N° 03 – MON VOYAGE A COMPOSTELLE

Jean-Christophe RUFIN – Ecrivain – Membre de l’Académie française – 30 septembre 2015 – 280 participants environ.
Le « Chemin du Nord » par la côte basque et la côte du Golf de Gascogne, les Asturies et la Galice. Marcher pour s’alléger de tout ce qui afflige et pèse.
Une salle de conférence comble pour Jean-Christophe Rufin, la foule des grands soirs pour accueillir ce « clochard céleste ». Et pour ceux qui ne pouvaient être présents, une dédicace chez Cultura dans l’après-midi.

Pourquoi Compostelle ? Pourquoi ce chemin et pas un autre ? Le cheminement pour se lancer dans l’aventure est personnel. De retour de Dakar, où il laisse ses obligations d’Ambassadeur de France au Sénégal, il aspire à un retour à une vie normale et peut-être moins confortable. Beaucoup d’honneurs aussi à l’Académie française, l’habit vert, le décorum et il ressent le désir d’en sortir pour ne pas être coupé de la vie réelle. Il a alors l’idée d’une marche dans les Pyrénées mais durant ses pérégrinations, il va croiser les chemins de Compostelle et en être touché : le chemin raconte une histoire et il finit par s’imposer. Comme tout bon pèlerin il se procure la credential, le passeport à faire oblitérer à chaque étape. Il décide de faire le chemin du Nord.
Il va voir de suite qu’il a trop d’équipement et se débarrassera de l’inutile petit à petit dans les bureaux de poste. Faire le plus avec le moins, aller vers le dénuement, c’est la philosophie du pèlerinage. Sur le chemin, c’est une vie particulière, hors de la vie, on devient le pèlerin, on se clochardise, moins propre, moins bien rasé. Dans les accueils, le ronfleur devient ennemi personnel pour lui qui a du mal à s’endormir. Au camping, chaque soir l’horizon est barré par les chaussettes qui sèchent sur les fils. Dans les zones touristiques, là où le pèlerin est devenu une ressource, une économie, le pèlerin est invisible. C’est quelqu’un qui passe, anonyme, il lui est difficile de se retrouver lui-même mais cela donne une grande légèreté, une grande liberté. Un être qui traverse la vie sans laisser de trace.
Jean-Christophe est parti avec l’intention de préparer son livre sur Jacques Cœur et n’avait pas l’idée d’écrire sur ce qu’il vivait sur le chemin. Il n’a pas pris de notes mais a emmagasiné les souvenirs dans sa mémoire affective pour vivre pleinement les émotions, le plaisir, pour être touché. Six mois plus tard, il a commencé à noter quelques souvenirs, quelques impressions mais dans l’idée de faire autre chose qu’un inventaire ou un livre religieux.
Sur le chemin, il pensait avoir du temps pour réfléchir mais en fait, on ne pense à rien d’intellectuel ou de philosophique ! On pense au corps, aux pieds, à l’eau, à l’étape du soir. Le pèlerin devient le pied, il le maudit, il le soigne chaque soir, il devient un sujet de contact avec les autres marcheurs. C’est la première phase du chemin, il faut passer ce cap des ampoules pour apprécier vraiment chaque moment de la journée. Une sorte de hiérarchie s’installe entre les marcheurs : « D’où es-tu parti ? Quand ? Tu vas jusqu’où ? Plus le chemin est long et plus on devient vraiment pèlerin : on largue les amarres, le corps parle moins, d’autres choses émergent. Là est la seconde phase du chemin, la phase religion. On s’accroche, aux monuments, aux sites religieux, aux témoignages de cette ferveur qui vient du fond des âges, chapelles, ermitages, monastères, églises. Mais les pèlerins ne parlent pas de religion. Notre époque est moins dans la religion que dans la spiritualité. Enfin on atteint la troisième phase, celle justement de la spiritualité. On se sent vulnérable à toutes les forces spirituelles du monde, dans le dépouillement de l’esprit. On devient une éponge, plus de barrière entre soi et le monde. Plus de défense, on est en prise direct avec les autres. On prend tout en plein cœur dans une émotion spirituelle intense. Le chemin est alors celui du renoncement et du dépouillement. Comme on a allégé son sac, on réfléchit à ses propres pesanteurs, à ce qui pèse, le poids, c’est de la peur, vos peurs. Trier le sac à dos c’est se pencher sur ses peurs. On ressent alors le besoin d’éliminer, de faire le tri dans sa vie, dans ce que l’on porte sur le dos, de se dépouiller et enfin on se retrouve alourdi par d’autres choses, celles qui comptent vraiment.

Le chemin est orienté vers Compostelle et on a marché vers ce but mais quand on arrive au bout, dans la ville, on s’aperçoit que ce n’est pas vraiment le but. Les marchands, le commerce partout. A la Basilique, les pèlerins sont relégués sur les côtés. On fait la queue pour le diplôme. L’essentiel c’est le chemin, ce n’est pas le but. On devient accro au chemin. C’est la magie du chemin qui donne l’envie de repartir.

Au retour dans sa vie de tous les jours, au bout d’un certain temps, Jean-Christophe avoue se retrouver alourdi à nouveau de choses non essentielles. Il faut alors qu’il fasse l’effort de se replonger dans l’esprit du chemin ou alors il devra repartir !

Cette belle soirée s’est poursuivie par une collation d’automne, pain, fromages, raisin, vin et jus et les responsables de la littérature chez Cultura ont tenu le coin des livres, pour vente et dédicace.