08 – TERRORISME, FACE CACHEE DE LA MONDIALISATION.

Richard LABEVIERE. Journaliste et écrivain 24 janvier 2018
Une enquête sur les origines du terrorisme et le rôle joué par la mondialisation tant sur le plan politique qu’économique.
Richard Labévière travaille depuis 30 ans sur la question du terrorisme, il a commencé à enquêter sur ce phénomène après l’assassinat d’un ami d’enfance. Le sujet est déjà vu et entendu mais c’est un sujet politique qui donne lieu à des contresens. Il s’agit ici de comprendre de quoi est faite la matrice qui engendre la terreur, de transformer l’irrationalité de l’émotion en entendement, de se donner les moyens de savoir.
Le terrorisme est une histoire complexe à la définition impossible. On pourrait dire que c’est le plus vieux métier du monde et qu’il a commencé avec le meurtre d’Abel par son frère Caïn. Au fil des siècles, dans toutes les cultures on a pratiqué des mises à mort : 1er siècle, juifs (Zélotes ou galiléens). 11 et 12ème siècles, attentas-suicides par des sectes en Iran et en Syrie (haschischin). 13 et 14ème siècles, assassinat de voyageurs étrangers par les adorateurs de Kali en Inde. 19ème siècle, au Congo la confrérie animiste des Aniota, hommes-léopard, tuent en simulant les morsures d’un léopard. Non, le terrorisme n’a pas commencé avec la Révolution et Robespierre.
Nous avons beaucoup de mal à définir ce qu’est le terrorisme. Deux exemples lors de la 2ème guerre mondiale. En février 1944, l’Affiche Rouge fut placardée sur les murs de la région parisienne à 150 000 exemplaires, avec 10 médaillons, portraits de résistants internationalistes avec le titre « Des libérateurs ? » et en bas de l’affiche « La libération par l’armée du crime ». Associés à la couleur du sang, ces dix résistants étrangers sont identifiés comme de dangereux terroristes. Aux Glières, les résistants étaient des héros pour ceux qui soutenaient De Gaulle, des terroristes pour les autres. Et les Palestiniens, héros, résistants ou terroristes ? Même les Nations Unies ne donnent pas de définition. C’est un flux, une méthode, un mode opératoire pour faire peur, pour créer un rapport de forces. On ne fait pas la guerre au terrorisme, on ne fait pas la guerre à une méthode. Voir George Bush et la guerre en Irak après les attentats du 11 septembre 2001. Les réponses militaires ne marchent pas.
Terrorisme contemporain. 1 – Irlande, Corse, Pays Basque. 2 – Extrême-gauche avec les Brigades rouges en Allemagne, la France étant plutôt épargnée. 3 – Palestine, le Fatah et Yasser Arafat, détournement d’avions mais les Israéliens ont utilisé le terrorisme avant 1948 pour faire fuir la population. Beaucoup d’efforts seront faits pour abandonner le terrorisme mais après la Guerre du Golf de février 1991, des groupes radicaux sunnites provoquent des attentats dans tout le Moyen-Orient. De 1991 à 2001 c’est la période al-Qaïda. En Afghanistan, de 1980 à 1989 les services secrets américains, pour faire barrage à l’expansion des Soviétiques, vont recruter, avec l’aide du Pakistan, 30 000 à 35 000 « combattants de la liberté ». Des mercenaires afghans et pakistanais qui organisent les bases d’une nouvelle vague du terrorisme contemporain, identifié par un homme, Oussama Ben Laden. Les USA ont fabriqué Ben Laden et en font l’ennemi N° 1, une figure historique toute puissante alors qu’il n’était qu’un « sociopathe ordinaire ». Mars 2002, Opération Anaconda de la Coalition contre une centaine de Talibans : Les Américains ont perdu 80 hommes (8 morts et 72 blessés) et l’armée afghane a subi des pertes certaines. La mauvaise coordination a été très néfaste à la Coalition. Après 2001, al-Qaïda se délocalise, en Asie, en Afrique.
Printemps 2003 : guerre des USA contre l’Irak. La France s’y oppose. Eclatement de l’Irak et c’est à ce moment de l’histoire que les conditions vont concorder pour créer Dae’ch. 1- Les conséquences de la 2ème guerre du Golf anglo-américaine du printemps 2003. 2 – Les guerres civiles d’Irak qui débutent à l’été 2003 et de Syrie à l’été 2011. 3 – Les crises économiques, sociales et politiques qui affectent les régions dans lesquelles l’organisation prend pied, se développe et agit. La région présente alors une nouvelle cartographie selon Dae’ch. 2014, proclamation du Califat. La famille Saoud d’Arabie Saoudite commence à avoir peur et demande l’aide des USA pour une grande coalition qui récupérera les territoires annexés par Dae’ch. Quelles sont les ressources de Dae’ch ? Pillage de l’or de la banque centrale irakienne, annexion des puits de pétrole, trafic de coton, trafic des antiquités volées. Et dans ses rangs, 30 000 combattants étrangers qui vont rentrer dans leur pays respectif.
Et encore le Sinaï entre Israël et l’Egypte et qui n’est plus contrôlé par l’Egypte, avec ses prisons terribles pour les réfugiés, érythréens et éthiopiens. La Lybie partagée en 3 ou 4 régions tribales et qui là aussi torture et met en esclavage des milliers de réfugiés. Au Nigéria, en 2002, se forme un nouveau groupe insurrectionnelle et terroriste, Boko Haram, secte d’idéologie salafiste, dijhadiste, dont le but est d’instaurer un califat et d’appliquer la charia.
En France, les terroristes qui rallieront Dae’ch sont issus de la 2ème et 3ème génération d’immigrés ou se sont convertis à l’islam. Ils ont souvent un parcours de délinquance et sont sans connaissances réelles de l’islam. Ils viennent des quartiers sensibles et se sentent abandonnés et discriminés. Abandon et discrimination sont des bombes à retardement. Ils se sont radicalisés en prison dans laquelle on mélange petits délinquants et vrais radicalisés extrémistes. L’école a de moins en moins un rôle social, un rôle d’intégration.
Le terrorisme est lié à nos propres crises, à nos propres sociétés. Entrecroisement qui prolifère dans un contexte de mondialisation aggravée. Internet : on sait tout mais on ne vérifie plus rien, on ne cherche pas qui, quand, où, comment, pourquoi ? Casse des services publics au profit du privé. Le terrorisme crée beaucoup d’emplois par le biais de sociétés privées. Le terrorisme se mélange à notre vie quotidienne, presque comme un flux nécessaire à la mondialisation. On ne le traite plus dans une approche pathologique mais comme un fait normal, comme une activité économique normale. Privatisation des compétences de l’armée ; la sécurité et tous ces nouveaux mercenaires constituent désormais un secteur économique à part entière. Multiplication des dispositifs de sécurité de plus en plus sophistiqués au coût de plus en plus élevé (Voir aux USA et en Israël). Le terrorisme et la marchandisation de la violence sont devenus une économie politique, c’est-à-dire « un mode de production propre tenant compte de l’offre et de la demande de biens et services et de leurs relations avec les lois et coutumes, le gouvernement, la distribution des richesses et la richesse des nations incluant le budget ». Mondialisation = moins de régulation, plus de pauvres, casse des états-nations, destruction des sociétés = facteur de violence.
Les terroristes sont des criminels et non pas des soldats, ils doivent être traités comme tels, c’est une affaire de justice. Aujourd’hui, autre forme de terrorisme, la décision de D. Trump de déménager l’ambassade des USA à Jérusalem, qu’il décrète capitale d’Israël, a mis fin au processus de paix.

Pour aller plus loin : Face à l’hyperpuissance ; textes et discours 1995-2003 d’Huber Védrine. A la tête du Quai d’Orsay de 1997 à 2002, il est acteur, témoin, analyste des bouleversements internationaux. Il a toujours pensé que la réalisation d’une vraie « communauté internationale » se heurtait encore aux écarts entre riches et pauvres, aux désaccords Islam-Occident aux multiples conflits non résolus, à l’unilatéralisme des puissances, à l’inadaptation des institutions internationales à leur mission.

Dae’ch ou Dae’sh = Dawlat islamiya fi’Iraq wa Sham = Etat islamique en Irak et au Levant