstition et toujours par peur des pillages. Ahmed Baba, savant et homme de lettres de tribu touareg de la branche berbère résiste à l’envahisseur saadien, il est capturé et fait prisonnier à Fez par le sultan al-Mansour. Le Centre d’étude des manuscrits du désert à Tombouctou porte son nom depuis sa création en 1970 par le gouvernement malien et l’aide de l’UNESCO. Le but est de regrouper dans ce lieu le plus de manuscrits pour les préserver et les numériser. Des familles ont ouvert des bibliothèques et encouragent les autres familles réticentes à sortir leurs trésors. Mais une difficulté est de trouver des traducteurs de ce type d’écriture arabe.

Que trouve-t-on dans ces manuscrits ? C’est un travail conceptuel, tout est normé de la vie quotidienne africaine. Droit, principes de gouvernance, institutions, justice. Débats locaux, organisation sociale, place des dignitaires, des plus riches, sciences politiques. Droits de l’Homme, accueil des migrants. Question foncière, propriété. Médecine, traitement des maladies internes et externes, libido, sexualité. Mathématique. Pharmacopée, optique, astronomie. Etude de la religion. Philosophie, poésie, sagesse. Machiavel s’inspirera de la gouvernance. Le savoir circulait, le circuit de la connaissance passant par Le Caire, Fez, Tombouctou. Deux livres très importants rédigés entre le XVIème et XVIIème siècle et traduits au début du XXème siècle retracent l’histoire du pays depuis l’arrivée de l’islam jusqu’à la moitié du XVIIème siècle. Le Tarikh el-Fettach et le Tarikh es-soudan. Ils regroupent à eux deux plus de 1400 pages. L’intérêt du Tarikh es-Soudan tient aussi à sa diversité descriptive, sur l’architecture, l’état d’esprit de la population, les faits d’armes et les lâchetés, les coutumes et les anecdotes de la vie quotidienne. Il évoque cette période tragique où l’expédition marocaine détruisit l’Empire songhaï (1591) et, en partie, la splendeur de Tombouctou. Ces écrits servent de référence pour l’étude de l’histoire de l’Afrique occidentale.

De nombreux aventuriers ont essayé de découvrir ce mystère de Tombouctou. Mais 2013, assassinat de Kadhafi, tout se précipite, le Nord du Mali envahit par des islamistes, destruction de Corans mais de très peu de manuscrits car deux mois auparavant, tout a été déménagé à Bamako. Mais la situation actuelle au Mali est pire encore par une destruction du système de l’intérieur et les manuscrits sont toujours à Bamako. Aucun universitaire de Bamako n’ose s’en occuper. Les conflits au Sahel s’étendent, les frontières sont poreuses et la gangrène de l’islam intégriste se propage comme par exemple au Burkina. Il n’y a plus de grandes figures politiques pour s’intéresser aux manuscrits.
On trouve des manuscrits dans plusieurs pays et un trafic passant par la Suisse, alimentent les collections privées.
Pourquoi une telle ignorance de l’existence de ces manuscrits et pourquoi pas de divulgation de leur savoir ? C’est une remise en question de toute notre éducation, c’est une difficulté à admettre que l’Afrique a une culture, c’est remettre en question les dogmes gréco-romains de la connaissance universelle, c’est s’opposer à toute transgression dont les griots, figures héréditaires de l’oralité, sont les garants. C’est peut-être aussi pour les Africains le déni de mémoire écrite de l’effondrement au XVIIème siècle de l’Empire Songhaï.

A la fin des années 1990, on découvre l’existence de l’un des textes fondateurs de l’histoire des hommes, la Charte du Mandé, promulguée en 1236 par l’empereur du Mali, Soundjata Keita. Les griots attestent que l’empereur n’a fait que reprendre les règles inventées au long des âges, depuis l’empire du Ghana. Cette Charte traite des questions fondamentales touchant à la sauvegarde de l’intégrité physique et morale de l’homme, aux espaces de liberté que doivent lui consentit les pouvoirs souverains, des rapports que doivent entretenir les diverses catégories qui constituent la société, des règles de coexistence entre les ethnies, les croyances, les classes d’âge, les hommes et les femmes, les hommes et leur environnement. Les manuscrits confirment le haut niveau de culture, de civilisation et d’historicité qu’ont pu atteindre les Africains de culture orale.

Ces manuscrits nous invitent à une nouvelle lecture du monde. Toutes les civilisations sont mortelles et nous devons nous interroger sur l’occident qui s’enferme entre des murs, qui construit des murs plutôt que des ponts.