N° 8 – Y-A-T-IL UNE VÉRITÉ EN ÉCONOMIE ?

Marie Jo EGGER – Marc GINDRE – Professeurs d’économie et de sciences sociales – 27 novembre 2013 – 40 participants. Pourquoi les économistes ne sont-ils pas tous d’accord ? Les chiffres disent-ils LA vérité ? Peut-on affirmer tout et son contraire en économie ?
Comment ce fait-il que les économistes se trompent ? Pour 2013, ils avaient prévu une évolution du PIB de + 0.8% à – 1.2% alors que nous serons réellement à + 0.2% selon l’INSEE. ? Pourtant l’économie est une science. Nous sommes submergés de chiffres mais nous voudrions connaître les vrais chiffres, du chômage, de la délinquance. Les chiffres provoquent malentendus, disputes, empoignades. Les chiffres ne sont pas « faux » mais jamais anodins. On doute de tout, on pourrait donc affirmer tout et son contraire mais ce négationnisme est dangereux.
1 -Une science malgré les apparences. L’économie, sciences humaines et sociales, l’homme inséré dans la société. Pourquoi tant de difficultés à déterminer que l’économie est une science.
Une science sociale : comment l’homme s’organise dans une société aux biens limités, c’est une question politique. On demande à l’économiste de répondre aux questions telles que « qu’est-ce que bien vivre » « j’ai des biens personnels et de groupes». Nous sommes dans une logique égocentrique. Les économistes ne sont pas d’accord sur les réponses. Certains sont les tenants de la science économique : bâtir des modèles, publier dans des revues, laisser faire les marchés. D’autres sont les tenants du bien vivre dans la société, de la lutte contre la logique égocentrique et la limite des libertés pour revenir au global, la correction des déséquilibres. Les premiers ont gagné mais cette économie libérale a mené à tous les dérèglements, le chômage, la crise … La réponse technique n’est pas suffisant.
Ce n’est pas une science exacte. Dans le cadre de cette science sociale, l’économiste doit admettre qu’il va produire des connaissances mais pas des solutions pérennes et intemporelles. Par exemple, offre et demande, produits chers, peu de demandes. Produits pas chers mais forte demande qui peut entraîner une pénurie. Quand il y a déséquilibre sur le marché, on va vers une offre qui correspond aux demandes : logements à Annemasse. Parfois la demande est forte et l’offre aussi (essence). On ne peut donc pas tout expliquer avec la loi de l’offre et de la demande.
Une science historique. Exemple du salaire minimum : dans les années 60, l’ouvrier n’était pas en concurrence avec les ouvriers étrangers. Le salaire suivait l’inflation, les écarts de salaires n’étaient pas aussi importants. Les augmentations étaient globales et non pas individuelles. La majorité des biens étaient fabriquée en France. Cette loi était valable en 1960, la croissance a duré 30 années et on a cru qu’elle serait éternelle.
Obstacles majeurs à l’idée d’une science exacte. Sur le plan sociologique, les motivations de l’individu sont totalement aléatoires : confiance ou peur de l’avenir, estime de soi, fidèle aux traditions, aventureux … Par exemple, baisse du pouvoir d’achat, peur de l’avenir = on maintient quand même les dépenses et on prend sur les économies ou on n’achète plus. Les deux scénarios sont possibles. Les prévisions des économistes sont très difficiles car ils travaillent sur des sujets et non pas des objets. Des sujets agissant, selon les prévisions des économistes, les sujets réagissent : spéculation, bulles qui explosent, marché immobilier. Le sujet est un objet pensant. Une expertise empirique : les citoyens sont des experts selon leurs propres expériences – chômage, travail, budget, fiscalité – L’économiste doit se confronter à tous les citoyens qui sont des experts ce à quoi ne sont pas confrontés les autres scientifiques ! L’économiste est sous le feu des critiques de tous.
Économistes sous influence ? Ils sont souvent dans les banques, les universités, l’état et peuvent être en conflit d’intérêt. Leurs activités influencent-elles leur pensée ? A lire « Les imposteurs de l’économie » de Laurent Mauduis. Voir Henri Lorenzi, Olivier Pastré, Daniel Cohen. C’est une corruption de connivence. Ils ne sont pas vendus au système, ne sont pas payés mais ils sont acquis au système, font partie d’une communauté de croyance. Contrat implicite entre leur employeur et eux pour faire carrière à condition d’être dans le rang. Influence discrète et sournoise. Dans les médias. .Des centaines d’articles – Arthus, Minck, Attali – Ceux qui sont critiques ne sont qu’un ou deux. Les économistes ont pris la place des journalistes qui n’ont plus le temps de faire leur propre expertise. La parole de l’expert passe, il suffit d’être clair et court. Le journaliste ne prend pas de risque. Dans les journaux l’économie se limite à la Bourse, aux finances, aux entreprises … on ne parle jamais dans quelle société on veut vivre. Mais depuis un certain temps, on assiste à un peu plus de visibilité avec la Charte déontologique. Les économistes ne sont pas tout dans le système mais ceux que l’on sont ceux proches du pouvoir et qui influencent les prises de décision. On n’entend pas ceux qui ne sont pas dans la ligne.
Une science presque comme les autres. On part d’un problème, on l’analyse, on propose des solutions qu’on valide ou pas. Démarche globale comme les autres sciences. Les vérités ne sont pas intemporelles elles sont soumises au processus de connaissances comme les autres sciences (l’univers …). Les prévisions sont aléatoires comme les autres sciences (météo, tremblements de terre …). Dans les sciences que l’on dit exactes, il y a débat, contradictions, même dans les mathématiques (OGM, environnement …). Conflits, conflits d’intérêt dans la plupart des sciences. Jugement de valeur, a priori, références idéologiques, les sciences sociales n’en sont pas exemptes, mais sont-elles fausses pour autant ?
2 – Des chiffres et des courbes. On ne supporte pas le flou et on veut savoir le vrai et le faux. Entre interprétation du réel, faux débats autour des chiffres, qu’en est-il ?
Inflation, l’impossible mesure. Elle est permanente (sauf années 30). Indice des prix à la consommation : INSEE soit 250 employés, 160 000 relevés de prix tous les 15 jours, tout type de points de vente selon des critères géographiques. Tous les achats moyens d’un couple avec deux enfants. L’INSEE applique une pondération car les critères ne sont pas les mêmes pour les hausses de loyer que pour le pain. L’indice des prix à la consommation y compris de tabac, à fin octobre 2013 était de 127.26 et en janvier 2000 de 101.30 soit une hausse de 25,60 %. La courbe montre que le passage à l’€uro n’a pas eu d’incidence et le ressenti des gens n’est pas du tout conforme à la réalité. Par exemple la hausse INSEE pour 2008 est de 2.80 % et pour les gens, le ressenti est de 10 %.. Pourquoi ? Miroir déformant, on ne connait les prix que de ce qu’on achète et de plus récemment. On retient ce qui dégrade le pouvoir d’achat mais pas ce qui l’améliore : guerre des prix, vie moins chère. Et pourtant des prix baissent comme les ordinateurs (- 77 % depuis 1998), les appareils ménagers, la photo, l’optique, l’audiovisuel, le téléphone et aussi l’effet qualité que l’expert va calculer à 23 % de janvier 1998 à octobre 2013. Faisons la part des choses : il n’y a pas d’inflation quand on parle équipement des voitures, bricolage, médicaments, ordinateurs mais pour d’autres dépenses on n’a pas le choix, ce sont les dépenses contraintes, impôts, taxes …consommations non marchandes qui ne sont pas prises en compte dans l’indice des prix à la consommation. La mesure officielle et rigoureuse de la hausse des prix sont basées sur des conventions qui, elles, peuvent être modifiées, la pondération étant modifiée régulièrement.
Nombre des chômeurs Savoir déjà ce qu’est un chômeur. En septembre 2013, les chiffres varient entre 3 296 000 et 5 431 000. Comment les définir : certains sont actifs/inactifs soit temps réduit volontaire. Actifs/chômeurs soit temps réduit non volontaire. Actifs/inactifs soit travail clandestin. En formation. En semi retraite. Non inscrits car découragés.
Catégories A D E = 3 296 000 sans emploi du tout
Catégories B D E = 622 500 sans emploi ou emploi à – de 78h par mois
Catégories C D E = 875 100 sans emploi ou emploi à + de 78h par mois
Ceux là sont tenus à faire des actes positifs
Catégories D DE = 281 000 maladie, stage
Catégories E DE = 357 300 emploi contrat aidé ————— Total 5 431 900
Les mesures sont faites par l’INSEE et Pôle Emploi, pas dans le même délai ni avec les mêmes critères. Personne, malgré ces deux organismes, ne connait le chiffre exact du chômage. Le statistiques mesurent des conventions et pas des réalités = un miroir dans lequel se regarde la société.
5 règles d’or à adopter – On ne peut rien dire d’un chiffre si on ignore comment il a été fabriqué. – Un seul chiffre ne saurait dire la vérité sur une réalité sociale infiniment complexe. – Les chiffres ne parlent pas d’eux-mêmes, nous les faisons parler. – Vigilance avec les proportions. Par exemple 25 % des jeunes au chômage alors qu’il s’agit de 9 % de tous les jeunes, actifs ou pas. – Se méfier des impressions que l’on a avec les graphiques, croissance, indice PIB …
3 – Des vérités qui s’imposent : – Production + import = consommation + investissements + export.
– Production = emplois disponibles x durée du travail par année x production par heure de travail qui elle continuera à progresser de près de 2 % par an. – Si la croissance est proche de zéro et comme la productivité augmente de 2 % par an, on réduira le nombre d’emplois et le temps partiel subi. – La valeur ajoutée se divise en quatre parts : personnel + capital + entreprise + administration civile.