N° 13 – L’AFFAIRE BEN BARKA

Maître Maurice BUTTIN – Avocat de la famille de Medhi BEN BARKA – 26 MARS 2014 – 39 participants.
Le 29 octobre 1965, le leader marocain est enlevé. Depuis, l’avocat avec d’autres confrères, luttent au côté de la famille pour tenter de découvrir la vérité sur ce crime, toujours à l’instruction au Tribunal de Grande Instance de Paris.
Né en 1920 à Rabah, d’une famille de petits fonctionnaires Medhi Ben Barka passe sa jeunesse au Maroc. Il fait des études de mathématiques au lycée français, obtient le BAC avec mention et devient professeur de lycée. Très tôt il s’engage en politique contre le protectorat français. Il milite dans le parti de l’Istiglal, parti de l’indépendance et manifeste avec les nationalistes. Pour le Protectorat, il est l’ennemi n° 1. En 1953, de nombreux nationalistes sont arrêtés et sont défendus par les avocats Buttin, père et fils. Tous les dirigeants sont en prison et sont remplacés par des terroristes qui sont responsables d’attentats. En 1953, le Sultan Mohammed Ben Youssef (futur Mohammed V) qui soutient le parti de l’indépendance est contraint à l’exil, Corse et Madagascar, par la France. Ben Barka participe aux négociations pour le retour du roi, et à son arrivée triomphale à Rabah en novembre 1955. De 1956 à 1959, Ben Barka est président de l’Assemblée consultative du Maroc. Représentant de l’aile gauche du parti qu’il juge trop conservateur, il fonde en septembre 1959 l’Union Nationale des Forces Populaires (UNFP), principal parti de gauche qui s’oppose au pouvoir royal. Le Prince héritier, futur Hassan II, ambitieux et pressé de succéder à son père organise la répression contre les forces de gauche et s’acharne à abattre le gouvernement. Il demande l’interdiction du PC marocain. En mai 1960, c’est la fin de la gauche au pouvoir. Medhi Ben Barka, poursuivi par le Prince s’exile à Paris.
En 1961, à la mort de Mohammed V, Hassan II monte sur le trône. Une Constitution est proclamée en 1962 mais dans les faits elle entérine une monarchie absolue. Sur une offre de paix d’Hassan II, Ben Barka rentre au Maroc en mai 1962. En novembre il échappe à un premier attentat organisé par le général Oufkir et le colonel Ahmed Dlimi. Elections en 1963 qui voient la victoire de la gauche mais les résultats sont truqués pour éliminer l’opposition. Hassan II organise des complots contre lui-même pour arrêter des milliers d’opposants. Grands procès où Maurice Buttin plaide, seul Français parmi les avocats marocains. Nouvel exil en juin 1963 pour Medhi Ben Barka qui est condamné à mort par contumace le 14 mars 1964 pour complot et tentative d’assassinat contre le roi. En mars 1965, révolte des sans-emploi, des jeunes. Le général Oufkir mène une répression sanglante qui cause des milliers de morts. Le 8 juin 1965, état d’exception, le roi a tous les pouvoirs. Le 19 juin 1965, en Algérie, Ben Bella est renversé par l’armée et remplacé par Boumediene. Pas de réactions des Algériens. Situation au Maroc, en Algérie, l’ensemble des dirigeants arabes n’est pas concerné et ne s’occupe plus de ce que se passe dans ces pays.

Pendant ce temps, Medhi Ben Barka est en exil devenant un « commis voyageur de la révolution » : Alger où il rencontre Che Guevara, Malcolm X, Le Caire, Rome, Genève, La Havane, tentant de fédérer les mouvements révolutionnaires du tiers-monde en vue d’organiser la Conférence tricontinentale pour janvier 1966. Ses objectifs sont l’aide aux mouvements de libération, le soutien à Cuba contre l’embargo américain, la liquidation des bases militaires étrangères et l’abolition de l’apartheid. C’est peut-être dans l’organisation révolutionnaire de la Tricontinentale que se trouve la cause profonde de l’enlèvement et de l’assassinat de Ben Barka.
Le 20 août 1964, Ben Barka est gracié par Hassan II avec tous les condamnés à mort du « complot du 16 juillet 1963 ». En avril 1965, il bénéficie de l’amnistie générale accordée par le roi à tous les prisonniers politiques mais malgré le souhait du roi, il ne rentre pas. C’est alors que le roi décide de son enlèvement et que les services secrets français et marocains entrent en jeu.

Chronologie de l’Affaire Ben Barka Sources l’Express
29 octobre 1965, 12h30. Mehdi Ben Barka est enlevé par deux policiers français, Louis Souchon et Roger Voitot, devant la brasserie Lipp, à Paris. L’opposant au régime marocain avait rendez-vous avec des cinéastes, Philippe Bernier, réalisateur, et Georges Figon, producteur, pour un projet de films sur la décolonisation. Il n’a pas réapparu et son corps n’a jamais été retrouvé. Assassinat ou accident ?
30 octobre 1965. L’étudiant qui accompagnait Ben Barka avertit les autorités de l’enlèvement de l’opposant marocain.
2 novembre 1965. Deux journalistes de L’Express, Jacques Derogy et Jean-François Kahn, publient un article intitulé Les étranges coïncidences de l’affaire Ben Barka. Ses auteurs, qui ont mené l’enquête, ont rencontré Philippe Bernier, le frère de Mehdi Ben Barka et l’avocat de Georges Figon, Pierre Lemarchand.
10 janvier 1966. L’Express titre en Une : J’ai vu tuer Ben Barka, un témoignage de Georges Figon, recueilli par les mêmes Jacques Derogy et Jean-François Kahn. Le scandale est révélé. La France lance un mandat d’arrêt à l’encontre du général Mohammed Oufkir, ministre marocain de l’Intérieur et chef des services secrets.
17 janvier 1966. Cerné par la police qui a ordre de le retrouver, Georges Figon se suicide. Sa mort confère à l’affaire sa dimension de scandale.
5 septembre 1966. Le procès des accusés dans l’enlèvement de Mehdi Ben Barka s’ouvre à Paris.
5 juin 1967. Le procès s’achève après le défilé de 167 témoins, dont l’équipe de L’Express. Il voit les seuls Antoine Lopez, chef d’escale à Orly et informateur des services secrets marocains (SDCE), et Louis Souchon condamnés à six et huit ans de réclusion. Le général Mohammed Oufkir et la bande à Georges Boucheseiche, un truand habitant à Fontenay-le-Vicomte, chez qui fut probablement exécuté Mehdi Ben Barka, sont pour leur part condamnés par défaut à la réclusion à perpétuité. Les relations franco-marocaines sont refroidies par cette affaire jusqu’à la retraite du général de Gaulle et l’élection à la présidence française de Georges Pompidou.
Juin 2001. Des révélations d’un ancien membre des services de renseignement marocains, Ahmed Boukhari, publiées dans Le Monde (français) et Le journal (marocain), relancent la polémique, confirmant l’implication du ministre de l’Intérieur de l’époque, Mohammed Oufkir.
2003. Un livre témoignage de l’ancien agent secret marocain Ahmed Boukhari accuse l’ancien ministre de l’Intérieur Mohammed Oufkir d’avoir poignardé Ben Barka et fait rapatrier son corps au Maroc pour le dissoudre dans une cuve d’acide.
2004. La famille de Mehdi Ben Barka souhaite une « décision définitive » de la France sur la déclassification du dossier couvert par le « secret défense » depuis 39 ans. Le fils de l’opposant marocain en fait la demande dans un entretien à Al Ittihad, journal de l’Union socialiste des forces populaires (USFP).
15 octobre 2004. La commission consultative française du secret de la Défense nationale approuve la déclassification des informations demandées par le juge Claude Choquet, chargé de l’enquête sur la disparition du leader de la gauche marocaine.
Octobre 2005. 40e anniversaire de la disparition de Mehdi Ben Barka. Le magistrat français Patrick Ramaël chargé de l’enquête, critique le manque de coopération de son homologue marocain qui prétexte des difficultés pratiques pour ne pas exécuter une commission rogatoire portant sur l’interrogatoire d’une vingtaine de fonctionnaires et militaires marocains.
22 mai 2006.Driss Basri, l’ex-tout-puissant ministre de l’Intérieur du roi Hassan II, comparaît à Paris devant le juge Patrick Ramaël, en qualité de témoin.
26 septembre 2006. Le juge Ramaël délivre une seconde commission rogatoire internationale pour entendre trois témoins au Maroc : Chtouki, alias Miloud Tounsi, l’organisateur présumé du rapt, Boubker Hassouni, suspecté d’être « l’infirmier » qui aurait drogué Ben Barka a et le général Benslimane, chef de la gendarmerie royale.
Octobre 2007. Le juge Patrick Ramaël, qui instruit le dossier signe cinq mandats d’arrêt internationaux contre des Marocains, dont l’un visant le chef de la gendarmerie royale.
Février 2008. La Commission consultative du secret de la défense nationale (CCSDN) française émet un avis favorable à la déclassification de 165 documents des services secrets français datant de l’époque de la disparition de l’opposant marocain.
Fin septembre 2009. Interpol diffuse quatre mandats d’arrêts internationaux en lien avec l’enquête menée par le juge d’instruction Patrick Ramaël, sur la disparition de Mehdi Ben Barka.
2 octobre : le parquet de Paris demande la suspension de la diffusion des mandats d’arrêt quelques jours plus tôt, expliquant qu’Interpol exige des précisions supplémentaires.
11 octobre : selon l’écrivain Georges Fleury, interrogé par le Journal du Dimanche, le corps de Mehdi Ben Barka pourrait avoir été incinéré dans l’Essonne. L’écrivain affirme être en possession d’un rapport de gendarmerie inconnu jusqu’alors.