BILLET D’HUMEUR N° 8 – JANVIER 2016

L’année 2015 restera à jamais marquée dans nos mémoires et nos cœurs par la barbarie dont ont été victimes des dizaines de nos compatriotes : en janvier, les dessinateurs et amis de Charlie Hebdo et les employés et habitués de l’Hyper Cacher, en novembre toute une génération avide de liberté et pleine de talents. Ces actes criminels ont fait aussi des milliers de victimes indirectes parmi les témoins, parmi nous, dans nos cœurs et nos consciences. Comment vivre avec ça, quelle consolation pouvons-nous chercher ? Comment poursuivre nos vies ? 2015, ce sont aussi les millions de migrants qui fuient des pays dévastés par la guerre et la misère et qui frappent à nos portes. Comment catégoriser ceux qui fuient la guerre et ceux qui fuient une vie sans espoir ? Ne sont-ils pas tous en danger ? Ne peuvent-ils pas tous aspirer à la vie, à une meilleure vie ? Notre histoire récente n’est-elle pas faite de migrations successives ? Il y a toujours eu des voix pour inciter à fermer la porte à l’autre, pourtant nous les avons accueillis, Juifs, Arméniens, Russes, Espagnols, Italiens, Portugais, Polonais, Algériens, Tunisiens, Marocains, Chiliens, Argentins, Vietnamiens, Cambodgiens et d’autres encore. Certains que nous avons fait venir pour travailler, d’autres qui fuyaient les persécutions, les dictatures, les guerres, la famine. Et ce sont tous ces gens qui forment la France d’aujourd’hui. On ne peut refaire l’histoire.

Quelle sont les bonnes réponses ? Qui a les réponses ? Que penser de l’Europe ? Que faire en tant que citoyens ? Comment combattre la peur et la xénophobie quand on voit un parti politique «jouer» sur ces peurs, sur le rejet de l’autre, sur la misère et le malheur et prôner toujours plus de frontières et de repli sur soi ? Et gagner dans les urnes malgré l’absurdité et la dangerosité de son programme qui passe au second plan.

Pour moi, plus de questions que de réponses et un chagrin qui vient assombrir les bons moments et contre lequel je dois me battre. Un grand vide, le sentiment d’une sorte de perte d’innocence, une déchirure du cœur par laquelle coulent les larmes. L’expression « touchée en plein cœur » prend tout son sens. A la veille des fêtes de fin d’année, une exaspération à la caisse des magasins, un rejet de tout ce déballage consumériste … et pourtant … Pourtant, ce spectacle est plein de vie, chacun trouve sa consolation comme il le peut, comme il l’entend et ce serait trop orgueilleux de ma part d’y mettre une hiérarchie. Faire plaisir, penser à ceux que nous aimons, offrir de la culture, de la beauté, partager un bon repas, être généreux, souhaiter sincèrement le meilleur, faire la paix avec un proche. Selon nos moyens bien sûr, et certains en ont peu, mais le partage et la générosité ne se comptent pas toujours en argent.

Je sors de ma tristesse, je soigne mon chagrin dans la proximité réconfortante avec mes semblables, (dans la rue, au café, sur le marché, au théâtre, au concert), dans le temps passé à choisir des livres pour mes petits-enfants, à élaborer mes menus pour familles et amis, dans le plaisir solitaire et immédiat d’un livre qui m’entraîne dans d’autres vies, d’autres cultures, d’un film qui fait rire, qui fait pleurer, dans un coup de fil inattendu . Des larmes qui viennent enfin quand ceux que j’aime si fort repartent au bout du monde, des larmes bienvenues car elles disent que je suis en vie. Des petites choses en somme, des choses de la vie.

Mais pour nous tous, il faudra quand même des mots et des actes au-delà du tout sécuritaire et des bruits de guerre, un récit de l’histoire d’une France accueillante et ouverte, forte de sa diversité, un projet qui nous rassemble au-delà des peurs et des différences et qui nous donne de l’espoir dans un avenir commun.

C’est ce que je voudrais vous souhaiter, chers amis des Universités Populaires, des mots pour comprendre, des mots pour trouver un sens, des mots qui rassemblent et qui parlent d’espoir et de liberté.

“Rien au monde ne peut empêcher l’homme de se sentir né pour la liberté. Jamais, quoi qu’il advienne, il ne peut accepter la servitude ; car il pense.” Simone WEIL

Un petit livre à offrir aux enfants et aux parents, à s’offrir aussi : « Eux, c’est nous » avec un texte inédit de Daniel Pennac – Les éditeurs jeunesse avec les réfugiés.
Un film qui donne de l’espoir après « En quête de sens » : « Demain – Partout dans le monde des solutions existent» de Cyril Dion et Mélanie Laurent. C’est aussi un livre.

« Le déracinement est de loin la plus dangereuse maladie des sociétés humaines, car il se multiplie lui-même. Des êtres vraiment déracinés n’ont guère que deux comportements possibles : ou ils tombent dans une inertie de l’âme presque équivalente à la mort, comme la plupart des esclaves au temps de l’Empire Romain, ou ils se jettent dans une activité tendant toujours à déraciner, souvent par les méthodes les plus violentes, ceux qui ne le sont pas encore ou ne le sont qu’en partie. » L’enracinement de Simone Weil

« Je m’intéresse à l’avenir car c’est là que j’ai décidé de passer le restant de mes jours » Woody Allen
Françoise