N° 04 – VIOLENCE ET SENTIMENT D’INSÉCURITÉ – CYCLE « VIOLENCE ET DÉLINQUANCE »

CYCLE « VIOLENCE ET DÉLINQUANCE » : VIOLENCE ET SENTIMENT D’INSECURITE – Marie-Jo EGGER et Marc GINDRE – Professeurs d’économie et de sciences sociales – 7 octobre 2015 – 37 participants.
Divorce entre une société pacifiée et un sentiment dominant selon lequel la violence entre les individus est omniprésente et la délinquance en hausse constante.
Pourquoi ce paradoxe ?
Résumé succinct de la séance n° 1 : une réalité, diminution des actes de violence contre les personnes mais grand sentiment d’insécurité, courbe en hausse et premier problème en France. Pourquoi un tel écart ?

Abaissement du seuil de tolérance.
Montée de l’individualisme : l’individu est libre de ses choix et il croit au mythe de l’égalité des chances – Je dois et je peux réussir ma vie – C’est une progression sur plusieurs siècles qui entraîne une demande de répression des comportements menaçant la vie. L’état obtempère, la violence contre les personnes diminue, le recours à la violence devient moins légitime, et l’hyper sensibilité aux faits de violence contre les personnes et les biens augmente. Dans une société libre, égalitaire et plus sûre, violences et inégalités deviennent intolérables
Illusion statistique.
Statistiques sous l’influence de la judiciarisation de nombreux actes. Judiciarisation : phénomène par lequel une société a tendance à recourir de plus en plus aux voies judiciaires (police, tribunaux) pour régler des problèmes qui pourraient l’être autrement (conflits, criminalité, etc.). Urbanisation des zones rurales. Le lieu de vie, la commune sont ressentis comme un prestataire de services. Pas de vie communautaire, disparition des lieux de proximité. L’anonymat est la règle, plus de dialogue, changement de la sociabilité de voisinage. Tout cela crée de nouveaux conflits de voisinage, on ne connaît pas ses voisins, on est seul pour régler un conflit et au lieu de chercher le dialogue, on fait appel à la police, la justice, au droit. Ces nouveaux actes augmentent les statistiques. De nombreux conflits de voisinage, familiaux, à l’école, passent dans les statistiques. Une enquête montre qu’il y a peu de changement dans les comportements des délinquants mais c’est la définition même de la délinquance qui change. A l’école, le dialogue, la punition appropriée par le professeur, le proviseur, sont remplacés par une plainte, un appel à la police, ce qui fait paraître les actes plus graves qu’ils ne l’étaient avant d’autant plus qu’ils peuvent se retrouver dans les médias. Ce n’est pas la réalité qui a changé mais l’enregistrement de cette réalité.
Un enjeu politique.
A – tendance de fond : grâce aux soins, aux médicaments, à la recherche, les individus ne souffrent plus, ont de moins en moins l’expérience de la souffrance physique. De ce fait le seuil de tolérance à la violence est abaissé. B – dégradation des biens, magasins, voitures, violence sur des personnes fragiles, trafic de drogues sont des faits qui scandalisent le public, qui font l’objet d’études et de publicité. C – Une instrumentalisation. Dans les années 80-90, fin de la décolonisation, chute du Mur de Berlin, moins de rupture entre la gauche et la droite. La question de la délinquance, de l’insécurité est venue pour combler un vide politique. Et une catégorie de personnes va faire l’objet de toutes les attentions, les jeunes des banlieues, originaires de l’immigration. La droite adopte la punition, la gauche, la prévention. Il y a le Rapport d’Alain Peyrefitte « Sécurité et liberté » en 1977 et depuis 12 autres rapports ont été commis. Et depuis 2002, 42 textes de loi. Toutes les élections sont imprégnées par l’insécurité.
Médias et violence.
On entend : les délinquants sont de plus en plus jeunes, ils n’ont plus de repères, ils sortent la kalachnikov pour un rien, les filles aussi, les parents sont laxistes, les jeux vidéos sont néfastes … tout ce la n’est pas totalement faux mais c’est une caricature de la réalité. Mais pourquoi il n’y a pas d’arguments solides pour démonter ces caricatures ? Education à la violence : le cerveau du bébé est une éponge qui va se construire par son environnement et ce que l’enfant va vivre. Le bébé est asocial, il va se construire par rapport à l’autre. Le sentiment de peur, d’insécurité s’apprend : constructions culturelles, l’altérité s’apprend. Chacun a sa propre perception de la violence, sa propre représentation du monde. Entendre, voir, les images, l’’histoire : les médias construisent la représentation du monde. Les faits divers tiennent une grande place dans les médias, ils sont mis en scène (Roger Gicquel, le 12 février 1976 : « la France a peur »). Mise en concurrence des chaînes, émissions rentables par les recettes publicitaires, il faut attirer du nombre qui verra la pub. Certaines formes de violence payent, à la limite, plus besoin des journalistes, tant le stock d’images est impressionnant. Ces images violentes transforment le spectateur en chanceux « Je ne suis pas concerné » ou en victime potentiel « Ca pourrait m’arriver ». Les auditeurs des chaînes d’infos en continu sont les gens pressés, les personnes âgées, les classes sociales défavorisées et ce sont justement eux qui pensent que la violence est en augmentation. Un fait divers de violence passé en boucle installe une hiérarchie dans les formes de violence : le bijoutier dévalisé – un attentat. Le spectaculaire a une place démesurée. En 2003, 1191 faits divers dans les journaux télévisés. En 2012, le double. Internet a décuplé tout ce qui est actes de violence. Pas de temps pour l’analyse, pas de recul, banalisation des faits, anonymat qui permet tout. Internet permet aussi l’entre-soi, on communique entre soi et l’autre qui est différent est potentiellement dérangeant. Ce qui pousse à la peur de l’autre.

Tout cela accrédite la thèse d’une violence en permanence et en hausse. Certains politiques se nourrissent du sentiment de peur, pour s’imposer il faut surenchérir les actes de violence (attentats par exemple). La violence telle qu’elle est montrée dans les médias unit les communautés dans l’émotion, dans l’indignation mais qu’est-ce qu’on change, quelles actions on entreprend ensemble ?