01 – UNE HISTOIRE POLITIQUE ET SOCIALE DES RESERVES INDIENNES AUX USA

Jean-Michel WIZENNE spécialiste de la culture des Sioux Lakota 26 septembre 2018 – 26 participants
Histoire liée à des décrets, des dates, des événements mais aussi à la vie passée et présente des membres de la famille Thin Elk de la tribu des Sicangu Lakota, sa seconde famille.
Il y a 15 ans, Jean-Michel Wizenne fait un voyage et un long séjour auprès des Indiens de la tribu des Sicangu Lakota pour être finalement adopté par la famille Thin Elk, Cette immersion dans leur culture lui a donné le désir de connaître mieux leur histoire, leur statut et les conséquences sur leur vie des lois érigées au fil du temps, soit durant deux siècles. Qu’a t-il retiré de cette étude ?
1 – l’Indien n’existe pas, c’est une construction. Lors de la rencontre entre les Européens et les indigènes, les nouveaux venus considèrent les indigènes selon leurs propres critères alors qu’il y a d’énormes différences entre Sioux, Lakotas ou Appaches.
2 – Leur spiritualité, proche de la nature, est la même que celle qu’avaient nos ancêtres, les druides, la terre, le collectivisme. Apprendre à trouver du bon sens, de la cohérence.
3 – Le chef amérindien doit avoir du bon sens, on le renvoie s’il n’en est pas capable, Leur économie est aussi du bon sens.
Pour comprendre leur vision du monde, il faut leur demander comment ils nous voient, nous, et leurs réponses parlent d’eux.
Histoire.
Propriété : 1455, par sa bulle le pape Nicolas V légalise la colonisation de l’Afrique et donne à Alphonse V, roi du Portugal, le droit de pratiquer l’esclavage Alphonse V ordonne à Henri le Navigateur de s’emparer, de conquérir, d’asservir terres et populations et d’imposer le christianisme lors de ses expéditions. 1493, le pape Alexandre VI signe la bulle Inter cætera qui partage le Nouveau Monde entre l’Espagne et le Portugal. 1492, Christophe Colomb dit la même chose mais avec une restriction sur les territoires qui ont déjà un prince chrétien. 1534, Jacques Cartier proclame au Canada, terre des Amérindiens, la Nouvelle France. 1775, en Amérique du Nord, Thomas Johnson, juriste, acquiert des terres des Indiens. 1776, les Etats-Unis d’Amérique sont fondés à partir des colonies britanniques sur la côte atlantique de l’Amérique du Nord, suite à la révolte des colons contre les pratiques de la Couronne britannique. 1823, affaire Johnson contre McIntosh : décision par le président de la Cour Suprême des Etats-Unis, du principe de la souveraineté des Etats-Unis sur son territoire au nom du « droit de découverte » des nations européennes, supérieur au « droit d’occupation » des autochtones. Johnson qui a acheté sa propriété aux tribus Piankeshaw est débouté au profit de McIntosh qui avait obtenu ultérieurement une concession sur ce même terrain. Le juge se soumettra aux bulles. Les nations indépendantes parfaites sont celles gérées par un prince chrétien, les autres nations indépendantes sont non parfaites. Les Indiens ne peuvent obtenir de titres de propriété,
1830. Sur les côtes, des tribus sont anéanties. Au centre, vivent des tribus encore libres. Au sud-ouest vivent les cinq tribus « civilisées » qui vivent comme les occidentaux, en pratiquant par exemple l’agriculture, l’esclavage … Mais le 28 mai 1830, décret de déportation pour ces cinq tribus qui refusent l’extraction des minerais sur leurs terres. 50% des Cherokee meurent dans l’exode. 1845. Récit médiatique d’un conflit entre les USA et l’Angleterre : c’est le destin des Américains de régner sur tout le continent car c’est la providence qui leur donne ce droit. 1851, décret d’appropriation : les Indiens doivent résider sur un territoire donné, ils reçoivent des outils, des denrées, une religion. Création des réserves. Au total, ce sont 400 traités qui seront signés, 30% sont des traités de paix, 70% des traités d’appropriation des terres. Ces accords confèrent à de nombreuses tribus des territoires de chasse mais elles sont traitées de façon trop inégale et cela les pousse à se faire la guerre. 1868, un nouveau traité pour une nouvelle répartition des terres mais cela ne marche pas. 1874, c’est le début de la ruée vers l’or, des milliers de chercheurs d’or arrivent et s’installent sur les terres des Indiens, sur les terres des tribus des plaines. 20 septembre 1875, une délégation indienne vient parlementer mais pas de négociation. Le 30 janvier 1876, les Indiens doivent rejoindre les réserves. En février 1876, c’est le début des batailles menées par le général Custer.
1879, création de pensionnats pour enfants, un projet fédéral pour redresser les enfants et tuer l’Indien en eux pour sauver l’homme. Les Jésuites mènent ce travail d’acculturation. Les garçons seront menuisiers, les filles domestiques. Quand ils en sortent, ce seront des générations à la dérive, sans qualification, qui ne parlent même plus leur langue et qui ont perdu tous leurs repères culturels.
1881 : Décret de crime majeur. Quand un crime est commis entre Indiens, la justice tribale se réunit. Pas de bannissement, mais une forte réparation, Mais les blancs ne sont pas d’accord, ils reprendront un procès, le coupable est inculpé de meurtre et condamné à être pendu mais le juge le laisse partir pour régler ses affaires, pour être pendu un an après. Mais appel devant la Cour Suprême et une faille est découverte : rien de noter dans le cas du meurtre d’un Indien par un Indien donc le coupable ne peut être jugé. Il en découle un décret : négation de leur capacité à juger, les Indiens sont sous tutelle.
1887, décret de parcellement, les terres collectives sont divisées en parcelles. On passe de la non-propriété à la propriété, au patriarcat et à l’individualisme. Mais les terres ne sont pas fertiles et les parcelles seront encore morcelées au fil des générations. Le reste des terres non distribué est mis en vente.
1890-1930. La théocratie s’installe, les églises américaines se ruent sur les réserves pour convertir les Indiens et toucher les subventions. Dans les années 30, les réserves sont très pauvres, un rapport de 1928 qui porte sur 92 réserves donne des résultats catastrophiques en matière d’économie, de santé, d’éducation. Arrêt des parcelles. 1930, crise terrible, la Grande Dépression aux Etats-Unis. 1934, Roosevelt lance le New Deal (Nouvelle donne), politique interventionniste pour soutenir les plus pauvres de la société. Réorganisation des réserves qui se relèvent, subventions pour leur souveraineté, pour la culture. Mais qui est éligible aux subventions ? On mesure le degré de sang indien par la lignée, c’est la loi de la seule goutte, la noirceur invisible. Mais les mathématiques ne font pas bon ménage avec la nature humaine et certains descendants qui n’ont pourtant rien de blanc ne sont pas considérés comme indiens car pas assez de % hérités des tribus.
Fin de la 2ème Guerre mondiale. On cherche à diminuer les subventions pour émanciper les tribus, une étude travaille sur la capacité des tribus à être émancipées, de suite ou dans le temps. En 1950, nouvelle étude massive que les organisateurs veulent infaillibles et en 1953, une résolution ordonne l’émancipation de toutes les réserves. La justice passe au niveau fédéral. De 1956 à la fin des années 1960, relogement dans la grande ville à côté de la réserve mais dans des quartiers miséreux destinés à la démolition. Des ghettos et l’identité tribale est éradiquée. 1968, les droits civiques : sur le papier, l’Indien est devenu un citoyen américain mais comme il ne paye pas d’impôts, il n’est pas tout à fait un citoyen. 1978, décret de liberté de culte.
Toutes les réserves n’ont pas été touchées de la même manière compte tenu de leurs différences à l’origine.
Le constat est terrible : 95% de chômage, suicides, espérance de vie de 45 ans, mortalité infantile aussi importante qu’en Haïti, peines de prison très lourdes. Industrie des casinos sur les territoires et certaines tribus en profitent mais addiction aux jeux.
A voir : Cœur de Tonnerre, film de 1992
A lire : Une histoire populaire des Etats-Unis de Howard Zinn. 1980