09 – ORIGINES DES NOMS DES MONTAGNES DE HAUTE- SAVOIE.

Jean-Philippe BUORD – En partenariat avec le Pôle Culture et Associatif de Ville-la-Grand. 7 février 2018
Chaque nom de montagne a son histoire et sa logique, issues de la sagesse et de l’esprit pragmatique des anciens … Ce sont les montagnes qui vous racontent leur histoire.

Cette conférence a été tellement riche et dense qu’il est difficile d’en rendre compte sans trahir l’auteur du livre du même nom. Aussi nous nous contentons de transcrire ici l’avant-propos de Jean-Philippe Buord.

L’objet de ce livre n’est pas, au sens scientifique, une étude toponymique des noms de sommets de Haute- Savoie. Et ce, pour une raison simple : je ne suis ni toponymiste, ni linguiste, no étymologiste, ni historien. Je suis juste un homme passionné de la Haute-Savoie et curieux de comprendre les noms de ses montagnes magnifiques. Des montagnes, qui outre leurs noms, ont aussi des histoires à raconter. De plus la toponymie n’est pas tout à fait une science exacte, et si les anciennes langues (latin, celte, pré indoeuropéen…) et le patois sont souvent des repères, des aides utiles, le reste du travail de compréhension est souvent une question d’interprétation avec ce que cela peut avoir d’aléatoire … En matière de toponymie, il reste des incertitudes, c’est d’ailleurs la raison pour laquelle j’utilise souvent le conditionnel.
A propos de langues, certains lecteurs seront probablement surpris par le fait que les noms de beaucoup de montagnes sont issus du celte, du pré-celte ou du gaulois. Un (tout) petit rappel historique permettra de comprendre cela :
– Si on laisse de côté l’homme du Neandertal (60 000ans avant notre ère et dont on a retrouvé des traces dans le Chablais), on considère que les premières véritables populations, en Haute-Savoie, vers 4000 avant JC étaient les Ligures, qui appartenaient aux peuples préceltiques. C’est pourquoi nous retrouvons des noms des montagnes issus du préceltique ou pré-indo-européen.
– Entre 2000 et 1000 avant notre ère vinrent ensuite les Celtes, également appelés les Gaulois, qui se répartirent en plusieurs colonies distinctes, notamment les Helvètes (côté suisse), les Nantuates (en Chablais)
– Enfin le Français et les différents patois (le patois n’étant ni un jargon ni une langue déformée) apportèrent également leur pierre à l’édifice des appellations montagnardes.
En Haute-Savoie, les noms se justifiaient par différents critères, mais celui qui revient quasiment dans tous les cas c’est « l’utile ». Comment s’appelait l’Aiguille Ravanel ou l’Aiguille du Fou au moyen-âge ou même au 18ème siècle ? La réponse est une autre question : pourquoi voulez-vous que les anciens aient souhaité donner un nom à des lieux qui ne servaient à rien ? Pour les anciens une montagne sert essentiellement à 3 choses : le pâturage, la chasse et les cristaux. Ensuite, quelques autres ont une fonction, c’est le cas par exemple de l’Aiguille du Midi, dont le nom est très ancien, malgré le fait qu’ll n’offre ni pâturage, ni chamois à chasser et qu’elle le propose pas d »e filons cristalliers. Oui, mais voilà, lorsque le soleil passe au-dessus de son sommet … c’est qu’il est midi ! Une horloge géante et rudimentaire, pratique pour les faucheurs.
Les sommets se voient de loin, c’est leur utilité, ce sont des repères. Pour repérer quoi ? Quelque chose qui se trouve à sa base ou sur ses pentes inférieures.
– un champ de par sa forme (le Prarion = praz riond = pré rond), ou se que l’on y trouve : des céréales, des fleurs particulières (Pointe de l’Androsace), des plantes médicinales (la Pointe du Génépi).
– une forêt où poussent certaines essences, comme la Pointe du Varochet dont le nom vient du patois varoche et indique la présence d’aulnes.
– une grotte pouvant servir d’abri naturel (on ne compte plus le nombre de montagnes comportant les mots balme ou barme). – des endroits riches en cristaux (la Pointe des Améthystes), en gibier (Pointe des Chamois).
Peu de noms sont évidents à comprendre et d’autres peuvent s’avérer pièges comme l’Aiguille Verte dont le nom n’a rien à voir avec la couleur, tout comme, probablement, le Mont-Blanc.
Les noms les plus récents restent les plus clairs car lorsque la pratique de l’alpinisme a explosé, on a attribué aux sommets le nom de leur premier vainqueur. (CAF, conseils municipaux). Certains noms de sommets ont été induits par leur forme, c’est ce que l’on appelle une « dénomination métaphorique ». C’est le cas entre autres du Moine du Capucin, l’Aiguille des Ciseaux, les Flammes de Pierre et toute la série des « Dents » (Caïman, Crocodile, Géant …). D’autres noms sont tellement anciens que leur origine s’est effilochée au fil des années jusqu’à devenir un mystère absolu (Pointe d’Almet, Croisse Baulet …) On peut aussi envisager que, dans un premier temps et pour des raisons pratiques, le propriétaire d’un alpage ait pu donner son nom à l’alpage, que ce nom a été conservé et, dans un deuxième temps, généralisé à la montagne entière, montagne dont l’utilité ne se résumait, à l’origine, qu’à la présence de cet alpage.
Il y a des noms qui remontent à des époques où la transmission était orale et faisait souvent souffrir les mots, et, même lorsqu’elle était écrite (essentiellement par les cartographes et les scribes du cadastre), les noms souffraient également des retranscriptions. Ce n’est d’ailleurs pas réservé aux temps anciens : sir les cartes IGN, pourtant très récentes, le Col du Câble est devenu le Col du Sable ! D’autres noms enfin restent aussi curieux qu’inexpliqués, voire fantaisistes, tels que la Pointe du Domino, le Casque, le Roi de Siam etc …
Mais comme le disait bien justement un guide de Chamonix, un petit sourire en coin
« Bah, il fallait bien leur donner un nom ! »