LE TRAVAIL, ENTRE ESTIME DE SOI ET SOUFFRANCES

1. On avait pronostiqué dans les années 70 / 80 l’avènement de « la civilisation des loisirs », et même la « fin du travail ».
Or, lorsque l’on demande aux gens ce qui compte le plus pour eux dans leur vie, ils répondent, à une écrasante majorité : « La famille », puis… « Le travail »
Etonnant, non ?
2. Depuis plusieurs dizaines d’années, on ne cesse de voir disparaître des tâches répétitives ou dangereuses, désormais confiées à des dispositifs mécaniques ou électroniques.
Associée à l’élévation générale des niveaux de formation, cette tendance peut accréditer la thèse d’une raréfaction du travail pénible et du travail peu qualifié, voire d’une disparition progressive du travail ouvrier.
Or il n’en est rien ! Toutes les enquêtes le prouvent. Surprenant, non ?
3. L’actualité le montre tous les jours : ce sont les individus qui ont les emplois les moins valorisants, les plus mal rémunérés, qui sont prêts à tout pour les conserver, comme s’ils tenaient plus qu’à tout autre chose à un travail abrutissant et peu gratifiant. Etonnant, non ?
4. La croissance des souffrances au travail est une réalité qui va bien au delà des rares cas de suicides au travail. Et pourtant, la majorité des gens en souffrance supportent ces souffrances, en silence, ou en se contentant de mots pour les dire. Comment expliquer cette forme de soumission ?

Nous vous proposons de montrer que ces contradictions n’en sont pas, en croisant les regards disciplinaires complémentaires que sont ceux de l’économiste, du sociologue, de l’historien, du philosophe et du psychologue.
Quelle est donc la thèse que nous allons défendre ?
Depuis les années 70 / 80, le capitalisme a changé de visage. Un nouveau modèle productif s’est mis en place. Il a un nom : la firme réseau et le productivisme réactif.

L’émergence de ce nouveau modèle
• n’est pas le bébé d’un quelconque pouvoir occulte, d’un grand manitou qui s’appellerait « marchés financiers » ou « grand capital ». Les entreprises ont changé leurs organisations pour s’adapter à une nouvelle donne.
• elle n’a pas fait disparaître la pénibilité physique au travail, ni les risques d’accidents et de maladies professionnelles. Tant s’en faut.
• elle s’est surtout accompagnée de nouvelles souffrances, aux formes insidieuses et multiples. Tout se passe comme si, à la fatigue au travail, s’ajoutait aujourd’hui, la fatigue de devoir « être soi ».
• l’émergence de ce nouveau modèle productif n’est pas une fatalité. Elle n’a pu se faire que parce qu’elle a été socialement acceptée. Parce qu’elle rencontrait une autre tendance lourde : la montée de l’individualisme, le désir croissant de l’individu d’avoir prise sur sa vie et la possibilité de trouver dans la consommation marchande un moyen de « se réaliser » et un exutoire à ses souffrances. Mais surtout, parce qu’ont quasiment disparu les capacités de résistance de l’individu et des collectifs de travail.
• ce nouveau modèle productif a profondément bouleversé la place du travail dans nos vies. A la fois moins central mais plus essentiel que jamais, moins pénible mais plus stressant, plus fatiguant et plus impliquant qu’à l’époque de Germinal, pour les ouvriers, comme pour les cadres, pour les travailleurs du privé comme pour ceux du public, pour les salariés comme pour les professions libérales et les travailleurs indépendants.

PLAN DETAILLÉ

I/ LE COMPROMIS FORDISTE EN CRISE
A/ De la crainte de la révolution au compromis fordiste
B/ La crise d’un mode de régulation

II/ VERS UN NOUVEAU MODELE PRODUCTIF ?
A/ Un nouveau modèle de firme
B/ Flexibilité et réactivité : le « juste à temps »
C/ La généralisation de l’usage des technologies de l’information

III/ SOUFFRANCES D’HIER – SOUFFRANCES D’AUJOURD’HUI
A/ Finalement, rien de nouveau ?
B/ Le développement de nouvelles souffrances

IV/ POURQUOI UNE MAJORITÉ CONSENTANTE ?
A/ Des collectifs de travail brisés
B/ La force du système
C/ L’aliénation par la consommation
D/ Montée de l’individualisme et soumission au travail

V/ UN AUTRE MONDE EST POSSIBLE (sous réserve de temps)
A/ Un peu de recul
B/ « L’invention » de la valeur travail

Des lectures conseillées (lorsque l’éditeur n’est pas indiqué, ces livres existent en poche)

 POLANYI, Karl, La Grande Transformation. 1983.
Un incontournable pour comprendre que la place aujourd’hui qu’ont prise le travail, l’échange marchand, ne sont pas des faits de nature, mais les produits d’un processus historique très particulier.
 CASTEL, Robert. Les métamorphoses de la question sociale. 1995.
Un autre livre incontournable, pour comprendre comment il a fallu des siècles de sacrifices et de souffrances pour fixer le travailleur à la tâche, puis pour l’y maintenir en lui offrant un large éventail de protections. Et pour comprendre pourquoi c’est au moment même où la « civilisation du travail » issue de processus séculaires paraissait avoir réglé la question sociale, que la société salariale s’effrite, marquant l’avenir du sceau de l’aléatoire.
 RIFKIN, Jérémy. La fin du travail. 1995.
L’argumentation, dans sa radicalité consiste à soutenir que ce qui est en cause dans la crise actuelle n’est ni le salariat, ni l’emploi, mais bien le travail lui-même : nous n’aurons bientôt plus besoin de travail. Un livre qui a fait grand bruit…
 MEDA, Dominique. Le travail, une valeur en voie de disparition. 1995
Philosophe et sociologue, D. MEDA se propose de remettre le travail à sa vraie place, seconde, mais pas secondaire et, ce faisant, de redonner un sens à la vie en société.
 LINHART, Danièle, MAUCHAMP, Nelly. Le travail. Coll Idées reçues, Le Cavalier bleu, 2009
Un utile dictionnaire des idées reçues sur le travail dans les sociétés modernes.

 DURAND, Jean Pierre. La chaîne invisible. 2006
Sans doute l’analyse la plus rigoureuse du nouveau « productivisme réactif » dont on vous a beaucoup parlé pour comprendre la permanence des anciennes souffrances au travail et l’émergence de nouvelles formes de souffrance.

 ASKENASY, Philippe. Les désordres du travail. 2006.
Un petit ouvrage limpide qui montre comment le nouveau productivisme provoque une dégradation des conditions de travail, dégradation qui n’est pas une fatalité.

 DUBET, François (dir.), Injustices, l’expérience des inégalités, Seuil,
coll. H.C. Essais, 2006, 490 p
Un travail d’enquête minutieux et impressionnant. Ce livre n’est cependant pas un simple récit des malheurs au travail. En replaçant la question de l’injustice au cœur d’une compréhension complexe des inégalités sociales, les auteurs parviennent à révéler les tensions paradoxales que vivent les acteurs sociaux, dans l’expérience du travail, entre satisfactions et insatisfactions.

 LIPOVESTKY, Gilles. Le bonheur paradoxal. Essai sur la société d’hyperconsommation ; 2006
Pour mieux comprendre l’emprise de la consommation dans nos vies et les illusions qui nous anesthésient.

 GOMEZ, Pierre Yves. Le travail invisible. Ed F. Bourin – Février 2013
Voilà trente ans que l’on nous fait la promesse d’une société où l’on ne travaillerait plus. Une société ludique, des loisirs sans fins. Le travail est devenu invisible. Mais la crise du travail montre que les travailleurs aspirent à être reconnus, à trouver du sens à ce qu’ils font au quotidien, à en voir le résultat concret. Dans la vraie vie, le travail peut être pénible et fatiguant, mais il est aussi stimulant et enrichissant. Dans la vraie vie, le travail est vivant.
Un regard particulier et passionnant sur les souffrances au travail, celui du psychanalyste Christophe DEJOURS. On pourra écouter, avec beaucoup d’intérêt,
• Un récent entretien sur France culture : http://www.franceculture.fr/player/reecouter?play=4769410
• Voir aussi ici : http://www.dailymotion.com/video/xm42cb_souffrance-et-sante-au-travail-par-dejours-christophe_news

FILMOGRAPHIE (une sélection de films et de documentaire, discutable comme toute les sélections, mais de films qui nous ont marqués et « donnent à penser »)
• Les temps modernes, Ch. CHAPLIN – 1936
• Mon oncle d’Amérique, d’Alain RESNAIS – 1980
• Travail au noir de STOLIMOWSKI – 1982
• La firme de Sydney POLLACK – 1993
• Ressources humaines, de Laurent CANTET – 1999
• The navigators, de Ken LOACH
• Stupeur et tremblements d’Alain CORNEAU – 2003
Attention ! Danger travail (documentaire) de Pierre CARLES
• Sauf le respect que je vous dois de Fabienne GODET – 2006
• Ils ne mourraient pas tous, mais tous étaient touchés (documentaire) de ROUDIL et BRUNEAU (2006)
• J’ai (très) mal au travail (documentaire) de J.M. CARRÉ – 2006
Disponible ici : http://www.youtube.com/watch?v=nD3mu8UjIvc
• It is a free world de Ken LOACH – 2007
• Rien de personnel de Mathias GOKALP – 2009
Article 23 de J.P. DELEPINE – 2010
• Margin Call de J.C.CHANGOR – 2011
• Mémoires d’ouvriers de G. PERRET – 2011