06 – QUI PEUT VERITABLEMENT S’EXPRIMER DANS LES MEDIAS ? MOUVEMENTS PROTESTATAIRES ? JOURNALISME ET ESPACE PUBLIC

Eric MAIGRET.Sociologue, professeur de sociologie des médias à la Sorbonne Nouvelle. 12 janvier 2018
Les médias sont-ils manipulés, les journalistes sont-ils soumis aux intérêts financiers et politiques ? Quels sont les jeux complexes qui relient journalistes, pouvoir polotique, organisations protestataires, publics et électeurs ?
Les mouvements protestataires se sentent caricaturés, exclus des médias. JL Mélenchon voudrait un tribunal contre les médias. Les médias sont manipulés. Le soupçon est légitime en démocratie tant qu’il ne devient pas complotiste. On attend des journalistes une neutralité dans l’accès qu’ils ont à un univers de faits bruts mais l’expérience personnelle explique la sélection des dépêches, sélection non basée sur de purs critères d’impersonnalité et d’objectivité. Ce sont les infos qui viennent aux journalistes qui effectuent un tri dans ce qu’ils reçoivent des agences de presse internationales. Ce sont ces agences, au nombre de 3 qui travaillent en réseau avec les agences locales – sites Web, TV, réseaux sociaux. De nombreuses chaînes d’infos mais qui se servent des mêmes sources. Toutes présentent les mêmes infos, avec une régularité des choix d’un journal à l’autre. Face à la complexité du monde, les journalistes adoptent une attitude paradoxale en créant une routine de l’exceptionnel, une bureaucratie qui fait croire à l’immobilisme de leurs pratiques et à un intérêt exclusif pour les situations acquises. Les mêmes infos moutonnières racontent la même chose sur le même événement. Les événements dramatiques comme tout ce qui ne va pas sont privilégiés. Des événements faciles à intégrer dans un contexte avec une collecte d’infos rapide, un compte rendu clair et peu ambigu adapté aux attentes du public. Les interrogations sur le long terme, la complexité des enchaînements sociaux et politiques sont systématiquement écartées. Par exemple, à la veille de mai 68 « La France s’ennuie ». 4 critères pour le travail des journalistes : un événement dramatique, négatif – une façon distanciée de l’appréhender – une technique – à partir des sources officielles. Ce processus signe la fin du travail des journalistes, il s’agit de communication sur des événements mineurs et non plus d’information. Et sur les sujets plus complexes, pas d’analyse, juste des statistiques comme pour le chômage. Un travail faible des journalistes qui ne sont pas capables d’aller plus loin. Alors on convoque les experts et les correspondants qui illustrent mais ce n’est pas parce qu’ils sont sur place qu’ils savent mieux.
Comment se construit l’info ? Evénements : routine – Scandale : réalisation intentionnelle ou heureux hasard – Accident : réalisation non intentionnelle – Sérendipité : découverte d’un événement par hasard. Mais en permanence, il est question de routine, tout renvoie à la routine. Et pourtant le monde change et les journalistes doivent produire de l’innovation, du risque, s’adresser à des acteurs nouveaux qui perçoivent les tendances profondes.
Les dernières élections présidentielles : une routine mais qui conduit à un scandale, l’affaire Fillion. La guerre du Viêtnam : première guerre télévisée qui va de ce fait devenir très impopulaire aux USA alors qu’elle ne l’était pas au début. Il s’agissait de la lutte contre le communisme et les grands médias soutenaient l’intervention. Protestations, manifestations s’organisent sans les médias mais suite à l’évolution avec un très grand nombre de morts, les médias rendent compte petit à petit et même sont à l’origine de sondages qui tournent à l’opposition à la guerre. Quand on n’a pas l’attention des médias, on provoque des événements, comme les tas de chaussures pour Handicap International et les médias viennent. Quand le FN monte dans les sondages, il crée un événement politique dans les médias et JM Le Pen est invité sur les plateaux. Act-Up, le 1er décembre 1993, coiffe l’Obélisque d’un préservatif, ce qui rend le mouvement visible dans les médias. José Bové se construit un personnage médiatique incarnant une certaine protestation avec le démontage d’un Mc Do. JL Mélenchon se présente en figure médiatique de la contestation des médias et en disant qu’il est exclu, les médias lui ouvrent leurs antennes et écrans.
Les médias sont plutôt des suiveurs des systèmes dominants et en ce sens ils sont conservateurs. Mais le constat selon lequel ils discréditeraient les mouvements sociaux n’est pas validé empiriquement. Les jeux reliant journalistes, pouvoir politique, organisations protestataires, public et électeurs sont complexes.
Malgré les critiques que l’on peut en faire, ne pas jeter le 20h! On apprend quand même en comparaisons internationales, mises en perspectives historiques, micros-trottoirs … Exemple du Bondy Blog : lors des émeutes de 2005, les journalistes suisses habitent sur place et crée une radio.
Le journalisme est encore une belle aventure.