N° 05 – INFO DU MOIS – FÉVRIER 2017

L’Amérique aujourd’hui, demain la France ?
Revenir sur le populisme, pourquoi Trump a-t-il remporté les élections américaines et quelles parallèles peut-on faire avec la France. Dans les discours des leaders populistes il y a de nombreuses ressemblances et notamment dans les programmes qui sont des catalogues de dénonciations et non pas des programmes proposés aux citoyens. Aux USA, des événements incroyables : le président deux fois devant la justice pour le décret anti-immigration et qui reste sûr de lui en menaçant de faire appel à la Cour suprême.
Chronologie aux USA : élection du 45ème président aux termes d’une des pires campagnes électorales, contre toute attente et pronostics des médias, sondages, partis politique et même du sien et contre la vision que les européens ont de l’Amérique.
Les raisons de ce vote et parallèles avec d’autres pays : cet homme sexiste, grossier, insultant, se disant capable de tuer quelqu’un … est élu. Etat fédéral et un système de vote très différent de celui de la France. Ce vote signifie que l’Amérique traverse une période de malaise et de crise. 1- une colère puissante, profonde d’une grande partie du peuple, due essentiellement aux fractures béantes causées par la mondialisation ultra-rapide, la crise des subprimes avec des milliers de citoyens qui ont perdu leur habitation, la destruction du tissu industriel d’une partie du territoire. L’électorat de Donald Trump est concentré dans des états ruraux, constitués de petites villes, de villes moyennes, semi-rurales semi-urbaines, comme en France, avec dans chacune un tissu industriel qui a disparu. Les électeurs de Trump se trouvent dans ces zones où il n’y a plus aucune industrie, comme dans le nord en France. Même dans notre région de moindre chômage car nous bénéficions de l’attractivité de la Suisse, il y a quand même des territoires laissés pour compte. Les industriels ont été contraints de se regrouper, de créer des holdings – voir les décolleteurs – de se délocaliser, de vendre. Partout, des centaines de milliers de citoyens qui deviennent pauvres après une vie peut être modeste mais décente. Au Nord-est des USA, cela est flagrant par exemple dans ce que l’on appelle la ceinture de la rouille aux USA (Rust Belt) après avoir été jusque dans les années 70 la ceinture des usines (Manufacturing Belt) et des villes comme Cleveland (910 000 habitants en 1950-480 000 en 2000), Détroit, Flint … ont perdu de très nombreux habitants. En France, on a favorisé les grandes métropoles au détriment de ces territoires abandonnés. La décentralisation a confié aux administrations locales la charge de développer leur territoire, mais aujourd’hui ce développement est en grande difficulté pour cause de l’abandon des dotations de l’état. 60% de la population française vivent sur ces territoires abandonnés et c’est exactement le même phénomène qui a conduit à l’élection de Trump aux Etats Unis.
Crise d’identité : les Américains ont toujours été habitués au multi culturalisme mais aujourd’hui cela devient insupportable : pour ces millions de citoyens qui ont perdu leur travail, leur maison, il leur faut trouver des boucs émissaires. C’est l’autre, c’est l’étranger, c’est l’immigré et Donald Trump apporte la réponse que ces gens attendent. Et c’est la même chose un peu partout. La relation aux noirs a toujours été problématique mais avec les autres nationalités il n’y avait pas de problème. Aujourd’hui ce n’est plus le cas, la défiance est envers tous, quelque soit les origines. Dans la Silicone Valley, la moitié des employés sont étrangers avec de très fortes compétences. Les Américains ont le sentiment de perdre leur identité innée «Je ne suis plus américain ». En perdant leur emploi, leur maison, leur pouvoir d’achat ils perdent leur identité acquise par le travail. Ces populations viennent des classes moyennes et populaires. Cette mondialisation a creusé des inégalités entre pays mais aussi entre territoires dans un même pays (voir la Creuse … ) et il n’y a pas de solutions proposées à cette pauvreté avérée des territoires.
Tout cela, toutes ces conséquences de la mondialisation ont été étudiées par les conseillers des populistes et ceux-là connaissent bien les territoires en difficulté. Ils savent donc parler aux gens en colère, avec des discours abruptes et revanchards. Ils promettent protectionnisme et volontarisme, donc des actions : « Je vais faire des choses spectaculaires et je vous protègerai pour que vous redeveniez de vrais américains. Je vais m’occuper de vous, seulement de vous, vous les bons américains, je m’adresse aux seuls citoyens de race blanche. Je vais faire baisser la démographie, je vous défendrai contre la terre entière, au mépris des lois et des accords, des alliances, des d’accords commerciaux avec les autres pays » Donc le décret contre l’immigration de Trump est la suite logique. « Vous redonner votre identité, balayer le système actuel et reconstruire une Amérique puissante ». Le discourt populiste n’a pas besoin d’aller plus loin : ce n’importe quoi devient le rêve. Un programme qui ne parle pas d’éducation, de social, de culture, de conditions de vie et pourtant ce programme de dénonciations gagne. Et de plus, les partis traditionnels disent, comme les populistes, que hors d’eux, pas de solution, eux aussi sont les meilleurs et les seuls.

Quelles sont les principales caractéristiques du nationalisme protectionniste :
1 – rejet d’un présent en déclin : « Le système est perverti, les élites sont corrompus, les noirs sont des bruts, les musulmans sont dangereux, les juifs sont vénaux, les gays sont immoraux et tous les autres sont des traitres ».
2 – appel au peuple mais pas n’importe quel peuple, le peuple ethnos en grec, regroupement d’individus de même culture, une seule ethnie, un peuple homogène, authentique, blanc. Alors que pour nous le peuple c’est démos, la démocratie. Et pour ce peuple selon ethnos, on écartera tous les autres. Pour ce peuple homogène il faut un chef, on ne peut imaginer qu’il ne soit pas conduit par un chef porte- parole du peuple, qui dirige, qui fait la règle puisque c’est lui le sauveur. Trump dit « Je vais m’occuper de vous, je vous connais bien peuple américain, homogène, blanc et je serai toujours votre voix, votre voie ». Le Pen père, sur les affiches électorales disaient la même chose « Je suis le peuple ». En Hongrie Viktor Orban disait en 2016, « Peuple magyar, (origine du peuple hongrois) je vous représente, je suis votre guide ». Sarkozy en 2010 au Touquet, « Je suis le porte-parole du peuple de France je suis votre voix ». En Octobre 2016, «Nous sommes tous gaulois, c’est ça le peuple de France dont je prétends être le guide ». Philippe Pétain, à son arrivée au pouvoir, en chef absolu, a licencié la moitié des maires qui n’étaient pas de son avis, supprimé les syndicats.
3 – en finir avec la démocratie. Comment concilier les représentations démocratiques et un guide unique et tout-puissant ? Marine Le Pen pour résoudre ce paradoxe dit : « L’idéal démocratique, c’est un peuple actif or notre peuple est particulièrement actif parce qu’il est homogène et patriote. Nous sommes donc les premiers patriotes de France, vous serez bien représentés par un chef qui vous aime et que vous aimez plutôt que par quelqu’un que vous ne connaissez pas et qui ne vous aime pas ». Pour elle la démocratie c’est croire, penser tous pareil or pour une vraie démocratie il faut des lois, il faut voter, il faut des instances élues, parlement et sénat mais aussi des conseils économiques et sociaux, des groupements de citoyens. En France trois pouvoirs distincts et indépendants, législatif, exécutif, judiciaire, grâce à quoi la démocratie vit, la séparation des pouvoirs étant un principe fondamental des démocraties. Mais quand elle est en panne, quand elle échoue comme c’est le cas en France, quand elle trahit, le populisme est aux aguets pour la déstabiliser, faire voir ses failles et les exploiter. Autre problème le parlement ne représente plus la diversité des citoyens ; nous sommes gérés par les professions libérales. Les populistes revendiquent d’être les représentants du peuple, bien sûr du bon peuple, les autres qui ne font pas partie du bon peuple sont à rejeter. Le combat des populistes c’est la lutte contre la démocratie. Un exemple sous les yeux en Hongrie, Viktor Orban qui vient d’un parti démocrate, l’Alliance des jeunes démocrates (Fidesz) et qui aujourd’hui conduit son pays vers une dictature.

Aujourd’hui, même processus en France qu’aux USA : le décret contre les immigrés de Donald Trump ressemble aux dénonciations du FN et étudier ces dénonciations c’est voir le programme à venir. C’est certain que l’ultralibéralisme a fait des dégâts et donc la solution pour le FN c’est le protectionnisme, sortir de Schengen, freiner les importations, exporter le plus possible, refuser les dictats de l’Europe (système pourri car imposé par l’Europe) donc sortir de l’Europe comme les Anglais.
Nos politiques ne connaissent pas la France périphérique, ces territoires abandonnés, ne connaissent pas la vie sociale, culturelle des gens, ne connaissent rien à leur vie réelle ils sont incapables de donner une vision d’une France nouvelle avec les nouvelles économies, les nouveaux métiers. Et c’est pour cela que de très nombreux citoyens se détournent de la politique, n’ont plus confiance dans les partis qui se succèdent au pouvoir et croient au rêve des solutions simplistes.

Louis CAUL-FUTY Françoise SURETTE

Rappel : La France périphérique de Christophe GUILLUY
«Désormais, deux France s’ignorent et se font face : la France des métropoles, brillante vitrine de la mondialisation heureuse, où cohabitent cadres et immigrés, et la France périphérique des petites et moyennes villes, des zones rurales éloignées des bassins d’emplois les plus dynamiques. De cette dernière, qui concentre 60% de la population française, personne ne parle jamais. Comment en sommes-nous arrivés là ? Pourquoi a-t-on sacrifié les classes populaires sur l’autel d’une mondialisation volontiers communautarisme et inégalitaire, aux antipodes des valeurs dont se réclame la classe politique ? Comment cette France populaire peut-elle changer la donne, et regagner la place qui est la sienne – la première ? » Dans cet essai retentissant, l’auteur dresse un diagnostic sans complaisance de notre pays, et esquisse les contours d’une contre-société à venir. Flammarion – 6.00 €