N° 11 – EXIL ET DERACINEMENT

Abdessalem YAHYAOUI – Psychologue clinicien – Enseignant chercheur – 5 mars 2015 – 90 participants – En partenariat avec la MJC SUD Centre social.
Les familles migrantes sont confrontées au vécu de leurs enfants nés en France. Les problèmes de transmission générationnelle peuvent entraîner un stress acculturatif très fort.

Un voyage anthropologique dans une trajectoire d’exil, perte et gain, place de la culture et du groupe dans la construction de l’individu. Nous sommes les enfants de nos cultures, valeurs, normes, ensemble d’enveloppes culturelles, familiales. Sentiment de familiarité avec le monde qui nous entoure, quand on perd ce monde, on se sent dépaysé. La culture apparaît en continuité permanente avec notre monde intérieur, la culture est une part de nous-mêmes qui répond à nos besoins, qui est fabriquée à partir de ces besoins. C’est un modèle de conduite à l’intérieur de la communauté ethnique, une culture sur mesure qui rassure, qui permet de vivre ensemble (vie, mort, invisible, visible, jour, nuit, art …). Pas de frontière entre le psychisme et la culture. Toute culture est vouée au changement comme change la personne.
Plusieurs enveloppes. Enveloppe sensorielle : on écoute, on entend le monde qui nous entoure depuis l’enfance, univers musical, ondes reconnaissables. Si d’autres musiques entrent dans notre environnement, il faudra des efforts considérables pour les entendre en faisant des rapprochements avec notre musique. Enveloppe visuelle : paysages, désert, mer, montagne … familiarité avec le paysage qui nous entoure. Nostalgie du vent, de sa musicalité quand on quitte le désert pour la montagne. Nostalgie des grands espaces. Enveloppe gustative et olfactive : Africains confrontés au blanc de la béchamel ! On colore le plat, on le pimente, il faut qu’on le sente dans la bouche. Odeurs, goûts obéissent à des critères culturels. Toutes ces enveloppes constituent notre monde.
Modes de pensées, codes intellectuels pour les relations au temps et aux autres. Dans le cerveau, des zones sont plus ou moins sollicitées pour les mêmes fonctions selon les cultures. (Mémoire du travail par exemple). Si retour au pays, perte du code pour comprendre les gens qui sont restés là-bas. Conception de la temporalité complètement différente selon les pays et qui évolue selon les générations. Ici, un agenda structuré sur un certain temps, mais pour le sud, le temps c’est de la relation, souple, humaine (enfant, voisin, maître, famille), autant de séquences relationnelles qui retardent. La question de la solitude est aussi culturelle. Le collectivisme, l’individualisme, c’est culturel. L’isolement individuel devient une menace pour la collectivité qui voudra entraîner l’autre dans la collectivité.
Déracinement. Exil forcé : causes politiques, familiales, géopolitiques. Demandeurs d’asile : le traumatisme est le problème et la solution. Il faut le traumatisme pour avoir ses papiers. Exil volontaire : immigration économique, études pour de meilleures chances. Quel que soit l’exil, c’est une expérience de séparation, de vulnérabilité psychologique, en fonction de la personnalité, nourrie ou pas par l’amour, la confiance, le soutien, la sécurité depuis la petite enfance. Cette constitution personnelle va faire que l’expérience de l’exil, renforce ou fragilise. On perd le cadre extérieur et le cadre intérieur est attaqué : on est privé de la langue, c’est la première perte des origines (l’humour par exemple). La seconde épreuve c’est de pouvoir comprendre et intégrer le système culturel, administratif, social. Risque d’incompétence conjoncturelle, perte de ses moyens, perte de l’estime de soi (dépréciation du métier), incapacité sociale malgré des efforts considérables, incompréhension des règles, des codes qui génère des tensions et une perte de sens. Et un mouvement de nostalgie pour la vie d’avant même si on la quittée.
La société d’accueil : assimilation ou intégration ? L’exil est une trajectoire travaillée par la nostalgie et si le pays n’accueille pas, la personne va amplifier la nostalgie, vivre une double vie et croire au retour. « Quand j’aurai l’argent, je rentrerai, construirai une maison, pour moi, pour les enfants » On dépense son argent dans la fiction du retour. Comportement, finances, affectif tout est conditionné par l’existence de la maison, objet concret mais projet fictif. Les parents ne retournent au pays que quelques semaines de vacances pour travailler à la maison, les enfants ne veulent plus y aller et pour finir non plus les mères car l’enfant est le lieu de la mère. L’espace n’a aucun valeur s’il manque un enfant à l’appel.. A la retraite va-t-on rentrer ? Sans les enfants ? Est-on un couple quand il n’a été constitué que par la famille ? Le couple n’est pas une entité c’est une conception familiale. La mère fait semblant de suivre et revient le plus souvent voir ses enfants. Elle ne quitte pas ses enfants et de plus, elle ne comprend pas les gens restés sur place. La nostalgie du lieu d’origine est en lien avec ce qui a formaté la personnalité de l’individu. C’est un appel du terroir, des origines, de la mémoire ancestrale qui provoque ce va et vient. Double vie qui peut être transmise aux enfants sur plusieurs générations. Les parents ne capitalisent pas ce qu’ils ont ici et maintenant pour l’avenir de leurs enfants.
Ce mouvement permanent peut être richesse et fragilité aussi. Beaucoup ont ces deux facettes, certains dans la précarité ici mais qui passent pour avoir réussi dans leur pays d’origine, qui même sont enviés. L’exil et le déracinement, en temps qu’événement, ont confisqué l’histoire et même les origines de l’histoire. Les enfants ne connaissent rien de l’histoire de leurs parents, de leur culture. Toute la richesse portée par les parents immigrés est confisquée par un récit fictif, le récit du départ, de la réussite et du retour. Pas de récit naturel, souple, et les enfants doivent chercher eux-mêmes. Les grands-parents, les premiers migrants, ont été obligés à l’assimilation et la richesse du récit n’a pas eu lieu. L’excès d’amour peut mettre en cause la capacité de l’enfant à s’intégrer. Excès de compensation du manque ou du trop plein. La radicalisation se construit sur l’inconsistance des parents. « Je suis né ici, j’ai grandi ici, je dois réussir ici mais je dois avoir l’autorisation des parents car, si je m’investis ici, je ne suis plus un enfant de là-bas ». Si on félicite l’enfant dans ses réussites, ses efforts d’intégration, si on le soutient, on le porte, il réussit et il est capable de vivre la double culture comme il vit la double langue.
L’exil, c’est se reconstruire, acquérir des compétences nouvelles, souplesse, vivacité. Reposer la question des croyances, mettre à l’épreuve des valeurs et des normes du pays. C’est surtout valable pour les femmes, l’homme a peur de mettre en cause sa propre posture. Une complémentarité déficitaire liée aux traditions et aux cultures mais pas aux religions. (Coran, égalité parfaite entre l’homme et la femme ainsi qu’entre Adam et Eve).
Écart entre texte coranique et biblique et différence d’interprétation. Pourtant nous sommes très proches, frères mais ce qui cause problème, c’est la rencontre.
Quelques notes en réponse aux questions. – Force de l’adolescence et du groupe : nouvelle musique, nouvelle façon de parler, nouvelle culture quand on change de groupe, métissage en progression dans la génération actuelle. – Enfants stigmatisés et fragilisés : les parents n’ont pas assez ancré leurs enfants dans des repères nationaux. Sur-désignation de certains enfants : résignation à l’idée qu’on est mauvais, identification à une identité négative (mauvaises notes, exclusion). Ils s’identifient aux stigmates : image du jeune maghrébin dans l’opinion publique par exemple. – Travail de conscience collective de tous les adultes, indignés par une certaine méthode médiatique. Affiliation meurtrière quand le jeune n’a pas été soutenu, n’a pas sa place, ni ici ni demain. – L’intégration réussie dépend de l’accueil.