N° 01 – UNE SOCIÉTÉ PACIFIÉE – « CYCLE VIOLENCE ET DÉLINQUANCE »

Marie-Jo EGGER et Marc GINDRE – Professeurs d’économie et de sciences sociales. 16 septembre 2015 – 34 participants.
En dépit des apparences, notre société s’est pacifiée au fil des siècles. Qu’est-ce qui le prouve et comment l’expliquer ?

Nous sommes convaincus que la violence s’accroit dans notre société, influencés par les médias, télévision, journaux, dans tous les domaines, hôpitaux, écoles, transports. Un cinquième des Français se dit en insécurité dans son quartier, son village, la délinquance est le 3ème problème le plus important.
Et pourtant les chiffres sont là, en 2008, 835 000 personnes se disent victimes de violence, 635 000 en 2013.
Pourquoi une société pacifiée ? Nous avons une représentation du monde nourrie de nostalgie, de préjugés. Nous voyons le monde au travers d’un filtre. Nous avons vécu un âge d’or, un temps béni. Et pourtant, ce jour présent, nous avons le privilège fou de vivre dans le monde le moins dangereux de notre histoire.

Recul de la violence. Du Moyen Age à la fin du 19ème siècle, la France est un monde rural. La période de royauté est introduite par la force et le pouvoir central n’a pas les moyens d’assurer la sécurité sur tout le territoire. Le pouvoir local des seigneurs se maintient par la force, les armes. Se faire justice soi-même est courant, les relations sont imprégnées de violence quotidienne : rang social à défendre, conception de l’honneur qu’il faut laver, défense de la communauté, du quartier, du village, contre les bandits, les voleurs, les vagabonds. L’alcool fait beaucoup de dégâts. Un seul droit, le droit répressif mis en scène, pendaison en place publique, supplice de la roue. Jusqu’à la Révolution, la violence fait partie de la vie normale, ordinaire et cette violence ne disparaît pas à la Révolution. Violences dans les familles, sur les femmes, les enfants, abandon, assassinat. Le viol est une menace permanente y compris pour les femmes mariées. Au 17ème siècle, pas de sentiment de l’enfant attendu. Aujourd’hui, l’enfant est désiré, attendu, choyé. Plus de sanctions physiques, Droits de l’enfant, convention sur le travail des enfants. Les relations au sein de la famille se sont pacifiées. Violence au travail, très courante sur les chantiers, dans les campagnes, sur les femmes et les enfants. Chez Michelin, en 1860, règlement qui interdit de parler, de manger en travaillant. Les ouvriers qui protestent sont attaqués, tués. Aujourd’hui nous avons le Code du Travail. Violence des jeunes, éducation à la violence, attribut de la masculinité jusqu’à la moitié du 20ème siècle : les Apaches, les Blousons noirs, les bandes (Guerre des boutons). Dans les années 2000, viol en bande, les tournantes mais les viols collectifs traversent toute l’histoire de toutes les époques. On a toujours jugé le temps actuel pire que le précédent mais aujourd’hui, la violence des jeunes n’est pas un phénomène nouveau. Violence en politique. Depuis 1962, plus de guerres de conscription, plus de violence d’effets de guerre. Dans les années 1930, émeutes anti- parlementaires, manifestations paysannes, Action Directe. Violence à l’école. Forme de violence sur les élèves que les professeurs ne peuvent plus pratiquer, physique et verbale. Le professeur peut être condamné pour un regard déplacé, un élève ne peut plus être exclu définitivement. Consignes de ne plus mettre un zéro, de faire un rapport pour une «colle». Les bagarres dans les cours de récréation ont pratiquement disparu. Le racket n’est pas un phénomène nouveau, c’est la forme du racket qui a changé. Les agressions contre les professeurs, ce n’est pas nouveau non plus. Les médias, en passant en boucle un évènement dans une école donne l’impression d’une profusion de faits. Et le seuil de tolérance à l’agression a baissé.

Pourquoi la société s’est-elle pacifiée ?

1 -Une demande d’état répressif, processus par le pouvoir de «disciplinarisation » du peuple à la demande du peuple. L’état s’est centralisé, la législation est uniforme pour tous. Il s’est arrogé des droits, la monnaie, le prélèvement des impôts, la justice au nom de la loi. Un droit qui encadre, un filet de sécurité dans les coups durs. C’est ce droit qui va prévaloir et qui va transformer le déviant, le hors norme en délinquant. Le Code pénal réduit les libertés, les comportements sont réprimés, sanctionnés. L’état est devenu le protecteur des plus faibles. Exemples : le harcèlement moral au travail est une atteinte aux droits et à la santé – depuis 1980, le viol est devenu un délit criminel – Abandon d’enfants, propos racistes, homophobes sont des actes criminalisés. De ce fait, avec la protection croissante des plus faibles par l’arsenal juridique, la violence recule. La pénalisation des comportements déviants par rapport à une norme fait reculer la violence. La justice des mineurs se calque de plus en plus sur celle des adultes, de ce fait l’augmentation de la prise en charge pénale des mineurs ne représente pas une augmentation des actes violents de mineurs. Puisque des actes non délictueux autrefois sont devenus des délits, les statistiques de la violence sont en hausse. L’état est donc de plus en plus répressif et c’est positif sur certains méfaits, en premier les homicides. Le nombre de tués intentionnellement, pour 100 000 habitants en France a été divisé par deux en 20 ans : en 1996, 2 – en 2013, 1. A Paris en 1994, 256, en 2013, 90. Règlements de compte, 500 en 1992 – 100 en 2012. Donc efficacité dans la répression de l’état. Les violences routières divisées par 20 depuis 1970 en tenant compte de l’augmentation du trafic. Violences conjugales, les femmes appellent les secours, vont au commissariat, aux services sociaux, dans les associations, portent plaine de plus en plus, voient un médecin, un psychiatre mais 46% ne font encore aucune de ces démarches.

2 – Un recours à la violence moins nécessaire. Le recours à la violence est stigmatisé et délégitimé, Pacification des mœurs : accroissement du pouvoir d’achat qui fait reculer la violence de survie, rôle de l’éducation, de l’école qui apprend à mettre des mots sur les ressentis. Les droits des femmes, le congé de maternité, avortement, contraception, droit de vote, syndicats, choix de sa profession. Au travail, CE, institutions, lieux de paroles, de négociations. Egalité des chances – Se libérer des tutelles, on a le choix de sa formation, du lieu de vie, des liens du mariage, du nombre d’enfants. Divorce par consentement mutuel, liberté de vivre avec la personne de son choix, enfants désirés. Tout cela réduit énormément les violences.

Donc tous nos comportements sont encadrés par un état répressif, nous méritons la protection de l’état, nos vies sont fragiles. Le recours à la violence est moins nécessaire et est une forme de faiblesse. Pourtant l’être humain n’a pas foncièrement changé. On s’interdit des tas de gestes, de comportements, de regards. On canalise notre violence intrinsèque. Elle ressort dans le sport d’équipe et individuel. On l’accepte quand on envoie notre armée au combat. On l’accepte dans la guerre économique, dans la compétition, à l’école, au travail.
On ne peut pas s’étonner que la violence resurgisse. La violence est intolérable car dans une société pacifiée, la moindre violence n’est pas supportable.