N° 09 – CHEMINS DE TRAVERSE

Yves BICHET – Écrivain – 28 janvier 2015 – 37 participants.
Que reste-t-il, dans notre société de la mondialisation et du profit, des rêves et des utopies des années 70 ? Existe –t-il de nouveaux trajets exaltants, des chemins de traverse ?

Yves Bichet, auteur notamment de « L’homme qui marche » nous précise qu’il a quelque peu changé son intervention pour tenir compte des événements dramatiques de Charlie Hebdo que nous avons tous vécus. Né à Bourgoin-Jallieu en 1951, aujourd’hui, romancier, poète et dramaturge Yves Bichet a eu plusieurs vies : salarié agricole pendant neuf ans puis artisan du bâtiment pendant trente ans.
Suite donc aux événements de Charlie Hebdo, l’humour est le premier chemin de traverse, le chemin le plus singulier, le plus décapant. Rire de ce qui n’est pas risible. Gravité du rire. Le djihad est aussi un chemin de traverse, marcher ailleurs, échapper à l’humiliation, être aimé, pour un certain nombre de personnes c’est le seul chemin de traverse, une échappée belle. Désœuvrement, chômage, exclusion, repli identitaire = ennui mortifère qui ouvre la voie à des prédicateurs. Il faut toutefois rappeler ce qu’est le djihad : c’est un combat contre soi-même, ses manques et non pas contre les autres.
Dans l’histoire de notre civilisation chrétienne, il n’y a pas si longtemps, ont sévi des terroristes, les Brigades Rouges, la Bande à Bader. Le rire a été considéré pendant des siècles de chrétienté comme une manifestation diabolique, comme l’expression du diable. Le sourire et ensuite le rire sont les premières manifestations de l’enfant ; comment imaginer que le rire pourrait-être une manifestation du diable alors que le petit enfant est angélique ? Les religions portent à l’affliction, la culpabilité, le sacrifice, la tristesse : la joie est un chemin de traverse, tout comme le rire, c’est une sauvegarde pour nos vies.

Le livre « L’homme qui marche » et le film que propose l’auteur « Ne parlez pas d’amour » décrivent des chemins de traverse. Ces moments où le temps des horloges s’arrête, temps de prière, d’amour, de naissance, de mort. Ces moments sont rares et nous mettent en état de sidération. Dans le livre, il y a le départ de l’épouse et l’homme éprouve le besoin de marcher pour évacuer son chagrin, retrouver la beauté du monde, voir le monde différemment. Il va ressentir une bienveillance nouvelle, et une confiance totale et sidérante envers une adolescente qu’il devra protéger au détriment de sa propre liberté. Emprisonné et pourtant si libre sur son propre chemin de traverse, son pas de côté. Dans le film, c’est la fiction qui est chemin de traverse : raconter une histoire, se dissocier du quotidien, c’est un chemin totalement inédit. Dans le collège défavorisé de Vaulx-en-Velin où se déroule le film, les élèves et l’écrivain sont en total décalage. Le départ de l’expérience est un fait divers : l’incendie perpétré volontairement par un élève qui, pris de remord, essaye d’arrêter le feu, qui est blessé et qui est renvoyé.
Dans la fiction, Samir, jeune adolescent d’ascendance africaine, en échec scolaire, nerveux et impulsif, est amoureux de Léa, une fille de sa classe en fauteuil roulant. Suite à un renvoi injuste, il décide de se venger.
Les élèves du collège qui apparaissent dans le film ont participé à l’écriture du scénario. Au départ, pour raconter une histoire, une fiction à partir d’un fait réel, ici l’incendie volontaire, le réalisateur rencontre une grande difficulté à mobiliser l’imagination des élèves mais c’est une vraie lucidité, beaucoup d’énergie, de la tendresse et une belle sincérité qui transparaissent dans le film. Et une prise de conscience du handicap.

Une belle soirée qui ouvre des portes sur d’autres possibles, de possibles chemins de traverse.

Bibliographie : La part animal – 1994 – adapté au cinéma par Sébastien Jaudeau avec Niels Arestrup – Le rêve de Marie (poèmes), – 1995 – Clémence (poèmes et proses), – 1999 – Le Nocher (roman), – 2000 – Les terres froides (récit), – 2000 – La femme Dieu (roman), – 2001 – Chair (roman), – 2002 – Le Papelet (roman), – 2004 – La Papesse Jeanne (roman – 2005 – Le porteur d’ombre, (roman) – 2005 – Resplandy (roman),- 2010
L’homme qui marche, – 2014 – L’été contraire, – 2015