13 – QUE NOUS APPRENNENT NOS ERREURS ?

Emmanuel PROCYK Neurobiologiste. Directeur de recherche au CNRS. 18 avril 2018
Pourquoi avons-nous peur de nos erreurs ? N’auraient-elles pas de multiples vertus ?
Et si elles nous montraient le chemin qui mène à la réalisation de notre potentiel ? Comment faire évoluer notre regard sur l’erreur ?

Un point de vue naturaliste. Définitions : erreur, maladresse, se tromper, être dans l’erreur. Echec, un insuccès, ne pas atteindre un objectif. Nous sommes des êtres vivants, biologiques, perfectibles avec notre liberté d’agir, de créer, de conquérir l’environnement de façon volontaire, une exploration avec des échecs mais qui permet de s’adapter à l’environnement. Notre cerveau est flexible, capable de s’améliorer. Il est conçu de milliards de neurones très denses dans la matière grise qui permettent de transmettre, de communiquer, de traiter des informations complexes. Plusieurs zones dans notre cerveau qui traitent des informations différentes mais qui communiquent entre elles pour créer un comportement cohérent et une image de l’environnement. Nous agissons, prenons des décisions et face à des événements inattendus, grâce à notre cortex frontal, nous détectons les erreurs. Dans le cas d’altérations, de lésions, on mesure avec le test de Scroop (Jeux de couleurs, les mots définissant une couleur sont écrits dans une autre couleur) l’activité du cerveau et la détection de l’erreur. Cette évaluation se fait en continu, si l’attention est soutenue, il y a moins d’erreurs. Feedback : mesures qui informent en retour sur une décision que le sujet prend, envoient un message d’erreur, un signal très rapide d’une fraction de seconde qui engage à une adaptation.
Le principe de l’apprentissage : le cerveau fait des prédictions et utilise les écarts à ces prédictions (erreur de prédiction) pour apprendre. Règles d’apprentissage basées sur les prédictions/erreurs, échecs/réussites. Pour maintenir le cerveau réactif, explorer de nouveaux mondes, faire preuve de curiosité ce qui lui apporte un gain d’informations, et peu importe que les conséquences immédiates soient positives ou négatives. Pragmatisme : le cerveau est super équipé pour traiter les erreurs mais nous évoluons dans un contexte qui influence les comportements. Effet Pratfall : recrutement de personnes de très hauts niveaux qui présentent une maladresse. Quand l’erreur rend irrésistible ! C’est le psychologue Elliot Aronson qui, en 1966, a décrit l’effet Pratfall, en mesurant l’attractivité de personnes compétentes et moins compétentes dès lors qu’elles commettaient une erreur. Résultat : si vous êtes réputé comme quelqu’un de compétent et que vous commettez une erreur, votre capital séduction s’accroit ! Il vaut mieux tempérer un parcours exemplaire par quelques fausses notes afin de paraître plus humain. Et de même on préfère concevoir des robots maladroits plutôt que des machines parfaites.
D’où viennent nos erreurs, nos échecs ? Les êtres humains ne sont pas des êtres rationnels. Par exemple dans le domaine de l’économie, des erreurs peuvent être induites par le comportement. Il s’agit de la théorie de l’économie comportementale et de la finance comportementale, qui expliquent des décisions, non rationnelles, biaisées par le contexte, les émotions, l’environnement, la présence d’autrui. Daniel Kahneman, psychologue et économiste américano-israélien a basé ses travaux sur la théorie des perspectives, base de la finance comportementale. La théorie des perspectives est une théorie économique qui remet en cause la théorie de l’utilité espérée. A partir d’expériences de laboratoire, elle décrit la manière dont les individus évaluent de façon asymétrique leurs perspectives de perte et de gain : perte de 10€ plus grave que gain de 10€ – la douleur de perdre 1 000€ ne pourrait être compensée que par le plaisir de gagner 2 000€. Contrairement à la théorie de l’utilité espérée qui donne un modèle d’optimisation mathématique, la théorie des perspectives se veut descriptive du comportement réel des gens.
Les biais cognitifs. Le biais de confirmation : c’est un effet dans le traitement de l’information, distinct de l’effet comportemental de confirmation par lequel les gens se comportent de manière à réaliser leurs attentes. Le biais d’attribution : qui se réfère aux erreurs systématique commises lorsque les personnes évaluent ou tentent de trouver des raisons pour leurs propres comportements et ceux des autres. Le biais de complaisance soit la tendance à expliquer ses réussites par des facteurs internes (ses efforts, son intelligence), mais ses échecs par des facteurs externes (son manque de chance, la situation difficile). Le biais acteur/observateur : la tendance générale à recourir à des explications internes pour expliquer les comportements observés chez autrui et à recourir à des explications externes pour expliquer son propre comportement.
« Rien n’a de sens en biologie, si ce n’est à la lumière de l’évolution »
Theodosius Dobzhansky (1900 – 1975)
Les primates ne sont pas plus rationnels que les humains. Ils vivent des comportements sociaux, émotionnels tels que frustration, aversion de l’iniquité. L’aversion de l’iniquité a au moins 35 millions d’années !

« Errare humanum est, sed perseverare diabolicum est »
« L’erreur est humaine (naturelle, l’entêtement [dans son erreur] est diabolique (naturel) ».
Dans la vie, nous répétons les mauvais choix, mais ces erreurs nous plaisent car elles sont les nôtres. C’est l’effet Concorde.
Pour éviter ou retarder les pertes cognitives : sports cérébraux, sports physiques, manger sainement et varié pour une interaction corops-cerveau.

Livres : Sommes-nous trop bêtes pour comprendre l’intelligence des animaux. Frans de Waal.
La politique du chimpanzé. Frans de Wall
Les vertus de l’échec. Charles Pépin.