N° 09 – CHARLOTTE DELBO, UNE FEMME ECRIVAIN REVENUE D’AUSCHWITZ

GHISLAINE DUNANT Ecrivain 22 mars 2017 – 12 participants. Chez Cultura.
L’auteur de « Charlotte DELBO, La vie retrouvée », prix Femina de l’essai 2016, parle de la vie et de l’œuvre de cette femme exceptionnelle

Ghislaine DUNANT a découvert, en lisant Charlotte DELBO, une œuvre singulière pour parler de la déportation. Une œuvre qui provoque un choc, comme une catastrophe, un trou dans sa propre humanité. Une écriture visuelle, très moderne qui rend humain alors que nous sommes en face d’une inhumanité. Une œuvre littéraire plus qu’un témoignage qui nous amène à la conscience. C’est ainsi que l’auteur a eu envie de faire un récit de la vie de Charlotte DELBO.

Elle est née en 1913, de parents italiens dont elle est fière. Elle aime la langue française adoptée. Son premier métier, sténodactylo. Eprise de connaissances, de justice, elle prend des cours du soir et elle adhère aux Jeunesses communistes en 1932. Elle vit une idylle avec un militant communiste, Georges Dudach rencontré à l’Université Ouvrière et ils se marient en 1936. En 1937, elle écrit pour le journal communiste Les Cahiers de le Jeunesse grâce à sa formation de secrétaire, sténodactylo bilingue anglais. Elle réalise une interview de Louis Jouvet et devient sa secréta durant 4 années. C’est une expérience très importante pour devenir écrivain, elle travaille sur la langue, les décors et ressent ainsi le sentiment d’une scène, d’un tableau ce qui l’aidera dans son œuvre à écrire des scènes vécues comme des tableaux avec des mots précis et poétiques. Elle lit beaucoup.
En 1940, elle a 24 ans et son premier acte de résistance c’est de rouvrir l’ théâtre de l’Athénée pour entendre la langue française. La troupe part avec Louis Jouvet, en mai 1941, en Amérique du Sud pour une tournée de plusieurs mois mais suite à des sabotages et à la mort d’otages, dont un de ses amis, elle rentre en France en novembre 1941 et décide d’entrer dans la Résistance. Avec son mari, elle fait partie du groupe Politzer chargé de la publication des « Lettres Françaises ». Elle est chargée de l’écoute de Radio Londres et Radio Moscou et travaille pour la presse clandestine.
Le 2 mars 1942, Charlotte Delbo est arrêtée ainsi que son mari et d’autres intellectuels clandestins du Parti Communiste comme Marie-Claude Vaillant-Couturier. Les hommes sont torturés et Georges Dudach est fusillé au fort du Mont-Valérien le 23 mai 1942. D’abord emprisonnée à la prison de la Santé, Charlotte Delbo sera incarcérée pendant un an au fort de Romainville où elle rencontre les femmes qui seront ses compagnes à Auschwitz. Elle fait partie du seul convoi de déportées politiques françaises, convoi de 230 femmes, qui part de Compiègne le 24 janvier 1943. Le train arrive le 27 janvier à Auschwitz-Birkenau. Les femmes entrent au camp en chantant la Marseillaise. Elles se marquées du triangle rouge qui est le signe des prisonniers politiques. Au camp d’Auschwitz, les conditions sont très dures, elle est affectée aux travaux dans les champs, les chantiers. Elle note les jours, les dates pour garder quelque chose de ses compagnes, des femmes résistantes qui se sont engagées, qui on aidé, diffusé des tracts. Elles ne parlent pas de leur passé mais plutôt de l’avenir. Malgré les conditions inhumaines, les femmes s’organisent, développent une forte solidarité : elles sont en majorité des résistantes qui pour certaines ont combattu, et ont été confrontées au risque de mourir pour leurs idées. Charlotte Delbo résiste à sa façon, en se remémorant des poèmes, des textes de théâtre. Elle dira que c’est ce travail de mémoire qui l’a sauvée. Elle se promet d’écrire, elle a déjà le titre : Aucun de nous ne reviendra. Son but, nous donner à entendre la catastrophe. En janvier 1944 elle est transférée à Ravensbrück avec sept de ses compagnes.
Libérée par la Croix-Rouge elle est rapatriée en France en juin 1945. Fin de la déportation, débâche nazie, colis de la Croix-Rouge mais le café soluble a un goût amer. Dernière nuit sans sommeil à Ravensbrück, angoisse, souffrance, peur de mourir au seuil de la liberté. Excès de café pour son corps affaibli. Elle reprend son travail avec Louis Jouvet mais souffre de problèmes de santé (cardiaque) et de dépression. En 1946, elle est hospitalisés en Suisse et commence à rédiger Aucun de nous ne reviendra, d’une traite et sans plan. Elle garde le manuscrit constamment avec elle : elle veut faire œuvre littéraire à la mesure de ce qu’elle a vu, a vécu, mais elle doute de ses capacités. Elle fait lire le premier chapitre à Jouvet qui lui dit de le réécrire. En avril 1947, elle quitte Louis Jouvet, elle travaille ensuite pour l’ONU à Genève. Elle croit à son œuvre et prend une autorité par rapport à Jouvet. En 1959, elle part pour une mission de l’ONU en URSS et va se rendre compte de l’endoctrinement et du sacrifice inutile de son mari.
Mémoire profonde, mémoire quotidienne, cauchemar. Elle qui est dans la vie, l’autre, celle d’Auschwitz, qui est à côté. A l’ONU, elle est traductrice, travaille sur des missions, voyage beaucoup, Palestine, Grèce, Turquie. En Grèce elle va être témoin d’une scène qui la renvoie dans son passé : elle croise une colonne d’hommes vaincus, soldats en haillons, déportés. Ne pas détourner le regard, elle, elle sait, elle veut se faire reconnaître mais eux, ont-ils reconnu l’ancienne prisonnière ? Impuissance, désespoir, honte de ne pouvoir rien faire, peut-être comme les passants qui détournaient le regard lors de son déportation.
Charlotte Delbo revient en France en 1960. Guerre d’Algérie, torture, pour elle c’est comme du temps de la Gestapo. Elle s’oppose à cette guerre, dénonce la torture, soutient les insoumis et porteurs de valises du réseau Jeanson. Elle publie une série de correspondances sur ce thème. Dans les années 60-70, le public ne veut pas entendre parler de la déportation aussi, vingt ans après l’avoir écrit, son récit Aucun de nous ne reviendra est publié en Suisse en 1965 par les Editions Gonthier. C’est en 1971, qu’il sera publié en France par les Editions de Minuit, ainsi que les deux autres livres, Le convoi du 24 janvier et Une connaissance inutiles. Trois livres sur la mémoire et les jours. Pas de succès commercial mais dix ans après sa mort survenue en 1985, une forme de réhabilitation avec un évènement à France Culture autour de ses textes, la réédition de ses livres. En 2013, centenaire de sa naissance, textes joués au théâtre par des comédiennes. Tout cela la sort de l’oubli.

Une femme libre, une militante de la liberté d’expression, elle s’opposera au négationnisme de Robert Faurisson mais aussi à Noam Chomsky qui lui défend Faurisson au nom de la liberté d’expression. Elle vivra intensément, souhaitant profiter « du moindre moment » du reste de sa vie, après avoir frôlé la mort. A l’heure de sa mort, ses derniers mots adressés à sa meilleure amie sont « Tu leur diras, toi, que j’ai eu une belle vie ».
Merci à Ghislaine Dunant qui a su, par sa voix, par ses mots nous faire découvrir une femme exceptionnelle.
Bibliographie de Ghislaine Dunant : Un effondrement – Cènes – La lettre oubliée – L’impudeur

O vous qui savez Saviez-vous que la faim fait briller les yeux que la soif les ternit
O vous qui savez Saviez-vous qu’on peut voir sa mère morte et rester sans larmes
O vous qui savez Saviez-vous que le matin on veut mourir que le soir on a peur
O vous qui savez Saviez-vous qu’un jour est plus qu’une année une minute plus qu’une vie
O vous qui savez Saviez-vous que les jambes sont plus vulnérables que les yeux les nerfs plus durs que les os le cœur plus solide que l’acier
Saviez-vous que les pierres du chemin ne pleurent pas qu’il n’y a qu’un mot pour l’épouvante qu’un mot pour l’angoisse
Saviez-vous que la souffrance n’a pas de limite l’horreur pas de frontière
Le saviez-vous Vous qui savez