05 – COMMENT NOS ANCÊTRES APPRIVOISAIENT LA MORT.

Brigitte ROCHELANDET Docteure en Histoire des mentalités.
21 novembre 2018 – 43 participants
Après l’art du bien mourir de nos ancêtres, le 19ème siècle imposa l’art du bien vivre provoquant un déni dramatique de la mort.
Évolution de la sensibilité humaine face à la mort en Occident.
La mort est le passage vers le néant, vers l’inconnu. Toutes les civilisations posent la question de « Pourquoi sommes-nous mortels ». On a cru longtemps que l’homme était immortel, un temps béni, sans mort, sans misère et qu’il y a eu un événement qui a tout changé. Maoris : le Mal est finalement venu de l’inceste du dieu Tane avec sa fille. Par sa faute, la race humaine est désormais mortelle. Tane, assagi, crée donc l’élément masculin de la race humaine pour marier sa fille tabou. Inuits : considèrent dans certaine période qu’il y a trop d’humains, créent des guerres pour rééquilibrer. Antiquité grecque : Pandore trop curieuse ouvre la boîte qui déverse tous les maux de l’humanité. En Papouasie, chez les Kalaunas, Honoyeta, une divinité à forme de serpent, avait deux femmes humaines. Il enlevait sa peau de serpent en leur absence pour revêtir l’apparence d’un beau jeune homme et la remettait le soir. Une des femmes brûla la peau. Honoyeta lança une malédiction sur les hommes, leur apportant la sécheresse, la faim et la mort. Temps chrétiens : Eve et la tentation par le serpent.Dans de nombreuses cultures, la femme par ses mauvaises actions provoque la mortalité. Le 1er mort est Abel tué par son frère Caïn, c’est le 1er meurtre.
Des mots pour évoquer la mort : Périr, de mort violente. Trépasser, s’éteindre, disparaître lentement. Décédé. Passer l’arme à gauche. Labourer la terre. Des mots pour le corps : dépouille, cadavre, macchabée, défunt, feu, macabre. L’homme est en deux parties, le corps pour la terre, l’âme qui s’échappe comme le papillon qui s’envole, mais corps et âme sont-ils réunis dans l’au-delà ? Où va le mort ? Grecs : Champs Elysées, Iles des Bienheureux, Charon est le conducteur des âmes. Hébreux : royaume des Ombres. Chrétiens : purgatoire, enfer, paradis. Au purgatoire, l’âme est lavée par le feu, l’âme est représentée par un petit enfant. On pèse les âmes : légères, elles sont respectueuses des commandements, sans péchés. Confession : peur de la mort subite, terreur de l’enfer. Les bons vont au paradis céleste où se trouvent les anges, la musique, la danse, un lieu magnifique, l’Empyrée un lieu pour être plus près de Dieu. Les pécheurs vont en enfer, lieu de souffrance et leur punition est fonction des péchés capitaux qu’ils ont commis. Le suicide est interdit aux damnés condamnés par Dieu aux peines de l’enfer et qui doivent endurer d’atroces souffrances. Les non-baptisés, les enfants sans baptême vont dans les limbes.
Représentation de la mort : au 14ème siècle, la peste noire enlève plus de jeunes que de vieux, la mort est représentée par la faucheuse, nue au départ et ensuite revêtue d’un capuchon. Au 16ème siècle, c’est la Camarde, « qui a le nez plat », figure de la mort représentée par un squelette. Légende bretonne : l’Ankou, non pas la mort mais l’ouvrier de la mort, passeur d’âmes en collectant celles des défunts dans son chariot. Appréhender la mort Fin 12ème siècle : penser la mort, accompagner, on ne meurt pas seul, on en parle facilement. Des textes, des poèmes comme « Les vers de la mort » d’Hélinand de Froidmont, histoire de sa vie, noble débauché, très érudit qui, par peur de la mort à la suite d’un accident, change de vie, entre dans les ordres et vit de piété et de mortification. Des textes pour faire peur et revenir dans le droit chemin, des textes très écouté dans les églises. 1280 : Le Dit des trois Morts et des trois Vifs qui représente, sous forme de peinture, de miniature, d’enluminure ou de sculpture, trois cadavres qui interpellent trois jeunes nobles richement parés, hommes de pouvoir, pédants, fiers. Le message est « Un jour vous serez comme nous et votre orgueil ne vous servira à rien. Menons la vie qui plaît à Dieu. La mort est très visible : charniers, fosses communes autour des églises, prières pour tous les morts. 1376 : le répit de la Mort, la Danse macabre, sarabande qui mêle morts et vivants de toutes les catégories sociales, reine, archevêque, chevalier, coquette, paysan, religieux. Elle souligne la vanité des distinctions sociales dont se moque le destin. C’est une leçon morale qui console les plus pauvres et apprend aux plus grands que nul n’est au-dessus des lois. Une seule justice pour riches et pauvres. 13 et 14èmes siècles : les nobles se font représenter sur leurs tombeaux. Sous forme de gisants, endormis, souriants comme Aliénor d’Aquitaine, Louis de Sancerre, connétable de France. Sous forme de transis où le défunt est représenté de façon réaliste, nu, voire en putréfaction, comme Anne de Bretagne, Louis II. Le corps commence à se transformer.
A partir de 1450, un manuel pour une belle mort « l’art de bien mourir ». Surpasser l’épreuve de la mort pour aller au paradas. Affronter le diable pour récupérer l’âme. Penser à dieu. Ne pas faiblir au moment de l’agonie. Acheter des indulgences pour la famille soit le rachat des péchés par l’argent. Mourir lentement. 1515 : « La jeune fille et la Mort » qui met en relief le sombre lien entre sexualité et mort. Ces symboles apparaissent lors d’une épidémie de syphilis qui entraînera l’interdiction de la prostitution. 1520 : nouvelle sensibilité, un humaniste, Erasme écrit « Préparation à la mort » qui dit que seule une belle vie peut mener à une belle éternité. L’église interdit ce livre. 18ème siècle : siècle des Lumières, de grands changements, la Révolution. Joseph Fouché : la mort est éternelle, il n’y a pas de résurrection. 19ème siècle : la science et la raison expliquent la mort, le médecin passe avant le curé. Les cimetières se trouvent hors des villages pour une question d’hygiène. On nettoie les cimetières qui se retrouvent dans l’enceinte des villes, comme le cimetière des Innocents, en raison de son insalubrité après 15 siècles d’usage : il fut fermé en 1780 après que les murs de la cave de maisons voisines ne s’écroulent sous le poids des ossements. On construit le cimetière du Père Lachaise. Plus de charniers mais des enterrements individuels. On n’y vient qu’à certaines occasions, on met des fleurs, on montre son chagrin et on fait le deuil en public, le chagrin est visible. On prépare le mort, on l’accompagne. Victor Hugo vient se recueillir sur la tombe de sa fille.
Aujourd’hui, la mort est tabou, on ne meurt plus à la maison mais à l’hôpital, la toilette est faîte par les Pompes funèbres. Prolonger la vie, retarder la vieillesse sont des préoccupations constantes. Notre société n’a plus de rites ni de croyances bénéfiques, nous nions la mort alors qu’elle est liée inéluctablement à notre naissance. Ce déni est dramatique et n’aide pas à dire adieu, à vivre le deuil.

Demain, dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne, Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m’attends. J’irai par la forêt, j’irai par la montagne. Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.
Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées, Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit, Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées.
Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit. Je ne regarderai ni l’or du soir qui tombe, Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur, Et quand j’arriverai, je mettrai sur ta tombe Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur. Victor Hugo, extrait du recueil «Les Contemplations» (1856)