11 – ALAIN, FIGURE ANTICONFORMISTE DE LA 3ème REPUBLIQUE

Pierre HEUDIER Vice-président de l’Association des Amis d’Alain. 7 mars 2018
La lecture de textes très variés dessine la biographie d’un des grands philosophes du XXème siècle et révèle les traits fondamentaux de sa pensée. Professeur exceptionnel et journaliste, il fonda et anima des Universités populaires.

Alain est présent à nouveau dans l’actualité par la publication de son journal intime qui révèle des opinions antisémites et son approbation d’Hitler. (Dans l’air du temps à l’époque) alors que dans aucun texte public ces opinions n’apparaissent. Dans ce même journal, Alain se reproche, en 1943, d’avoir eu de telles idées, se condamne lui-même. Patrick Onfray, grand admirateur d’Alain estime que c’est une sortie de route.
Né dans le Perche en 1868, sous le nom d’Emile Chartier. Il connait la vie d’un petit paysan, le père est vétérinaire, pauvre, la nature sera le fond de sa pensée. il est rebelle et sauvage. Boursier de la République, Normalien, agrégé, professeur. Un face à face entre le monde de la nature et l’esprit. Anticlérical, souvenirs de l’école des curés (milieu barbare, mépris des pauvres) mais écrit de très beaux textes sur le christianisme. Il a une admiration pour toutes les religions et les mythologies pleines de sens. Cinq ans au Lycée d’Alençon où il excelle en musique et peinture. Très brillant, surtout en sciences, il pense faire Polytechnique mais finalement opte pour un parcours littéraire au lycée Michelet. Empathie avec les copains moins doués. Valoriser l’erreur sera le principe de sa pédagogie, « Toute vérité sort d’une erreur ». Ecole Normale Supérieure où il est le condisciple de Léon Blum. Il est provocateur, mystificateur, insultant de sales juifs ses amis les plus chers, il manque se faire renvoyer. Reçu 3ème à l’agrégation de philosophie (la gloire pour Montagne-en Perche !) il est professeur de philosophie dans différents lycées, Pontivy, Lorient, Rouen et enfin Paris (Condorcet puis Michelet). Il a une vie très joyeuse, sport, escrime, ravages amoureux auprès des filles, « une tête et un corps faits pour les plaisirs de la vie ». Il écrit des textes dans les Cahiers de Lorient, textes contre l’Eglise qui trahit le message œcuménique, des textes très philosophiques mais une revue élitiste pour les intellectuels. Mais il a envie de s’adresser à tous. Survient l’Affaire Dreyfus et il prend parti pour lui, dans l’urgence de sauver la République qui n’a que 20 ans, il devient dreyfusard. Dans le sillage de l’Affaire Dreyfus, création des Universités populaires et il crée celle de Lorient. Il y a urgence à partager les idées au service du peuple, le peuple doit être instruit. Parle aux gens, les aide à réfléchir. Il parle du diable pour dire qu’il n’existe pas : la Croix du Morbihan l’attaque et le traite de suppôt de Satan, dit qu’il ira en enfer comme Voltaire. L’église mais aussi sa hiérarchie universitaire l’attaquent en lui intimant de ne pas faire de politique, de ne pas agiter les campagnes, de rester dans sa classe sociale. Pourtant il continue. Il est ami avec le peuple contre les châteaux, les importants. Il signe de son pseudo Alain ses premières chroniques dans la Dépêche de Lorient, thèse féministe comme l’égalité des salaires femmes et hommes. Au Lycée Corneille à Rouen, (André Maurois est son élève) il éveille l’intérêt des filles, il est l’inquiétude des mères, la terreur des maris ! Il continue ses interventions en Universités Populaires. Ses cours sont farfelus mais ses élèves réussissent. Julien Gray le dit inébranlable en toutes circonstances.
Il rencontre Marie-Monique, une secrétaire le « jumeau » qui fut un peu une mère pour lui pendant 40 ans. Une autre femme, un grand amour avec Gabrielle Landormy mais une relation épisodique, Gabrielle passe de très nombreuses années aux Etats Unis et n’a jamais vécu avec lui avant leur mariage à la mort de Marie-Monique en 1941. Il est alors en fauteuil roulant et Gabrielle succède à Marie-Monique comme infirmière, alors peut-on parler de « grand amour » ?
Paris, Lycée Condorcet en 1903. Professeur de khâgne à Henri IV de 1909 à 1933. Il écrit des textes pour ses copains de la Dépêche de Rouen, de 1903 à 1913 : les Propos d’Alain dans lesquels il se moque des philosophes de métier, attaque les systèmes dont il faut se retirer car ils sont « comme un ver à soie qui tisse la prison, le tombeau autour des hommes qui pensent, qui mettent les pensées en cage ». Il écrit un propos chaque jour (Propos de Normand). Maurice Barrès se moque de lui avec beaucoup d’humour. « Tout peuple qui s’endort en liberté se réveillera en servitude ».
1914. Ordre de mobilisation. Alain est soldat dans l’artillerie lourde par solidarité. Pour lui, la guerre est un échec de la République, les élites sont responsables et lui aussi il doit payer de sa peau. Il est blessé en 1917. L’assassin, c’est le Français dans son fauteuil et non pas l’Allemand. Il tient une correspondance, il prend des
nouvelles des élèves, des copains. Il écrit sur l’art qui seul peut s’opposer à la guerre. Il est démobilisé en 1917 et reprend son travail à Henri IV. Sartre et d’autres assistent à son cours. Il ne pardonne pas aux fauteurs de guerre, il écrit beaucoup, idées, propos, sur dieu, sur Stendal.
1934 Agitation, contestation de l’extrême-droite contre la République. Il est co-président du Comité de vigilance des intellectuels antifascistes. Au Vésinet, dans sa maison, il peint, fait de la musique.
1945. Il tient son journal. Dans les années 40, il a plusieurs attaques cérébrales qui le diminuent, y compris intellectuellement et il ne contrôle plus ses pulsions, ses passions. Un combat de l’esprit qu’il perd par moment. « Tout ce qui va mal va de soit » dans la cité comme dans la vie privée.

Le premier Propos est préfacé par André Maurois. Tous les Propos sont regroupés en recueils chez Folio.
Ollivier Pourriol, philosophe a écrit « Alain, le grand voleur » un essai qui se veut une introduction à la philosophe d’Alain, une mise à disposition des outils et des méthodes qu’il a pratiquées, un livre de philosophie pratique. « L’esprit, disait Alain, est un grand voleur » – « Le secret de l’action, disait Alain, c’est de s’y mettre ».