LOUIS FAVRE, OU COMMENT L’HISTOIRE FABRIQUE UN DESTIN.

Nicole GIROUD Ecrivain. Etudes de Lettres et d’Histoire à Lyon.

Professeur de français à Genève pendant 32 ans.

30 janvier 2013   –   39 participants.

Louis FAVRE, prêtre, fut passeur de documents pour les services de renseignements français et suisses ainsi que passeur d’hommes depuis l’établissement où il enseignait et qui jouxtait la frontière genevoise. Durant toute la guerre jusqu’à son arrestation et à son exécution à quelques semaines de la libération, il mélangea allègrement charité et désobéissance à sa hiérarchie, enseignement et implication totale dans la Résistance française. Ce livre nous plonge dans le quotidien de la frontière genevoise pendant la Seconde Guerre mondiale : trafic intense de documents et d’hommes des deux côtés de la frontière; d’un côté, la ville d’Annemasse, plaque tournante du renseignement allié et, de l’autre, la ville de Genève, avec ses espions de tous horizons…
Louis Favre est un héros  de la région d’Annemasse et à ce titre il a sa rue, son monument mais qu’avons-nous fait de son héritage. Jean Favre, frère de Louis et doyen de la commune a confié à Nicole Giroud toutes ses archives concernant la vie de son frère, lettres, photos, petits billets écrits en prison, petit cahier bleu sur lequel Louis recopiait ses poèmes … Il est né le 2 novembre 1910 à Bellevaux, troisième enfant d’une famille paysanne de quatre enfants. Le père, Joseph, meurt en juillet 1917 sur le front d’Alsace. Marie, la mère élève seule sa famille dans la misère et dans la foi. Louis va à l’école primaire de la commune mais ne correspondant pas aux normes scolaires, trop bon en calcul, en français,  préfère l’école buissonnière. A cette époque, une petite congrégation d’Annecy, les missionnaires de Saint François de Sales, après s’être installée en Suisse et fondé l’Institut Florimont, revient en France et rachète le Juvénat à Ville-la-Grand. Louis (enfant méritant, pauvre et très catholique selon les critères de l’école) y devient pensionnaire dès l’âge de 12 ans. L’éducation contre la prêtrise si l’enfant a la vocation. Les règles sont très strictes, obéissance, silence ; il se rebiffe mais restera 7 années.   A 19 ans, il part à Fribourg pour des études théologiques, fait son service militaire, prononce ses vœux provisoires. Il est ordonné prêtre en juillet 1936 et remplit de fierté sa mère et les habitants du village de son baptême. Doué en littérature, Louis voudrait prolonger ses études, mais sa hiérarchie en décide autrement en l’envoie comme  surveillant à Florimont, premier collège catholique dans la très calviniste Genève, qui accueille des enfants de familles fortunées. Les élèves ne doivent jamais s’ennuyer aussi peut-on s’adonner au théâtre, à la musique, au dessin, aux sports. Louis est ébloui par ces conditions, heureux dans son quotidien de surveillant et professeur de gymnastique, « chouchou » des élèves et des collègues. Mais il se pose des questions sur l’utilité de sa vie dans un monde qui va mal et qui se prépare à la guerre. En septembre 1939, en tant que réserviste, il est affecté à Lyon à la 14ème section d’infirmiers militaires où il ne sa passe … rien. A l’offensive de la Wehrmacht, en mai 1940, Louis est transféré dans les Alpes où il devra se battre contre les Italiens. Les soldats de l’Armée des Alpes ne seront pas faits prisonniers ni vaincus et Louis est démobilisé le 3 août 1940. Il revient  au Juvénat pour enseigner. C’est la fin de la 3ème République et le maréchal Pétain recherche le soutien de l’église catholique et il le trouve très facilement. L’église adhère sans réserve à ces mots qui sont aussi les siens : « Travail, Famille, Patrie ». Au Juvénat, la concorde ne règne pas vraiment et  certains se demandent pourquoi un armistice si rapide, comment le vainqueur de Verdun a-t-il pu brader ainsi la France. Mais la majorité des enseignants soutient Pétain. Louis se demande comment lutter malgré la défaite et se pose encore plus de questions de conscience après les lois antijuives d’octobre 1940. L’église ne réagit pas et Louis va évoluer vers la désobéissance, porté en cela par les écrits de Pie XI qui dénoncent les dangers du nazisme dès 1937. Louis fait partie de ce courant de pensée très minoritaire qui prône la résistance au nazisme.

Un premier réseau de résistance et d’aide aux Juifs est créé à Lyon. Le Juvénat, grande bâtisse à la frontière, devient un lieu de passage pour la Suisse mais, les prêtres qui doivent obéir à la hiérarchie prennent des risques en désobéissant et font preuve d’un grand courage. De 1940 à 1942, Louis Favre rejoint Florimont , établissement français sur le sol suisse. La loi est celle de Vichy et là encore, Louis proteste, désobéit, s’insurge contre les lois raciales. Il se rend souvent au Juvénat et va servir de lien entre le centre d’accueil des réfugiés d’Annemasse et Jean Deffaugt qui organise cet accueil. Du jardin du Juvénat, il organise avec les autres religieux de très nombreux  passages vers la Suisse, de réfugiés et de résistants (Hollandais, Polonais, Juifs …). Il pense que le Juvénat ne risque rien et que lui « n’intéresse personne ».  En janvier 1942, Louis est contacté par René Blanc, le chef départementale  du mouvement Combat. En tant que religieux, patriote, et navigant entre France et Suisse avec la confiance des douaniers, il serait le candidat idéal pour passer des documents. Il accepte et entre dans la Résistance en janvier 1942 et travaille pour le service secret de Combat  et les services secrets de la France libre installés à Londres, en lien avec les services secrets britanniques. Louis devient un passeur important,  heureux car enfin il agit. Mais ses prises de position et sa désobéissance sont sanctionnées par son renvoi de Florimont et son retour au Juvénat. Mais pour le Juvénat il est un terroriste et en souffre dans une grande solitude.

On retrouve les actes de résistance de Louis Favre dans les archives qui sont ouvertes depuis 2008. Son action est très importante dans la résistance, au service de renseignements de Combat et dans le réseau Gilbert du Colonel Groussard à Genève à partir de novembre 1942. La Suisse est la  plaque tournante de l’espionnage et le passage de l’information par le Juvénat devient vital pour les Alliés. Louis se donne à fond et imprudemment. Il est arrêté le 3 février 1944 au Juvénat par les douaniers allemands et les SS, papiers et lettres saisis. Il est emprisonné à Annemasse et interrogé à l’hôtel Terminus par le service des Douanes. Les cris, les coups pleuvent sur lui pour lui faire avouer pour qui il travaille. Torture, coups au nerf de bœuf, eau glacée, la baignoire peut-être, faim, soif, peur, stupeur. Il ne parle pas. Il est transféré à Annecy, à l’école Saint-François transformée en prison par la Gestapo. Il est interné dans un cachot aménagé dans la cave. A nouveau interrogé, torturé par des SS et la Gestapo. Des jours et des jours. Sa sœur Marie vient le voir et lui passe un carnet  et un crayon à papier. Il est sauvé, il peut écrire, communiquer, il retrouve son optimisme. Marie lui amène même son harmonica et la cave toute entière retrouve de la vie. Louis aide ses camarades d’infortune, les soigne, les réconforte, il agit porté par la charité  et l’amour de dieu. Il écrit dans son carnet. Le 8 avril 1944 « La véritable prison ? C’est la société ! Dans ces murs, j’ai connu la Liberté … » Le 13 avril, treize prisonniers sont fusillés. Pour Louis les interrogatoires se poursuivent. Le colonel Groussard prépare l’évasion du Père Favre, Louis est prévenu de se tenir prêt mais il refuse cette aide, il ne veut pas risquer des représailles contre sa famille et ses camarades encore dehors. Il dis tout cela dans une lettre pour ses amis suisses. Il est prêt pourtant à toute éventualité mais est sûr que d’être libéré en toute légalité. Mais cela ne viendra pas et  le dimanche 16 juillet 1944, avec 7 camarades, il est fauché par les rafales d’un fusil mitrailleur, en plein champs, à Vieugy.

Le 19 août 1944, Annecy est la dernière ville du département à être libérée.

En 1957, Israël crée le Mémorial Yad Vashem à Jérusalem en mémoire de ceux qui ont aidé des juifs. En 1968, le Père Favre reçoit la médaille des Justes.   

« Quiconque sauve une vie sauve l’humanité toute entière. »

Extrait du Coran, Sourate 5, verset 32

Alors, pour les Fils d’Israël, nous avons écrit ceci:
« Voici, qui tue quelqu’un
qui n’a tué personne ni semé de violence sur terre
est comme s’il avait tué tous les hommes.
Et qui en sauve un
est comme s’il avait sauvé tous les hommes. »

Cette sourate tire ses sources de la Torah, d’une sentence dans la Mishna Sanhédrin, 4,3.