06 – LE BONHEUR COMME PROJET. ITINÉRAIRE VERS UNE VIE PLUS HEUREUSE

Gaël BRULÉ Ingénieur en environnement (Rouen-Stockholm). Docteur en sociologie (Rotterdam). Chercheur postdoctoral (Neuchâtel) 23 novembre 2018 – 29 participants
Comprendre les conditions de notre bonheur au niveau individuel et collectif. Le bonheur, pourquoi ? Le bonheur, c’est quoi ?
Pour commencer, une injonction : ingénieur, tu seras heureux, mais ça n’a pas marché. A cause de lui-même ou de l’extérieur ? Alors, une mission, une étude, une enquête qui dure 10 années, essayer de voir qui sont les gens heureux.
La place que l’on donne au bonheur est récente. On peut la mesure dans l’art d’une époque. Trois tableaux du Moyen Âge le montrent. Le Moyen Âge, une période qui s’étend du 5ème au 15ème siècle, qui nous paraît assez sombre mais qui porte en elle les Lumières, la Renaissance, les mathématiques, l’astronomie, les traductions. 1 – IXème siècle : la Vierge et l’Enfant à Sainte Sophie, sur un socle avec un fond doré, là, on n’est pas un individu mais un membre de la communauté. 2 – XVème siècle : un Christ mort mais une nouveauté, un regard sur l’horizon, Jérusalem et l’au-delà. 3 – Renaissance : plus de fond doré, un baptême, perspective, lignes de fuite qui ramènent à la personne qui regarde, à l’individu. C’est la naissance de l’individu, de l’humanisme, du bonheur terrestre.
XVI, XVIIème siècle, on commence à parler d’un bonheur politique, une société avec plus de plaisir et moins de souffrance, mais des plaisirs modérés, épicuriens. Mener une vie utile, avoir une influence sur notre bonheur comme Socrate le conseille
XIXème siècle, début XXème : fin des deux guerres mondiales, fin des grands récits, le progrès est remis en cause. L’État-Nation n’existe plus avec la juxtaposition des colonies. Faute de ses grandes valeurs, les citoyens veulent passer à une bonne vie individuelle. Mais un obstacle subsiste : aux USA, la croissance n’est pas encore revenue à un niveau correct aussi le marketing attaque : pour montrer que vous êtes heureux sur terre, consommez. Consommez, soyez heureux. Toutes les sociétés européennes se lancent dans cette nouvelle valeur. C’est la consécration de l’individu

Quels outils pour trouver les gens heureux ? Des mesures descriptives avec des critères et des mesures hédoniques comme « Aimez-vous votre vie ? ». Seule la personne peut évaluer son niveau de bonheur, se positionner, le ressenti lui appartient, on ne peut pas le voir de l’extérieur. Chacun construit son bonheur différemment. On ne parle pas de bonheur comme émotion mais plutôt de comment on se sent dans la vie. Il s’agit de mesures stables sur la vie que l’on mène. L’OCDE travaille sur ces mesures.

Quand on demande « qu’est-ce qui vous rend heureux ? », les gens répondent selon les critères, les attentes, les normes de la société : oui, car j’ai … une maison, une voiture, un travail … La société dicte les conditions pour être heureux : pour être heureux tu dois faire cela, tu dois acheter cela. Pour être un homme à part entière, tu dois faire cela. «Pour nous encourager à acheter, le bonheur clandestin a décidé d’y aller franchement. Si vous lisez ces lignes au petit déjeuner, peut-être les lisez-vous avec du « bonheur à tartiner » chocolatée, n’oubliez pas de « bien manger, c’est le début du bonheur » avec votre beurre préféré, peut-être dans l’après-midi ouvrirez une « bouteille de bonheur » pétillante et sucrée, ou alors, allons-y, peut-être prendrez-vous « 20 centimètres de bonheur » de 17 à 19 heures. ». Mais où se situe le bonheur réel ?

Deux sources au bonheur, envies et besoins. L’envie est un processus mental, selon la culture, le milieu. On se compare aux autres, à ce qu’on a droit, à ce qu’on espère, à ce qu’on croit mériter. L’envie est le résultat de points de comparaison. Les besoins, du corps et de l’esprit, être aimé, s’accomplir, être respecté … Envies et besoins se combinent pour le plus grand bonheur. Mais des envies non assouvies conduisent à la frustration, à la jalousie, au mal-être. Si on ne peut avoir les deux alors, il vaut mieux que ce soient les besoins qui soient comblés.
Les bonheurs sont tous différents, mais les grands chemins pour les trouver sont immuables. Qu’est-ce qui influence le bonheur et qui est à la fois subjectif et objectif ?
Sur le plan individuel, interaction avec famille, amis, collègues, mais aussi avec ceux que l’on ne connait pas, les autres. Notre influence sur notre parcours de vie ; nous avons une marge de manœuvre élevé sur la vie que l’on mène et sur son environnement et cela est le meilleur moyen pour aller vers le bonheur.
Sur le plan collectif, lever le voile de l’ignorance, faire des expériences, imaginer une autre planète Terre : que inventez des règles qui régissent cette nouvelle Terre : égalité, protection, être qui on a envie d’être ? Planéité, pas d’écarts de pouvoir. Pluralité, aller là où on veut, quitter son lieu prédestiné par sa naissance, son rang social. Proximité entre les gens, liens forts et faibles, confiance.
Faire des choses par plutôt que pour.
Extrait d’une interview par Chrystelle Camier pour Bio à la Une.
Qu’est-ce qui rend les gens heureux ?
Gaël Brulé : En premier lieu, se sentir maître de son destin, de ses choix, être conscient de son impact sur son environnement. Les gens heureux sont souvent des personnes qui s’impliquent dans la collectivité à travers un engagement qui peut-être politique, associatif. Et comme je l’ai dit, avoir un certain confort matériel, mais sans le rechercher. Les gens heureux ne sont pas dans la comparaison avec les autres, ils sont dans l’échange.
Quels conseils donnerais-tu à nos lecteurs pour trouver le bonheur ?
Gaël Brulé : Le bonheur se construit de manière à la fois personnelle et collective. Aligner son bien-être sur le bien-être collectif rend la vie plus riche. Ça signifie sortir de sa zone de confort, aller vers son voisin pour tisser du lien social. Un simple sourire ou une parole aimable à un inconnu est à la portée de tout le monde. Ça peut être un commerçant, une personne qui vous demande son chemin dans la rue, peu importe ! Donner du bonheur aux autres, c’est aussi se donner du bonheur à soi-même.

« On se figure toujours, pensait Francie, que le bonheur est chose lointaine, quelque chose de compliqué, d’inaccessible. Et pourtant, qu’il suffit parfois de peu de chose ! Un abri quand il pleut, une tasse de café fort, bien chaud contre le cafard ; pour un homme, une cigarette ; un livre aussi, un jour où l’on est seule ; ou encore tout simplement, être après de quelqu’un qu’on aime. Tout cela suffit au bonheur. »
Le lys de Brooklyn Betty SMITH 1896-1972