Catherine SAMARY – Economiste, spécialiste des Balkans et de l’Europe de l’Est, membre d’ATTAC, collaboratrice du Monde Diplomatique. 1er Juin 2015 – 31 participants.
En quelques mots Catherine SAMARY résume la situation de l’Ukraine à partir du 21 novembre 2013, quand le président Viktor Ianoukovitch a subitement mis fin au programme d’intégration à l’Europe. Un mouvement de révolte populaire contre un pouvoir criminel, Maïdan, a rassemblé toutes les couches de la société dans des manifestations massives, à Kiev, contre un système socio-économique postsoviétique qui n’avait été qu’une mascarade pendant 23 ans d’indépendance. Le 22 février 2014, le Parlement vote la destitution du président. Mise en place d’un gouvernement provisoire et élection présidentielle, le 25 mai 2014 qui conduit à la victoire, dès le premier tour, de l’homme d’affaires Petro Porochenko. L’élection se déroule dans un contexte particulièrement tendu, après la crise de Crimée et surtout l’insurrection pro-russe dans le Donbass. Rien n’est réglé, rien n’est appliqué. Etat de guerre et propagande des deux côtés qui donne des interprétations radicales de la crise, soit pro-Poutine soit Poutine est l’agresseur.
Il faut donc étudier les causes internes et externes de la crise. Deux thèses se partagent la réflexion.
1ère thèse – L’Occident impérialiste contre la Russie. C’est la vision prédominante géostratégique, néo-guerre froide. L’expansion de l’OTAN et de l’UE est une menace contre la Russie. Le partenariat oriental euro-asiatique se fait contre le projet russe. Tous les pays de l’Est, après 1989, adhérent à l’UE et à l’OTAN. En 1991, la promesse que l’OTAN n’aille pas plus loin que la RDA n’est pas tenue. Les années 2000 voient les révolutions « colorées » Géorgie, Ukraine, contre la corruption, contre les dirigeants, une opposition de masse soutenue par les USA et qui sollicitent tous les pays à adhérer à l’OTAN. Moscou essaye de constituer l’union eurasiatique mais tentative rendue impossible par les pays qui adhérent à l’UE. Le but des USA est de détacher les anciens pays de l’URSS de la Fédération de Russie. La thèse du complot : faire tomber l’Ukraine dans l’OTAN et l’UE pour affaiblir la Russie.
Le mouvement Maïdan et la chute de Ianoukovitch sont interprétés comme un complot occidental, un coup d’état fasciste anti-russe. A partir de mars 2014, réactions populaires anti-Maïdan de pro-russes dans le Donbass, région Est pro-russe, industrielle. Comme la Crimée, peuplée de Russes qui abrite des bases navales russes. A l’Est, un mouvement populaire qui veut se détacher de l’Ukraine, population antifasciste contre les nationalistes de l’Ouest.
2ème thèse – Agression des Russes contre l’Ukraine. L’Ukraine est indépendante depuis 1991 et cette indépendance a été votée à plus de 80 % y compris par la région de l’Est. Le sentiment ukrainien est fort même si la région Est a une certaine nostalgie pour la Russie. Le pays est dirigé par un régime oligarchique mais plus libre qu’en Russie. Les partis pro-russes sont très minoritaires. L’état est dans une logique de redéfinition de la Constitution avec la reconnaissance des langues et sans souhait de séparation sauf pour la Crimée. Maïdan a été un mouvement populaire de masse contre la corruption mais les premiers morts de la répression ont radicalisé l’opposition, dans la peur que le régime devienne comme celui de Vladimir Poutine. Après la chute du régime, l’élection présidentielle (60 % de participation) et Petro Porochenko élu, crise du gouvernement et en découlent des élections législatives anticipées, le 26 octobre 2014. Le scrutin conduit à la victoire de la formation du Premier ministre Arseni Iatseniouk, le Front populaire, et au bloc du président Petro Porochenko. Car si le premier dépasse légèrement le second en termes de votes populaires dans le scrutin proportionnel, le parti du président remporte plus de circonscriptions électorales et donc de députés. L’élection conduit également à l’émergence de Samopomitch, et à de relatives bonnes performances du bloc d’opposition, implanté dans les fiefs russophones de l’ancien pouvoir, et le Parti radical d’Oleh Liachko. Par ailleurs, il s’agit du premier scrutin législatif depuis l’indépendance où les partis pro-occidentaux sont largement majoritaires. Les idées du Front populaire pro-occidental, d’une droite libérale et Petro Porochenko tourné vers des négociations avec Vladimir Poutine, tout cela progresse même à l’Est. Toute la région de l’Est n’est pas pro-russe et la présence militaire russe, les soldats russes morts qui sont rapatriés en Russie, le matériel militaire russe, tous ces faits attestent l’idée d’une agression russe.
C’est une guerre hybride qu’on ne peut qualifier de guerre des Russes ou de guerre civile.
Les acteurs incontrôlés. Problème de représentation des nouveaux partis. L’Est est entre deux feux avec à Kiev des opérations contre les séparatistes qui font de nombreux morts civils et les exactions des militaires, des forces de sécurité sur son territoire. L’extrême droite fasciste se trouve dans les deux mouvements des pro et anti-Maïdan. Les oligarques ukrainiens, féodaux, plus intéressés par leurs intérêts régionaux, jouent sur les deux tableaux, Kiev et Vladimir Poutine, d’où un conflit entre l’état des oligarques et l’UE. Fragilité de l’état-nation ukrainien qui a subit le choc des privatisations et de la crise de 2008. Le revenu moyen est inférieur à celui de la Roumanie. Une forte dette entre la politique du gaz imposée par la Russie et les diktats externes du FMI.
L’Ukraine n’a pas traité, n’a pas réglé les pages noires de son histoire, le fascisme, le stalinisme et cela semble impossible en l’absence de partis de gauche crédibles. Et l’obligation de choisir entre l’UE et la Russie est absurde.
La Russie veut réussir le projet du traité eurasiatique pour être aussi forte que l’UE. L’approvisionnement de l’UE en pétrole et en gaz est dépendant de la Russie. (Italie 40 % – France 30 %). Personne n’a intérêt à une nouvelle guerre froide.
Les aspirations des peuples ne sont pas prises en compte.
Volonté de vivre en paix.
Pour les Etats-Unis, le danger c’est la Chine. La Russie, avant la crise ukrainienne, s’est rapprochée de la Chine et des pays asiatiques afin d’être moins dépendante de l’occident. La crise renforce cette alliance asiatique.
A ce jour : négociations UE-Russie sur l’Ukraine. Accord UE-Ukraine mais mis en attente jusqu’à 2016. Il faut passer par Vladimir Poutine pour cet accord. Suite aux visites de France, Allemagne, USA, l’accord UE-Ukraine serait maintenu avec une mis en chantier en 2016 mais il y aurait un protocole qui imposerait des conditions russes. La Russie, pour l’UE et les USA est plus importante que l’Ukraine en termes d’économie et de diplomatie (Syrie …).
Pour aller plus loin, quelques publications de Catherine Samary :
Yougoslavie, de la décomposition aux enjeux européens – Les conflits yougoslaves de A à Z – La déchirure yougoslave. Questions pour l’Europe – Le marché contre l’autogestion, l’expérience yougoslave.
Sur le site csamary.free.fr une série d’articles : Ce que révèle le procès de Milocevic – Les incohérences du Tribunal pénal international – Double défi pour le nouveau pouvoir de Belgrade – L’opposition serbe au piège de la reconstruction – Kosovo, le véritable enjeu – Nouveau régime en Serbie – Pour une sortie progressive de la crise du Kosovo – De la disparition dans le sang de la Yougoslavie.