05 – INFO 09 JANVIER 2019

Louis propose de traiter ce soir le mouvement complexe des gilets jaunes, d’essayer d’en comprendre les mécanismes, de comparer avec d’autres pays, Italie, Angleterre et d’autres mouvements dans le passé.
Ce mouvement des gilets jaunes est ample et durable, puissant et déterminé. Sa composition est diverse, en termes d’activités professionnelles, de lieux de résidence. Il n’est pas lié à une formation politique ou syndicale. Pourquoi se rassemblent-ils ? En général, la stabilité sociale dans un pays est trouvée quand ceux qui dirigent s’entendent avec les citoyens pour obtenir un équilibre, une réciprocité. Depuis 40 ans, nous vivons une transformation fondamentale de la société et en premier lieu, le monde du travail. Rupture du pacte social, rupture d’équilibre par la dégradation des conditions de vie, arrêt de l’ascenseur social. Moins d’entreprises patrimoniales, capitalistes, mais qui avaient le souci de bien produire, de former, de garder les bons éléments. Aujourd’hui, c’est la rentabilité qui prime avant tout. Destruction progressive des protections sociales accordées par l’état, affaiblissement des services publics par la privatisation. Dégradation et appauvrissement des territoires avec les métropoles d’un côté et de l’autre, les secteurs ruraux, éloignés, désindustrialisés. Urbanisation rapide des métropoles qui attirent plus d’habitants. Mais 61% de la population vivent sur ces territoires hors métropoles. Ce sont ces habitants qui se révoltent aujourd’hui. L’état a perdu de sa crédibilité, a perdu de sa position d’arbitre du bien commun, qui garantissait à tous les mêmes services.
Compte tenu de ce constat, les formations politiques ont perdu également de leur crédibilité. Elles n’existent presque plus comme productrices de perspectives et ne sont pas en capacité d’encadrer ce mouvement et de l’aider dans ses revendications. Tout cela entraîne un doute quant au fonctionnement de la démocratie ; tout le monde la réclame, mais plus personne ne sait ce qu’est la démocratie, et c’est une situation très préoccupante.
Le passé : Jacques Chirac en 1995, dénonce la notion de « fracture sociale » pour se présenter en sauveur. Mais les citoyens n’ont rien obtenu en matière sociale et il l’a payé en 2002 avec Lionel Jospin, son premier ministre, éliminé au premier tour des élections présidentielles par Jean-Marie Le Pen. C’était déjà une alerte sur un malaise au sein de la population. Nicolas Sarkozy promet le bonheur et la réparation de la société. Conclusion, il casse la démocratie en trahissant le NON des Français lors du référendum de 2005 sur le traité constitutionnel européen et qui devient sous sa présidence, en 2008, le traité de Lisbonne. Et cela par une révision de la Constitution. François Hollande a tout une panoplie de promesses sociales qu’il piétine en accordant des largesses considérables aux entreprises qui ne rendront pas ce que l’on attendait d’elles en matière d’investissements et d’emplois. Un vrai désenchantement s’est peu à peu emparé des citoyens par la faute des présidents successifs. Et donc aujourd’hui, on crie contre le chômage de masse, contre l’insécurité sociale, contre les charges fiscales trop lourdes et inégalitaires, contre l’endettement de l’état et l’abandon des territoires. Tout cela qui est bien réel donne une crédibilité incontestable au mouvement.
Depuis un mois et demi, un mouvement qui ne faiblit pas et un gouvernement qui recule sur sa doctrine budgétaire en concédant 10 milliards d’aides au pouvoir d’achat. Mais on ne touche pas à l’essentiel. Le président décroche encore dans l’opinion. Dans l’histoire il y a eu des précédents. France : 1982-1984, Françoise Mitterrand hésite sur la politique économique à tenir, Laurent Fabius a des idées. Premier ministre, il invente la nouvelle économie soit le libéralisme et nous sommes tous embarqués. Puis retour classique à la droite qui poursuit la dégradation générale. Grande-Bretagne : Tony Blair, Premier ministre de 1997 à 2007, surgit avec des idées et en actualisant le thatchérisme invente la sociale démocratie libérale. Concurrence de la droite et arrivée de David Cameron, Premier ministre de 2010 à 2016 et la conséquence c’est le vote sur le Brexit. Italie : l’ère Silvio Berlusconi, président du Conseil des ministres de 1994 à 1995, de 2001 à 2006 et de 2008 à 2011, provoque dans la société des ravages à la fois idéologiques, sociaux et même moraux. C’est un véritable désastre. Une organisation se disant ni de droite ni de gauche arrive, le parti Cinq étoiles qui promet de balayer tous ces vieux partis politiques corrompus. Un autre parti, la Ligue du nord, parti d’extrême-droite, qui, par égoïsme territorial, rejette le sud de l’Italie trop pauvre et qui, dit-il, ne vit que des aides sociales. Ces deux partis s’allient pour gouverner. Ce gouvernement ultra populiste apporte tout son soutien aux gilets jaunes français dans l’espoir de les voir se structurer en populisme dur.
Ce qui est nouveau dans notre histoire, c’est une force inédite, la puissance insoupçonnée des femmes, leur constance, leur énergie. Il faut bien prendre conscience de l’importance du phénomène, ces femmes représentent une classe sociale déterminée à se faire entendre. Ce sont ces femmes qui font tourner tout le système social dans les soins à la personne, à l’enfance, au vieillissement, dans l’éducation, la santé, les services sociaux. Tous ces multiples métiers pris en charge par les femmes constituent une
des clés de voute de notre société moderne.
Quelques chiffres sur l’évolution des emplois dans les domaines ci-dessus.
Hommes. 1968 : 13 millions 300 000 – 2017 : 13 millions 700 000.
Femmes. 1968 : 7 millions 100 000 – 2017 : 12 millions 970 000.
Les moyens mis en œuvre pour ces métiers sont en baisse et de plus ces emplois sont déconsidérés. Ce peuple féminin constitue le nouveau prolétariat. Les femmes sont moins payées, moins respectées que les hommes, elles subissent les horaires décalés. C’est normal qu’elles se révoltent, qu’elles se fassent entendre. Mais pourront-elles s’organiser pour être en capacité de lancer des initiatives, pour mobiliser d’autres acteurs et faire revaloriser leurs métiers ? Et cela indépendamment des gilets jaunes ? Nous avons besoin d’elles, besoin de plus en plus de leurs services, sauront-elles en profiter ? Ces activités sont considérées prioritairement en terme économique de rentabilité mais ces métiers entraînent de la dépense et c’est bien là le principal obstacle à leur réorganisation.
Nous sommes dans une logique libérale : on n’a pas d’argent et on n’en trouve que sur le dos des salariés. Et on sait bien que le ruissellement de l’argent des plus riches vers le bas ne fonctionne pas.
Nous sommes dans un disfonctionnement de la démocratie : nos politiques, en dehors de la majorité des élus locaux ne font pas d’efforts, ne cherchent pas à connaître les citoyens et à les faire participer. Les gilets jaunes réclament plus de démocratie mais laquelle ? Ils ne parlent que de référendum d’initiative citoyenne, le RIC, mais à entendre leurs arguments, c’est n’importe quoi. Il y a divers sortes de référendum et par exemple, le référendum de représailles. En démocratie, pour qu’un référendum fonctionne, il faut avoir tous les éléments pour se faire un jugement et prendre la bonne décision. Ce ne peut être un oui ou un non en bloc soit un pour ou un contre celui qui lance le référendum. Et il faut exclure un référendum de sanction, de répudiation.

Epistocratie. Sous le « macronisme », serions-nous dans un mode de gouvernance appelé épistocratie ? Alexandre Viala* dans « Le macronisme ou le spectre de l’épistocratie » sur Le Monde.fr du 18 octobre 2017, en fait la définition «Ni de droite ni de gauche, le libéralisme qu’incarne Emmanuel Macron est le nom d’une forme de gouvernement qui se présente comme un défi à la démocratie : dans la doctrine politique anglo-saxonne, on l’appelle « épistocratie ». Le terme « épistocratie » est un néologisme très peu usité. Il désigne un mode de gouvernement au sein duquel le pouvoir serait confié aux savants ». Le discours fait la vérité. Ce n’est pas vraiment nouveau, à lire Platon : il en rêvait en écrivant La République et en estimant souhaitable de confier la légitimité démocratique et donc le pouvoir au savoir et à l’intelligence des philosophes.
*Alexandre Viala, constitutionnaliste, professeur de droit public à l’Université de Montpellier.

A suivre ….

Louis Caul-Futy et Françoise Surette