N° 02 – NON, MARCO POLO N’Y EST POUR RIEN !

PIERRE-BRICE LEBRUN – Enseignant en droit et auteur d’ouvrages juridiques mais aussi chroniqueur gastronomique et journaliste voyageur.
15 novembre 2016 – 15 participants.
Où il sera question de spaghettis, de macaronis, de pâtes à la carbonara, de sauce all’arrabbiata … A la recherche des légendes qui entourent les pâtes. Un tour du monde gourmand à déguster sans modération

Pierre-Brice LEBRUN va de suite au but ! Non, ce ne sont ni Marco Polo, ni les Italiens, ni les Chinois qui ont inventé les pâtes. Alors pourquoi cette légende de Marco Polo a-t-elle perduré jusqu’à nous ?
Les pâtes ! Il en existerait 600 modèles différents dont 300 pour la seule Italie mais une infinité de recettes. Les Italiens en mangent chaque jour, en antipasti, en plat, des longues, des courtes, des farcies, des dures, des molles, des coudées, des fines, des joufflues, des creuses, des torsadées … Alexandre Dumas dans son Grand dictionnaire de la gastronomie donne des recettes et déclare « Le vin est la partie intellectuelle d’un repas, les viandes et les légumes n’en sont que la partie matérielle » et nous pourrions dire que les pâtes en sont la partie artistique ». C’est aussi depuis longtemps la cuisine des étudiants pressés et pauvres.
Revenons à Marco Polo (1254-1324). En 1295, il revient à Venise après son exil asiatique de 17 ans et un voyage de retour de 4 ans qui l’entraîne à Sumatra, Ceylan, Ormuz, Bassora, Bagdad et enfin Damas qu’il rejoint à dos de dromadaire. Ils furent 600 à partir mais ne revinrent Place Saint-Marc que 18. Venise est en guerre et Marco Polo repart de suite combattre les Génois. Il est fait prisonnier le 8 septembre 1298 sur l’île de Curzola. Il profite de sa détention pour dicter à son compagnon de cellule italien, Rusticello de Pise, ses souvenirs de Chine. Ce dernier a écrit divers épisodes de La Table ronde. En français, le livre s’appelle Le Livre des Merveilles. Un épisode raconte que les Chinois utilisent le blé pour fabriquer « toutes sortes de pâtes » et qu’ils ne « mangent le blé que sous forme de vermicelles ou de pâtisserie » Mais le manuscrit original a subi de multiples traductions, français, latin, toscan, vénitien et par de nombreux copistes qui y ont mis chacun leur grain de sel …et cette précision sur les Chinois mangeurs de pâtes n’apparaît qu’au 16ème siècle. D’après Grégory Blue, enseignant en histoire du monde et notamment en histoire de la Chine, rien ne prouve que Marco Polo ai fait une quelconque mention de lasagnes ou de pâtes à propos de la Chine et qu’il n’y a aucun témoignage qu’il en rapporta. Mais alors d’où vient cette légende tenace ? La vérité de Pierre-Brice est qu’elle aurait été inventée par les Américains, comme celle du Père Noël tout rouge popularisée par Coca-Cola !! Ce sont les Italiens pauvres qui mangent des pâtes et dire que les pâtes viennent d’Italie ce n’est pas vendeur ! Ce serait le « Macaroni Journal » qui aurait lancé l’information en 1929 : dans une publicité, on voyait un membre de l’équipage de Marco Polo, répondant au nom de « Macaroni », rencontrer des femmes en train de fabriquer des fils de pâtes. Une légende reprise ensuite au cinéma, Gary Cooper incarnant l’intrépide Marco Polo, en 1938, dans « The Adventures of Marco Polo » coréalisé par Archie Mayo et John Ford. Le « Macaroni Journal » publie une histoire de Chine d’un savant qui n’existe pas, article qui raconte que Marco Polo avait un marin du nom de Spaghetti, qui en Chine, voit des Chinois manger un truc bizarre et qui va baptiser ce met du nom de spaghettis. Communiquer autour des merveilles de Chine, c’est plus vendeur que les Italiens ! Les Américains ont même inventé la Journée mondiale des pâtes, la première édition a eu lieu le 26 octobre 2009. On affirme aussi que Thomas Jefferson (1743-1826), troisième président des Etats-Unis et auparavant ambassadeur en France et qui a beaucoup voyagé en Europe, aurait apporté dans son pays la crème glacée, la gaufre et les pâtes. Il aurait découvert les macaronis à Naples.
Une petite diversion sur les hamburgers si chers aux Américains : l’origine en serait des boulettes aplaties dans deux tranches de pain pour que cela tienne moins de place dans le bateau des émigrants allemands.
Revenons à nos pâtes ! Les guerres, les sièges, les occupations, les alliances et mariages ont favorisé la « migration » des pâtes sous toutes les formes d’un pays à l’autre : François 1er, Charles Martel, le chevalier Bayard, … crozets en Savoie, ravioles en Dauphiné et Drôme. On raconte que Catherine de Médicis a apporté dans ses bagages des quantités de pâtes lors de son mariage avec Henri II le 28 octobre 1533 à Marseille. La peur de manquer … Par nécessité, lors de guerres, de sièges … on invente de nouvelles recettes, on fait avec ce que l’on trouve pour survivre et cette gastronomie de survie dont de nombreux plats sont venus jusqu’à notre époque, alimente beaucoup de légendes plus ou moins fausses.
La première usine de pâtes alimentaires n’est pas italienne mais américaine. Elle a été inaugurée à Brooklyn en 1848 par Antoine Zerega, meunier français natif de Lyon. Il avait installé un cheval au sous-sol pour faire fonctionner sa machine et les pâtes séchaient au soleil sur le toit.
A l’époque romaine, il existait déjà la pizza : des traces ont été retrouvées à Pompéi, des molles et des croustillantes. On parle aussi de lasagnes constituées de fines feuilles de pâte bouillie et de farce que l’on pense faite de reste de viande, de poisson, d’œufs battus, d’huile d’olive mais pas encore de tomates à cette époque. Grecs et Romains auraient connu les pâtes fraiches de type lasagnes mais de nombreuses versions de cette assertion selon Michel Field dans son roman « L’homme des pâtes », Jacques Bouchut et son « Old cook » ou Bill Bufford et « Chaud Brûlant ». Les Romains cuisinaient des pâtes plutôt frites dans des fours à pain, comme des galettes.
Il existe deux espèces de blé, le blé tendre (farine et pâtes fraîches) et blé dur (semoule et farine pour pâtes sèches). Tous deux sont originaires de la Mésopotamie où ils sont cultivés depuis près de 12 000 ans. De la farine, on a produit du pain 9000 – 9500 ans avant JC. 1750 ans avant JC on trouve des recettes de pâtes écrites sur des tablettes, ce sont les plus anciennes recettes. C’est aussi à cette époque que l’on trouve le plus vieux code du droit, toujours en Mésopotamie. Il est constitué de 252 articles, « Nul ne pourra dire qu’il ne le savait pas ». Les Mésopotamiens ont aussi inventé le parfum, l’encens et sa distillation, tous les alcools de grains, la bière, les pâtes, ils ont domestiqué des cochons sauvages. Ils savaient écrire, 1750 avant JC. Il y a 4000 ans, la mère était à égalité avec le père. Ils ont inventé la cuisine comme elle est aujourd’hui, les épices, les goûts, les cuissons. Et ce sont les mêmes qui vont coloniser l’Andalousie et amener leur cuisine en Europe. Les mêmes recettes depuis 4000 ans se sont promenées autour de la Méditerranée. Ils vont beaucoup voyager, vont coloniser la Sicile, ouvrir des comptoirs, faire venir des artisans, maroquiniers par exemple. La première usine de pâtes ouvre à Trabia, près de Palerme, en 1154, des pâtes qui seront exportées. C’est la 1ère usine et d’autres vont essaimer. Cuisson longue dans un bouillon, lait de chèvre d’amandes, des épices, de la cannelle. Cuisson brève en 1837. La tomate arrive en France en même temps que la pomme de terre mais on ne la mange pas, elle est toxique, elle est utilisée en décoration. Canular de la BBC : l’émission Panorama, à la télévision, le 1er avril 1959 envoie une équipe en Suisse dans le Tessin pour couvrir la récolte de spaghettis. Le standard explose sous les appels des cultivateurs anglais qui veulent cultiver ces arbres à spaghettis.
La cuisine italienne n’est pas seulement celle des pizzas et des pâtes mais les Italiens sont les maîtres incontestés de la pâte. Les révolutionnaires qui se rassemblaient dans les cabanes de charbonniers, pour faire à manger, ont un jour fait le tour des fermes et ramener œufs, pâtes, lardons (lardello ou pancetta). Ils ont inventé les pâtes à la carbonara.
Autre curiosité, la choucroute c’est chinois, apportée par Attila qui vient jusqu’au Rhin et laisse ses marmites en partant. Et à la base, c’est avec du poisson du Rhin !
La meilleure façon de cuire les pâtes : 1 litre d’eau pour 100 gr de pâtes, saler quand l’eau commence à bouillir, ne pas couvrir, ne jamais les rincer, réutiliser l’eau de cuisson. On peut aussi les faire cuire dans l’eau de cuisson des légumes. L’indispensable touche finale est ce que les Italiens appellent la spadellata soit poêler les pâtes avec leur sauce dans une poêle chaude (la padellata) à feux intense en touillant avec une cuillère en bois. Si pas de sauce, sécher les pâtes dans la poêle et rajouter un peu d’huile d’olive, le feu éteint, du persil, de l’ail, du beurre frais.
Quel régal !! Le Petit traité des pâtes de Pierre-Brice Lebrun – Editions Le Roseau – vous régalera de multiples recettes et de curieuses anecdotes.
A son actif, Petit traité de la pomme de terre et de la frite – Petit traité de la boulette – Petit traité du pois chiche et bien d’autres livres aussi appétissants. www.pierrebrice lebrun.unblog.fr