LA SUISSE ET LA CONSTRUCTION EUROPÉENNE – LES CONSTANCES ET LES NOUVEAUX DÉFIS.

Antoine FLEURY

Professeur titulaire à la Faculté des Lettres de l’Université de Genève jusqu’en 2008.

23 avril  –  24 participants.

« La question centrale qui mérite d’être posée au départ d’une mise en perspective historique de la position prise par la Suisse par rapport au processus d’intégration européenne est celle-ci : la politique du gouvernement fédéral s’explique-t-elle avant tout ou du moins dans une large mesure par le statut de neutralité tel qu’il a été établi par les Puissances au Congrès de Vienne (1815) qui ont déclaré que « La neutralité et l’inviolabilité de la Suisse et son indépendance de toute influence étrangère sont dans les vrais intérêts de la politique de l’Europe entière ». ?

Faut-il rappeler que ce statut a été confirmé et respecté dans tous les conflits européens de 1815 à nos jours ? La détermination du peuple suisse et de son gouvernement à maintenir ce statut qui a procuré tant de bienfaits au pays épargné par les ravages des guerres modernes apporterait-elle une explication supplémentaire de la politique de réserve pratiquée par le gouvernement fédéral à l’égard des projets d’intégration  européenne ? C’est ce qui est largement admis  tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays.

Sans vouloir récuser cette argumentation qui fait trop exclusivement référence à des données historiques, conventionnelles et psychologiques incontestables, il peut être intéressant de s’interroger si d’autres raisons n’ont pas aussi contribué à façonner, voire selon les cas, à dicter la politique européenne de la Suisse. Nous examinerons notamment dans quelle mesure la conception des milieux dirigeants par rapport à la participation de la Suisse à l’économie mondiale dans la deuxième moitié du XXe siècle n’a pas exercé une influence plus ou moins déterminante sur la politique européenne de Berne. Un autre argument qui est souvent invoqué, celui du système politique suisse, en particulier la pratique originale de la démocratie directe, ne sera que mentionné, tant il apparaît relativement tard dans l’argumentation des milieux opposés à l’adhésion de la Suisse à l’Union européenne ; c’est en effet le développement des institutions de cette dernière qui a favorisé la prise en compte de la question de la compatibilité des institutions politiques suisses avec celles de l’Union européenne dans le débat sur l’adhésion. »

La Suisse, petit pays mais capitale du monde. L’union européenne, après avoir occupé un petit bureau il y a 30 ans vit dans un bâtiment qui accueille une grande représentation européenne.

Paradoxes entre Suisse et Union européenne : la Suisse est un point immobile au cœur de l’Europe. Aucune expansion depuis 1815. Elle ne recherche pas d’espaces, n’a pas voulu de colonies, n’est plus occupée depuis 1815 et possède le même régime depuis 1858. La permanence des institutions est une fierté institutionnelle. L’Union européenne passe de 6 pays à l’origine à 27 en 2013 ; elle s’étend jusqu’au Pacifique, jusqu’en Océanie. La mer est une ouverture qui a fait la richesse mais que l’on ferme aujourd’hui. L’expérience suisse des 26 cantons aurait dû être un modèle pour l’Europe : démocratique, fédérale, libre dans chaque pays mais en fraternité. Les Suisses sont porteurs de paix mais tant que l’Europe ne ressemble pas à leur pays, les Suisses se tiennent à l’écart. Vu de Suisse, l’Union européenne dicte des pratiques qu’elle devrait appliquer chez elle.

Sous la pression de Bruxelles et pour entrer dans l’Union européenne, la Suisse devrait faire beaucoup de compromis et elle ne pourrait imposer ses vues. Elle peut mieux influencer l’Europe en restant au dehors, en se tenant à l’écart des querelles des puissances extérieures. Elle est allergique à toute alliance. La liberté a un coût mais LA Suisse en étant petite dans ses gènes est finalement grande. En effet elle est un partenaire très important de l’Union européenne. Les échanges représentent un milliard de Francs suisses par jour, importations et exportations Suisse/Europe représentent les 4/5ème des échanges. La Suisse est le 2ème marché mondial pour l’Union européenne. Investissements : 70% du capital viennent de l’UE qui investit en Suisse. 40% des investissements suisses vont vers l’UE et 60% vers le monde  ce qui place la Suisse comme grande puissance mondiale.  Les entreprises suisses génèrent un million d’emplois pour des étrangers qui vivent en Suisse et pour 264 000 frontaliers  (à fin 2012).

1815 : Traité de Vienne. Neutralité et inviolabilité, ce qui sera confirmé dans tous les conflits jusqu’à nos jours. Est-ce cette neutralité qui explique la politique européenne de la Suisse ? La démocratie directe est-elle aussi un argument ? 1919 : le 28 avril, la Conférence de Paris adopte le Pacte, fondateur de la Société des Nations afin de préserver la paix en Europe  à la fin de la Première Guerre mondiale (le principal promoteur en fut le président Wilson mais les Etats Unis ne feront jamais partie de la Société des Nations). Genè7ve est choisie pour abriter le siège de la première organisation pour la paix et la sécurité internationale. Le peuple suisse est interrogé  sur « faire partie de la Société des Nations »  et le 16 mai 1920, 56% des citoyens acceptent l’adhésion. Mais avant cela, le 13 février , dans une déclaration de Londres, les grandes puissances garantissent la neutralité de la Suisse et la déclarent compatible avec l’appartenance à la Société des Nations. La Suisse est alors le seul pays dans la Société des Nations avec ce statut de neutralité. La Suisse est neutre mais pas isolée. En 1947, elle accepte de collaborer au Plan Marshal, pour la reconstruction économique de l’Europe mais le 9 juillet, lors de la conférence européenne qui prépare la réponse aux Américains, elle pose ses conditions. Le 16 avril 1948, c’est la fondation de l’Organisation européenne de coopération économique (OECE). En 1963, Convention du Conseil de l’Europe, la Suisse se tient à l’écart de toute construction politique. En 1959, est créée l’Association Européenne de libre-échange pour regrouper les pays qui ne souhaitent pas entrer dans la CEE, la Suisse en fait partie. Avec Jacques Delors, président de la Commission européenne, vont s’ouvrir des années de négociations pour que la Suisse entre dans l’Union européenne. Le traité sur l’espace économique européen est fait sur mesure pour la Suisse. Mais c’est un échec total car en 1992, une votation des Suisses refuse que leur pays entre dans cet espace. On recherche toujours une solution. Fin 1993, reprise des négociations Suisse/Union européenne. Le 21 juin 1999, 7 dossiers qui font l’objet d’accords sectoriels sont acceptés par 67,2 % des voix de la totalité des cantons soit l’intégralité des accords bilatéraux Suisse/Union européenne. En vigueur depuis 2002, ces accords anticipent une adhésion, une intégration mais personne n’ose parier sur un délai ! En 2004, 9 nouveaux dossiers qui trouveront accords en 2008. En 2005, accords sur la fiscalité, modalités d’imposition transfrontalières, sur les produits agricoles transformés, l’environnement. En 2007, accords sur les médias, l’éducation, la formation, la vieillesse, la retraite. En projet, un accord cadre.

En conclusion, les Bilatérales sont une formule payante. Des solutions sont toujours à trouver avec la Suisse qui est un partenaire très important.  La démocratie directe fascine et donne des idées  aux opinions publiques européennes.

Bibliographie  : Les Droits de l’homme en Europe depuis 1945 – Katyn et la Suisse : experts et expertises médicales dans les crises humanitaires, 1920-2007 – Les débuts de la politique de la recherche suisse : Histoire de la création du fonds national suisse de la recherche scientifique 1934-1952 – La Suisse et la construction européenne : les constances et les nouveaux défis.

 L’usage du monde   Un voyage se passe de motifs. Il ne tarde pas à vous prouver qu’il se suffit à lui-même. On croit qu’on va faire un voyage, mais bientôt c’est le voyage qui vous fait, ou vous défait. La vertu du voyage, c’est de purger la vie avant de la garnir.

Comme une eau, le monde vous traverse et pour un temps vous prête ses couleurs. Puis se retire, et vous replace devant ce vide qu’on porte en soi, devant cette espèce d’insuffisance centrale de l’âme qu’il faut bien apprendre à côtoyer, à combattre, et qui, paradoxalement, est peut-être notre moteur le plus sûr.

Nicolas BOUVIER