N° 11 – VIVONS-NOUS DANS UN MONDE D’INSECURITE ?

Gilbert CLAVEL – Sociologue, responsable de formation supérieure en travail social (retraité), militant associatif. Ancien élu municipal à Saint-Fons, il a été confronté à la question de la sécurité et des problématiques du vivre ensemble sur un territoire marqué par la diversité des populations et la pauvreté.
20 janvier 2016 – 31 participants.
Les politiques sécuritaires sont-elles la réponse aux défis actuels ?
Nous sommes accueillis par l’équipe de Cultura que nous remercions pour leur implication

Gilbert Clavel s’est toujours intéressé aux questions sécuritaires. Elu dans une commune, la question de sécurité est prégnante. Mais c’est vraiment intéressé au côté obsessionnel de la sécurité. Il a lu Michel Foucault qui a consacré 3 cours sur le sujet. Pour comprendre la société aujourd’hui il faut s’interroger sur la question.
Pourquoi on parle autant de la sécurité : 1 – insécurité sociale, précarité : emploi, précarité des revenus. Ce n’est pas cette insécurité qui est à l’origine du discours sécuritaire mais c’est en même temps que les questions de délinquance surviennent et ces insécurités plurielles créent des peurs de déclassement et entrainent la recherche de boucs émissaires. La sécurité et le chômage vont de paires.
Question de la délinquance : c’est la délinquance qui va déclencher les lois sécuritaires. On mesure beaucoup mieux la délinquance et du coup les actes de délinquance comptabilisés sont en augmentation. Le progrès social a créé nombre d’objets désirables, les actes de vol plus nombreux en sont la conséquence et le seuil de tolérance à la délinquance a changé. Aujourd’hui la délinquance est devenue un problème politique, un problème général. Télévision et images de violence : avec ces images diffusées en boucle, on a l’impression que la violence est partout et tout le temps. Il y a un décalage entre la réalité des faits et l’impression que nous en avons. Depuis l’abolition de la peine de mort le nombre de crimes a fortement diminué et nous sommes en France avec le nombre de crimes l’un des plus bas. Sur les territoires marqués avec une concentration de pauvreté, c’est la jeunesse que l’on perçoit comme inquiétante.
Le terrorisme : il s’est mondialisé. En France pas d’actes de terrorisme depuis 1995 alors que d’autres pays en ont souffert. L’Espagne, l’Angleterre ont connu de sanglants attentats. Ces attentats faisaient suite à l’engagement de ces pays dans la guerre en Irak, au côté des Américains. Actes de destruction et de mort qui frappent n’importe où, n’importe qui et n’importe quand. Mais il y a quand même des symboles qui sont lié à ces attentats : musique, art islamique, siège de la finance … Pa le passé l’Europe a vécu ces attaques terroristes : IRA en Irlande – ETA au pays basque – Fraction Armée rouge en Allemagne, les années de plomb en Italie qui ont causé plus de 12000 attentats en 10 ans. En Algérie, guerre civile de dix ans qui a fait des milliers de morts. A partir des années 1990, Al Quaïda s’organise pour chasser les mécréants, en s’attaquant aussi aux symboles. Et aujourd’hui, un nouveau mouvement, l’état islamique. Pourquoi ce terrorisme porté aussi par des gens de chez nous ? Qui sont ces personnes qui partent pour le djihad ? La conception djihadiste, c’est le combat pour l’islam. Pour comprendre il nus fut revenir à l’Afghanistan dans les années 70. A la fin de la guerre avec les Russes, que font les anciens combattants ? Certains retournent en Algérie et forment le GIA, d’autres partent en Bosnie et certains reviennent en France. On n’a pas réglé la fin de la guerre en Afghanistan. Qu’est le Salafisme ? Une vision rigoriste de l’islam. Il s’est répandu sous l’influence du Qatar, de l’Arabie saoudite, souvent en contradiction avec le Coran. Sous la pression salafiste : le voile se répand, la séparation hommes-femmes s’imposent même à la maternité quand un mari refuse un homme pour assister sa femme à l’accouchement. Qui sont ceux qui partent en Syrie, 17 % seulement viennent des quartiers, c’est plutôt très peu. Le recrutement se fait par des filières, rarement autour des mosquées. 50 %ne sont pas d’origine musulmane, beaucoup sont athées, ne sont pas religieux. Des recruteurs viennent dans les mosquées pour parler, entrainer les jeunes mais en général le recrutement ne vient pas des imams. Il faudrait pouvoir surveiller les mosquées. Les jeunes aujourd’hui ressentent un sentiment de vide, pas de projets, pas d’idéal, une absence de culture religieuse, ils ne connaissent que quelques brides de l’islam, ils n’en retiennent que quelques éléments, surtout les interdictions. Recherche identitaire associée à un profond sentiment d’injustice. Sentiment de discrimination par l’origine, sentiment d’injustice par rapport aux attaques contre les pays musulmans. Recherche de figure paternelle : « J’aurai aimé que Ben Laden soit mon père ». Beaucoup d’éléments qui expliquent pourquoi les jeunes vont chercher ailleurs ce qu’ils n’ont pas ici. Presque tous ont un passé de délinquant, presque tous ont fait de la prison. Il faut se poser la question du rôle de la prison dans la constitution de filière, de petits réseaux. Ils vont se radicaliser par petits groupes. La plupart ont connu une enfance difficile, enfants placés, abandonnés. Radicalisation par fratrie, énormément de fratries, frères, sœurs, cousins, on reconstitue une grande famille de jeunes qui fait sécession avec la famille originelle, sécession générationnelle, familiale, culturelle. On défend une juste cause, on se sacrifie pour la cause. On rêve de devenir un héros, de servir un grand dessein, de devenir quelqu’un, jusqu’au sacrifice suprême avec une promesse de paradis. Révolte intérieure, sur fond d’inculture, et le délinquant au banc de la société devient un personnage important dans un milieu qui légitime la violence. L’état islamique : anciens officiers de Saddam Hussein, qui ont connu la prison et qui veulent prendre leur revanche. Quand les Américains partent, le 1er ministre mis en place est chiite mais ne va respecter aucun engagement vis-à-vis des sunnites. Les sunnites ressentent toute l’injustice et réclament vengeance. Le chef de cet état veut reconstituer le califat sur les terres d’Irak, de Syrie et de Jordanie. Perses contre arabes, les territoires sunnites ont toujours été occupés, humiliation séculaires des sunnites soumis par des chiites considérés comme sectes. Le djihad : faire la guerre à soi-même pour être un bon musulman. Mais c’est aussi l’obligation de se défendre quand on est attaqué, et c’est aussi de mener le combat contre tous les hérétiques, les non-musulmans. On donne le choix aux non-musulmans de se convertir ou de partir.
D’autres insécurités dans notre société : environnementale – identitaire : les vagues de migrants sont ressenties comme une atteinte à notre identité nationale.
La fabrique de la société sécuritaire : un arsenal de lois.
Aux USA, tolérance zéro, on doit mettre hors de la société les déviants, les délinquants. Le monde s’inspire de ce modèle. En France, rapport Peyrefitte : loi sécurité et liberté, ce sera la base de toutes les lois qui viennent ensuite. Pouvoirs de la police étendus, aggravation des faits de délinquance, modification des conditions de la récidive, des effets des circonstances atténuantes, des peines encourues, création du système d’indemnisation des victimes. De nombreuses lois vont être votées mais toujours à partir des premières lois. Le fond est toujours le même soit une centaine de lois. Multiplication d’infractions nouvelles : en pénalisant l’ensemble des activités humaines, tous les codes sont impactés par ces législations pénales à caractère sécuritaire. On renforce les circonstances aggravantes. On peut maintenir en prison au-delà de la peine effectuée, un individu si on considère qu’il y a un risque de récidive. De plus en plus de lois vaines : les amendes deviennent des délits, il y a tellement d’infractions qu’elles en deviennent ingérables. De plus en plus de personnes arrêtées, emprisonnées, surveillées. Des lois qui s’empilent et qui souvent sont cotées pour légaliser des actes sécuritaires pas vraiment dans la légalité. La gestion de ces lois est une sorte de communion émotionnelle, émotion suscitée par des actes. On prend des mesures en réaction à l’émotion du public, ce qui est dangereux. La sécurité est au-dessus des lois et il faut vite créer une loi pour que l’acte sécuritaire soit dans la légalité. Prisons surpeuplées, on rend invisible un certaine nombre de personnes qui relèvent de l’insertion, des services sociaux. On va intervenir avant que les choses arrivent : groupe de jeunes en bas des immeubles, on va les arrêter avant, car on présuppose qu’ils peuvent faire un coup. On confisque les passeports de ceux que l’on soupçonne de vouloir partir en Syrie. Surveillance et contrôle : avant il s’agissait de surveillance visuelle, aujourd’hui, traçabilité des gens, en continu et anonyme (retrait d’argent, caméras dans les magasins, toutes nos puces, on peut remonter toutes les traces possibles que nous laissons derrière nous dans les actes de tous les jours. Fichiers qui regroupent 12 millions de personnes. Déplacement du centre de gravité : du traitement du délinquant au profit de la victime. Dans le cas de victime faible, les peines vont découler de la faiblesse, de la vulnérabilité de la victime. Le procès commence par la victime. La présomption d’innocence est remplacée par la certitude de culpabilité. La réinsertion est en retrait, la punition est une finalité. Autrefois, on protégeait l’enfant contre les dangers sociaux mais aujourd’hui on veut protéger la société de sa jeunesse.
Emancipation des individus à la source des peurs et d’une demande de sécurité.
Une société d’individus, et non plus une société disciplinaire. Chacun d’entre nous se saisit de sa liberté, distanciation avec les institutions, affaiblissement des liens sociaux traditionnels. Vulnérabilité de l’individu qui n’a plus le soutien collectif. Souffrance au travail. Solidarité moindre. Auto-exclusion, dépression, violence contre autrui, conduites additives, errance, suicide. On cherche une issue et le djihad en est une. Entre individus, peur de l’autre, méfiance, l’autre est celui qui m’agresse, qui m’insupporte, qui me concurrence, qui porte atteinte à mes droits. Un nouveau lien social qui se forge mais avec l’appel à la justice, plainte pour un oui ou un non, pour des différents qu’on réglait avant en famille, entre voisins. Une société dans laquelle globalement nous nous considérons comme victimes. Processus de victimisation. Nous sommes reliés dans l’émotion. Soif de reconnaissance, nous n’existons, nous nous construisons par le regard de l’autre, dans tous les moments de la vie depuis la famille, la crèche … Difficile d’être reconnus par les autres.
La course en avant au toujours plus de sécurité est-elle une menace pour la démocratie et les libertés ?
Plan Vigipirate : depuis sa création il n’a jamais été arrêté. Pas de loi, pas de décret, ni de circulaire. On ne peut pas mesurer son efficacité. Effet psychologique pour rassurer la population. On peut se poser la question des militaires dans la ville, quelle frontière entre paix et guerre.
Etat d’urgence : créé pendant la guerre d’Algérie. Stratégie politique, effet d’annonce. La loi existe, un simple décret suffit. Et nos lois permettent d’appliquer tous les actes sécuritaires hors état d’urgence. Si on constitutionnalise l’état d’urgence c’est comme mettre un ver dans une pomme, comment fait-on pour revenir dessus ? Cela pose beaucoup de questions. Déchéance de la nationalité : cette disposition aussi est dans notre code. L’efficacité est douteuse, on est dans la communication, dans l‘émotion populaire, mais fait-on de la politique sur des sondages ? Liberté et sécurité sont des droits fondamentaux inscrits dans la déclaration des droits de l’homme. Comment concilier liberté et sécurité ? Idée de liberté absolue mais pour vivre ensemble il faut encadrer les libertés et parfois les restreindre. Suspendre provisoirement les libertés ne peut être que dans un temps très limité.
Questions : voir déclaration d’E. Badinter. La laïcité est pour tout le monde, les discours de haine ne doivent pas être acceptés pour une religion ou une autre. Tout le monde doit être à la même enseigne, interdiction pour tous. On n’a pas vu venir. Réactions, surveillance policière des quartiers difficiles des banlieues des grandes villes, mais on n’a pas surveillé les autres territoires, services, mal organisés, pas assez sur le terrain, dans la surveillance d’internet. Charly aurait dû mobiliser mais c’était une cible très particulière et on n’a pas extrapolé. Attaque d’une salle de concert, c’était annoncé, alerte de spécialistes par exemple Gilles Kepel. Aujourd’hui on connait pas mal de réseaux et on voit que ça bouge entre les réseaux. On peut réduire les risques mais pas de risque zéro. Principe de précaution, prévention des risques.
Contre-pouvoir : la justice et la responsabilité des citoyens et pourquoi pas les médias ? Réponse : il faut être aussi vigilant par rapport aux médias, puissance de l’image. Une éthique des médias mais il y a beaucoup à faire. Ne pas se laisser emmener là où les médias veulent que nous allions. Piège à éviter, avoir de la distance. La question est quelle société nous voulons. Après l’état d’urgence il faudra être très vigilant. Donner les moyens à la justice, pas assez de juges et de procureurs, faiblesse par rapport aux autres pays européens.