01 – HISTOIRE DE LA MIXITE DE L’ANTIQUITE A NOS JOURS.

BRIGITTE ROCHELANDET Docteur en Histoire. 4 octobre 2017.
Comprendre, par cette histoire, les inégalités d’aujourd’hui et la mise en danger de cet état d’égalité pourtant acquis.
Brigitte Rochelandet nous donne la définition de certains mots : misogynie, machisme, phallocratie, antiféminisme, sexisme, préjugés, stéréotype … La mixité en Europe est instaurée par des lois mais c’est un long chemin avec des victoires et des échecs. Est-elle innée, est-elle normale ? Mixité comme mélange des deux sexes n’apparaît qu’en 1963. Mixtion au 12ème siècle = mauvais mélange ! En 1963, mixité à l’école mais réticences de certains enseignants, surtout dans les lycées, les filles ne sont-elles pas séductrices, tentatrices, hystériques ?
Nos ancêtres de la préhistoire étaient-ils chacun à sa place, les hommes à la chasse, les femmes au foyer, les femmes gardiennes du feu ? Nous aurait on menti ? A la découverte des premières peintures rupestres, à partir de 1880, les savants les interprètent comme l’œuvre des hommes, ces hommes sont donc des artistes. A partir des années 2000, la science fait reculer ces stéréotypes et la réflexion sur la mixité change. Mains de femmes et d’enfants ? On peut penser que la mixité professionnelle existait. Une femme cheffe de tribu ? La plus rusée, la plus maligne pour la chasse et la guerre. A voir le film de Pascal Picq « Premier homme ». Mais arrivent la période gréco-romaine, la littérature antique, la littérature religieuse chrétienne qui désignent un rôle spécifique à chacun, un sexe inférieur et un sexe supérieur tant physiquement que moralement. Pourtant la mythologie comprend des dieux, des divinités des deux sexes et les divinités féminines s’occupent de la guerre, de la chasse. Cette mixité n’est pas respectée sur la terre. Les femmes sont écartées du pouvoir et des fonctions nobles, Pandore par sa faute a apporté la misère sur terre, et cette faute rejaillit sur toutes les femmes. Le pénis est le pouvoir. La femme est l’éternelle mineur, l’homme est parfait, le seul doué de raison. Les esclaves, les pauvres peuvent sortir, travailler, se mêler aux hommes quand l’économie est en jeu. Les philosophes sont tous les hommes. Discours très négatif qui ferme la porte à la mixité professionnelle dans l’espace public. La gérousie, le sénat sparte, 28 hommes de plus de 60 ans élus à vie. Les banquets, lieu de pouvoir donc réservés aux hommes, les femmes sont là pour servir et divertir.
Cette pratique n’est pas loin du « Club des cents », fondé en 1912, club gastronomique masculin : c’est à table que l’on gouverne ! Une exception à la spartiate : la mixité sur les terrains de sport et éducation très dure pour l’émulation par la santé, pour des filles robustes, bonnes génitrices. Les Jeux olympiques modernes ne comptaient en 1908 que 0.5% de femmes et en 1912, Pierre de Coubertin déclarait « Une olympiade femelle serait impratique, inintéressante, inesthétique et incorrecte», En 1934 «Je continue […] à penser que le contact de l’athlétisme féminin est mauvais et que cet athlétisme devrait être exclu du programme olympique». Et encore en 1936 «Le seul véritable héros olympique, c’est l‘adulte mâle individuel. Par conséquent, ni femmes, ni sports d’équipe». Aujourd’hui, 44% de femmes participent aux épreuves. Peur de la femme, de la concurrence, mépris ?
Dans les temps chrétiens, du 4ème au 12ème siècle c’est l’église qui mène le monde occidental par la Bible et les écrits. Pas de mixité dans les couvents, discours qui prouvent le bien-fondé de la non-mixité et cette séparation va s’étendre à la vie du dehors : femme = corps, passion, désirs. Dans l’église, les hommes dans la partie sud, à la droite du Père, les femmes côté gauche, côté sinistre (senestra). On retrouve le même refus de la mixité dans la tradition juive et dans l’Islam, aujourd’hui encore avec panneau, rideau, étage. Au 16ème siècle, les protestants vivent une mixité encadrée mais au 17ème siècle ils adoptent la non-mixité des catholiques.
De l’école à l’université le refus de la mixité dans ces lieux essentiels est le refus du savoir aux femmes. Charlemagne, école pour tous mais surtout pour les garçons qui seront juges, collecteurs, recenseurs. (Les filles instruites sont encore plus dangereuses). A partir du 12ème siècle les parents évoluent et demandent aux curés que les filles apprennent à lire, compter, écrire. Au 16ème siècle, avec la Réforme, les protestants vont inventer les premières écoles primaires mixtes car les filles doivent savoir lire la Bible pour transmettre leur foi face aux catholiques. 1789, les révolutionnaires sont d’accord pour l’instruction des filles mais refusent toujours la mixité. Les caisses sont vides, impossible d’ouvrir deux classes, les filles sont sacrifiées. 1802, lycées de garçons. 1880, premier lycée de filles, loi Camille Sée, mais pas de latin, de philosophie, pas de BAC. 1924, accès au même programme. 1957, écoles primaires mixtes et 1959 lycées mixtes contre l’avis des parents et professeurs. Aussi une loi oblige à la mixité en 1975. Les premières universités sont celles de l’église et ouvertes à ceux qui ont fait des études depuis le plus jeune âge, donc aux garçons, ceux de la clergie dont les filles sont exclues. 1789, fermeture des universités. 1808, création des nouvelles universités ouvertes à tous mais toujours pas de BAC pour les files ! Fin 19ème siècle, étudiants et professeurs refusent le partage du savoir et de la mixité : peur de la concurrence, en médecine, elles sont trop faibles, grossesse, règles, contentez-vous d’être infirmières. Les femmes ne peuvent pas plaider, être notaires malgré le diplôme. La mixité est acquise au 20ème siècle, surtout à partir de 1968 mais pourtant 80% des chaires sont tenues par des hommes.
Qu’en est-il de la mixité professionnelle ? Du 12ème au 19ème siècle, dans la paysannerie on travaille ensemble mais pas aux mêmes tâches.
Certains métiers sont interdits aux femmes (boucher) mais d’autres aux hommes (fileuse), d’autres sont mixtes comme dans la couture. Au 14ème siècle, des femmes maçonnes, charpentières mais sous-payées. 1688, interdiction aux femmes de travailler sur les chantiers et les petites marchandes de rue sont assimilées à des prostituées. Révolution industrielle du 19ème siècle, tous travaillent ensemble mais la moitié du salaire pour les femmes (mines). 1899, interdiction de la mixité dans les mines pour cause de promiscuité mais quand difficultés économiques, on revient à la morale pour écarter les femmes et privilégier l’emploi des hommes. La loi Roudy de 1983 interdit toute discrimination professionnelle en raison du sexe, Code du Travail et Code pénal modifiés.
Enfin, quelle mixité en politique ? 1789, les Etats généraux ne comptent que des hommes ainsi que l’Assemblée Nationale de 1871. La Révolution est une mixité volée. 1945, 33 élues sur 586, 2017, 224 députées sur 577 et 98 sénatrices sur 348.
Conclusion : les causes du refus de la mixité, peur du partage, désir de soumettre la femme, peur du corps de la femme mais c’est difficile à comprendre. A l’école, depuis fin 17ème siècle, le masculin l’emporte sur le féminin alors que précédemment, soit accord de proximité (3 jours et 2 nuits entières) ou accord du nombre (2 garçons et 15 filles étaient juchées). Au 17ème siècle c’est l’accord du plus noble qui l’emporte ! La langue est l’architecture de la pensée.
Pour aller plus loin, le livre de Brigitte Rochelandet : Femme, tu te soumettras. La condition féminine au fil du temps.