04 – L’EUROPE FACE A LA CRISE DES MIGRANTS

Catherine WIHTOL DE WENDEN. Directrice de recherche au CNRS. Enseignante à Sciences Po Paris. Professeur invitée à l’Université La Sapienza et à la Libre Université Internationale des Etudes Sociales de Rome
7 novembre 2018 – 50 participants
L’Europe est confrontée à une crise migratoire sans précédent. Elle est la plus grande destination migratoire au monde et la Méditerranée est l’une des plus grandes lignes de fracture du monde. Pour comprendre au-delà des idées reçues.

L’Europe est la première destination des migrations mais ce sont les USA qui comptent le plus de diversité d’origines. 70 millions de migrants avec la Russie et l’Ukraine. La France est une terre d’immigration depuis très longtemps ne serait-ce que par la main-d’œuvre qu’elle a fait venir. Certains pays sont à la fois des régions d’immigration et d’émigration, comme l’Italie. L’Europe, ancienne terre de départ, ne s’est jamais pensée comme continent d’immigration et celle-ci apparaît illégitime à beaucoup de ceux qui refusent cette réalité.
En 1951, la Convention de Genève, ratifiée par 145 États définit le terme « réfugié » et énonce les droits des personnes déracinées ainsi que les obligations juridiques des États pour assurer leur protection. Crise pétrolière en 1973, l’Europe se ferme à l’immigration de main d’œuvre, de travail. Un pays en crise émigre de préférence et selon le contexte régional dans les pays voisins. En Syrie, avatar de la révolution arabe, ce sont 5 millions qui fuient leur pays. Liban, Jordanie, Turquie sont des pays qui n’ont pas signé la Convention de Genève, aussi de nombreux ressortissants partent. Pour ceux qui partent pour l’Europe, c’est par la Grèce et la route des Balkans. Chaque pays qui accueille doit veiller à l’intégration nationale. La réponse européenne c’est le partage du fardeau, soit une répartition selon la taille et la richesse. L’Allemagne, de sa propre volonté, a accueilli 1 million d’arrivants dont 700 000 demandeurs d’asile. La France en 2017 en a reçu 100 000. Aujourd’hui, l’Europe compte 250 000 demandeurs d’asile, nombre en forte diminution.
Les pays de l’est refusent les quotas, l’Europe ferme toutes ses frontières, le regroupement familial est restreint. Nous sommes confrontés à une crise des valeurs profondes de l’Europe et d’une crise de l’accueil. En même temps, l’Europe ouvre largement ses frontières aux étudiants Erasmus mais pour les autres, elle se ferme. Que l’on soit pour ou contre, l’Europe a besoin d’immigration. Baisse de la démographie, âge moyen de 41 ans (Maghreb 25 ans, Afrique 19 ans). L’Italie, l’Allemagne, l’Espagne ont besoin de main d’œuvre de haute et de moyenne qualification, des emplois que les Européens, même au chômage, ne prennent pas. Chantiers, hôpitaux, nettoyage, des métiers intermédiaires, difficiles, soumis aux intempéries et aux mauvaises conditions salariales. Mais le besoin est aussi dans les métiers très qualifiés.
Le 3ème pilier de l’Europe, celui qui régit notamment la politique d’asile et la politique d’immigration a été communautarisée. La question de l’immigration est traitée par un empilement de décisions progressives auxquelles les États doivent souscrire. Pour les Européens à l’intérieur de l’Europe, liberté de circuler, de travailler et de s’installer, égalité des droits. Au fur et à mesure de l’intégration des pays dans l’UE, les citoyens bougent davantage. Accords de Schengen : libre circulation à l’intérieur des 26 pays signataires mais suite à la vague de migration, renforcement des frontières et du contrôle des passeports. Les accords de Dublin : la Convention de Dublin, qui détermine les compétences en matière d’asile entre les divers pays, et se substitue aux dispositions pertinentes de la Convention d’application de l’Accord de Schengen. La Convention de Dublin fixait les critères relatifs au pays compétent pour traiter la demande (État avec lequel le requérant a le plus de liens, familiaux par exemple, ou premier État européen dans lequel il est arrivé) et empêche qu’un requérant ne dépose des demandes d’asile dans plusieurs États de l’Union européenne. Le règlement Dublin II qui remplace la Convention de Dublin vise à « déterminer rapidement l’État membre responsable pour une demande d’asile et prévoit le transfert d’un demandeur d’asile vers cet État membre. Habituellement, l’État membre responsable sera l’État par lequel le demandeur d’asile a premièrement fait son entrée dans l’UE. Actuellement, les pays du sud sont davantage en première destination.
Italie : le gouvernement d’extrême-droite durcit les conditions d’asile, mais dans toute l’Europe c’est un sentiment général de suspicion. Les habitants pensent qu’il est difficile de faire le tri pour connaître les réfugiés réels. (Migrants économiques ou réfugiés ?). Il n’y a plus ce sentiment d’acceptation qu’on avait dans les années 1970. Beaucoup de refus, le taux moyen d’acceptation en Europe est de 50%. Refus de solidarité, repli sur sa culture, sa religion, ses racines, fermeture aux autres, tout cela représente un danger et l’Europe est impuissante. Ses principes et ses valeurs sont entamés. Dans certains pays le délire sécuritaire est total, murs, barbelés, répression, refus d’accueillir les bateaux de sauvetage et des milliers de morts en Méditerranée (1700 en 2018). Contrôle des frontières en imposant des visas délivrés dans le pays d’origine, on externalise les frontières de l’Europe. On se ferme alors que la situation démographique et économique impose d’ouvrir les frontières de l’Union Européenne. Les pays ne suivent pas les directives européennes.
Chaque pays a ses étrangers et c’est difficile de faire une politique commune sur l’immigration. Chacun a sa politique d’intégration selon histoire et géographie différentes. Le Portugal reçoit des habitants de ses anciennes colonies, les Albanais vont en Italie, les Polonais en Angleterre, les Turcs en Allemagne, les Maghrébins en France, les habitants des anciens pays de l’URSS vont en Russie, les pays du sud connaissent une migration des retraités. Les réalités sont toutes très différentes. L’essentiel de la migration en Europe vient de l’Europe et des pays méditerranéens, ainsi que de l’Afrique. L’Afrique a une grande tradition d’émigration, pour le travail, tout d’abord intra-africaine et vers la France pour les francophones. Les pays du Golfe sont de gros employeurs de l’Afrique. En Europe, vive une grande diaspora maghrébine, 90% des Algériens en Europe sont en France, 3 millions 500 000 Marocains vivent en Europe, Cette diaspora représente des réseaux qui traversent les frontières, réseaux économiques, culturelles, religieux. En 2016, accord de l’UE avec la Turquie pour que celle-ci garde sur son territoire les migrants, les empêchant de partir en Grèce et en Europe, La Turquie est un grand pays d’accueil et de transit mais ne bénéficie pas de la Convention de Genève. Transfert très important de fonds des migrants vers les pays d’origine. On pourrait penser que l’aide au développement freinerait les migrations mais c’est le contraire : plus on est informé, plus on est à l’aise, plus on a envie de partir pour porter ses talents ailleurs. En termes d’intégration on compare, on mesure ce qui est fait dans chaque pays mais l’harmonisation est impossible compte tenu des différences. L’immigration est un sujet porteur pour les partis nationalistes qui jouent sur les peurs, avec des mensonges sur la réalité des migrations : plus de sécurité, plus de frontières. La politique migratoire fabrique des sans-papiers, du travail non déclaré car les déboutés expulsés retournent rarement dans leur pays.
L’Europe est terre d’immigration malgré elle et continuera à recevoir des migrants, Elle se construit avec l’immigration malgré ses peurs, ses fractures.

Questions : économiquement l’immigration est favorable, de nombreux pays manquent de travailleurs. Populations âgées, migrants jeunes. Mal les accueillir ne les empêche pas de venir. Certains pays comme le Canada, l’Australie ont une forte volonté d’intégration, scolarisation, formation, citoyenneté, On a cru que l’immigration en Europe serait provisoire et nous sommes en retard sur l’intégration, l’accès aux droits est trop long.

« Dans un monde où tout circule librement, le droit à la mobilité des êtres humains ne va pas de soi. Il y a urgence à définir un droit international des migrants. C’est à ce prix que les mouvements migratoires ne seront plus considérés comme une menace par les uns et une utopie par les autres, mais enfin comme la clé d’un développement plus équitable. »
Catherine WIHTOL DE WENDEN – Le droit d’émigrer CNRS Éditions

Biographie : Atlas des migrations. Un équilibre mondial à inventer, édition de mai 2018 Édition Autrement. La question migratoire au XXIème siècle. Sciences Po Les Presses. Faut-il ouvrir les frontières ? Format poche Sciences Po Les Presses. L’immigration. Découvrir l’histoire, les évolutions et les tendances des phénomènes migratoires. Éditeur Eyrolles. Le droit d’émigrer. CNRS Editions
Migrations, une nouvelle donne. Maison des sciences de l’homme. Atlas des Droits de l’Homme- 2019 Édition Autrement