N° 07 – LA FEMME EMANCIPEE, UN ENJEU DE LA LAÏCITE.

MARIE CARMEN GARCIA-VILLORIA – Conférencière, chercheuse en histoire et sociologie de l’exclusion et de la laïcité. Spécialiste des types d’émancipation et des droits de la femme.
13 février 2017 – 63 participants. Dans le sillage du rappel des principes généraux de la laïcité, la conférence montrera leur rôle émancipateur pour les femmes en s’appuyant sur des exemples actuels.
Friedrich Engels : « Le degré d’émancipation de la femme est la mesure naturelle de l’émancipation générale »
Concernant les violences faites aux femmes, nous sommes confrontées à une réalité internationale : excision interdite dans certains pays mais pratiquée à grande échelle par tradition, même en France où ces actes sont interdits et punis par la loi. Mouvements anti-IVG avec des rassemblements dans la rue et devant les hôpitaux. Aux USA, 8 médecins pratiquant l’IVG assassinés, infirmières menacées. Au Pakistan, tentative d’assassinat d’une fillette à l’école. Sans parler de ce qui se passe dans les conflits, enlèvements, viols, mariages forcés …
Le mot patriarcat vient de pater, le père, qui tient sous sa coupe la femme dominée. Le père émancipe le fils mais domine la femme. Le mariage a pour but l’agrandissement du patrimoine, c’est un rapt symbolique.
Antiquité grecque. Platon : le premier sexe est unique et il est masculin. Aristote : l’homme est raison, la femme est matière. Le droit romain : le père possède le ventre de la mère.
Justification idéologique de la domination : la femme est irrationnelle, futile, séductrice, de faiblesse physique et psychologique ce qui justifie une autorité, une oppression. Justification religieuse de la domination: les 3 religions monothéistes justifient la hiérarchie des sexes par la religion. Dans l’ancien testament Adam est créé à l’image de dieu, Eve est tirée de la côte d’Adam, elle est là pour aider Adam. Pour le judaïsme orthodoxe, se couvrir la tête remonte à l’ancien testament. Dans le nouveau testament d’après Saint-Paul, le mari est le chef de la femme et la femme doit le craindre. L’homme est la raison et l’esprit, femme est le corps. L’homme est créé à la gloire de dieu et la femme pour servir l’homme. L’homme doit se marier pour connaître ses fils. La femme a une double fonction, sexuelle et de procréation. L’homme est la figure de l’identité. Dans le Coran : l’homme a un degré de préséance sur la femme. L’homme doit s’isoler des femmes en cours de menstruation. Un témoignage d’homme vaut deux témoignages de femmes. La femme ne peut se refuser à son mari. Mais dans ces textes qui affirment la supériorité des hommes sur les femmes, les messages d’amour ne sont pas remis en cause.
Collusion politico-religieuse. Au XXème siècle en Espagne, sous le gouvernement du Front populaire, les femmes ont le droit de vote, le droit de se marier à la mairie, le droit de divorcer, ont accès à l’IVG. Mais la dictature franquiste, soutenue par l’armée, la grande bourgeoisie et le clergé revient sur ces droits et renvoie la femme au foyer et à l’église. Plus de mixité scolaire, plus de droit de vote, seules les femmes célibataires ou veuves peuvent travailler. Le rôle des femmes est d’être au service de dieu, de la patrie et du foyer. Ce n’est qu’en 2010 qu’on verra le retour de l’IVG.
En Allemagne sous le Troisième Reich : les « trois K » Kinder, Küche und Kirche soit Enfants, Eglise, Cuisine décrivent le rôle de la femme dans la société et la famille soit assurer l’éducation des enfants, cuisiner pour la famille selon la morale religieuse.
En France, sous le régime de Vichy, Travail, Famille, Patrie fut la devise officielle du gouvernement. Elle figurait notamment sur les pièces de monnaie. Politique et religion ensemble poussent à l’oppression de la femme, dans son corps, sa sexualité, son esprit.
Les chemins de l’émancipation. Au fil des époques, une prise de conscience se fait jour, faite par des femmes, qui en ont les moyens financiers et intellectuels. Les salons littéraires au XVIIIème siècle avec Mme Du Deffand, Mme Geoffrin et ensuite Mlle de Lespinasse. Olympe de Gouges, femme de lettres, femme politique, guillotinée en 1796 et considérée comme une des pionnières du féminisme. Emmeline Pankhurst (1858-1928), femme politique britannique, leader des Suffragettes, dont l’action pour l’obtention en 1918 du droit de vote pour les femmes en Grande-Bretagne est reconnue. Des hommes aussi. Condorcet (1743-1794), philosophe et mathématicien français qui écrit «Sur l’admission des femmes au droit de cité ». John Stuart Mill avec «De l’assujettissement des femmes » en 1869. Margaret Mead, anthropologue, de 1931 à 1933, étudie en Nouvelle-Guinée, trois sociétés primitives, les Chambuli, les Mundugumor et les Arapesh afin de comparer les attitudes masculin-féminin. Elle en tire deux ouvrages qui posent la question du comportement selon le genre : un homme doit-il être fort et violent, une femme, douce et soumise ? Voici ce qu’elle écrit « Cette enquête nous a conduits à examiner dans le détail les traits caractéristiques que trois peuples primitifs assignent normalement à la personnalité de chaque sexe. Chez les Arapesh, aussi bien hommes que femmes, nous dirions que les traits, vus sous l’angle familial, nous apparaissent comme maternels, et ils sont féminins si on les envisage du point de vue sexuel. Garçons et filles apprennent, dès le plus jeune âge, à acquérir le sens de la solidarité, à éviter les attitudes agressives, à porter attention aux besoins et désirs d’autrui. Ni les hommes ni les femmes n’ont le sentiment que la sexualité est une force puissante dont ils sont les esclaves. Les Mundugumor se sont, au contraire, révélés être, à quelque sexe qu’ils appartiennent, d’un tempérament brutal, agressif, d’une sexualité exigeante : rien, chez eux, de tendre et de maternel. C’est un type de tempérament que nous associerons, chez nous, à un caractère rétif et violent. Ni les Arapesh, ni les Mundugumor, n’ont éprouvé le besoin d’instituer une différence entre les sexes. L’idéal arapesh est celui d’un homme doux et sensible, marié à une femme également douce et sensible. Pour les Mundugumor, c’est celui d’un homme violent et agressif marié à une femme tout aussi violente et agressive. Les Chambuli, en revanche, nous ont donné une image renversée de ce qui se passe dans notre société. La femme y est le partenaire dominant. Elle a la tête froide, et c’est elle qui mène la barque ; l’homme est, des deux, le moins capable et le plus émotif. ». Simone de Beauvoir : Le 2ème sexe, 1949. Source Wikipédia : « Le credo qui paraît en filigrane tout au long des pages est bien qu’aucune femme n’a de destin tout tracé. L’auteur exclue tout déterminisme chez l’humain, s’intéresse autant à l’infériorisation de la femme en tant que fait, qu’à ces causes, qui ne sauraient venir de quelque ordre naturel. »
Quelques dates essentielles de l’émancipation des femmes : 1938, suppression de l’incapacité civile. 1944, Droit de vote. 1946, principe d’égalité femme/homme dans tous les domaines. 1965, le code du mariage et l’autonomie financière. 1975, loi Veil sur l’IVG. 2002, le congé parental. Pour obtenir ces nouveaux droits de nombreuses luttes et actions de militantes : 1960, le Planning familial. 1971, le Manifeste des 343 salopes. 1972, Procès de Bobigny avec Gisèle Halimi. A partir de 1980, littérature féministe, avec Elisabeth Badinter, Judith Butler. 2002, le mouvement Ni putes ni soumises.
Quel rôle la laïcité a-t-elle dans l’émancipation des femmes ? Laïcité = laos, le peuple dans son entier, dans son unité, s’oppose au communautarisme. C’est un idéal universaliste. Liberté de conscience, liberté d’expression, égalité de tous les citoyens, visée de l’intérêt général et du bien commun. Elle crée l’espace public, le partage de l’universel et l’espace privé, celui de la liberté individuelle. La laïcité préserve l’école du communautarisme : loi sur le port ostentatoire de signes religieux qui n’est pas une loi contre le voile. Chahdortt Djavann (Je viens d’ailleurs – Bas les voiles) rappelle que les religieux intégristes répandent un message politique avec un modèle de société où la femme doit être soumise. Pour elle, le voile est un instrument de soumission qui retranche la femme du corps social. La laïcité libère la femme des traditions religieuses. Elle accompagne le processus de l’égalité : égalité des chances à l’école, dans l’orientation, les métiers, les salaires. Pour l’égalité filles-garçons, la réflexion sur le genre questionne les déterminants sociaux par le sexe.
Chaque fois qu’une société traversera une crise politique économique ou religieuse, les droits des femmes seront remis en question. Les droits des femmes ne seront jamais acquis définitivement. Quelques exemples. En France des sites qui sous couvert de répondre aux questions sur l’IVG font peur et diffusent de fausses informations. Comme aux USA les mouvements Born again, anti IVG, anti homosexuel, pour le créationnisme. Position du Vatican contre l’IVG. Excision : pratiquée dans de nombreux pays africains malgré son interdiction dans certains, elle est tolérée comme un « accommodement raisonnable » selon Charles Taylor au Canada. C’est un relativisme culturel, se référer à la culture de tel pays pour défendre l’excision ou les femmes battues. C’est de l’intox, de la désinformation alors que la laïcité est claire et doit être appliquée pour le bien-être de la femme
Discussion avec le public. Statut de la femme des gens du voyage : compliqué car pas scolarisée, mariée très jeune et une hiérarchie des sexes assez forte. Répartition des tâches, un mieux mais pas assez ; c’est une des raisons de la faible représentation des femmes en politique. La Fête des Mères instaurée par Philippe Pétain : le centre de la féminité c’est la procréation, les mères françaises : affection, patience, quiétude, douceur, amour, courage, modestie, respect des traditions, devoir de faire de leurs enfants des hommes virils et des femmes soumises. Aujourd’hui, la femme victime du capitalisme : notion de complémentarité et non pas de parité, certains postes étant réservés aux femmes. La mondialisation galopante, l’effondrement de l’idéologie de gauche : les nouvelles féministes disent qu’elles préfèrent rester à la maison, laver les couches, allaiter pendant 4 anas (USA, Angleterre et aussi en France). Présence des mamans voilées, acceptée dans certaines écoles pour qu’elles soient intégrées. C’est à l’appréciation des directeurs mais on ne devrait pas ignorer la loi commune : je représente l’école publique quand je fais quelque chose dans cette école. La laïcité permet de faire vivre les gens différents ensemble. Si les signes religieux envahissent la vie publique on augmente le communautarisme. Au Moyen Âge, femmes abbesses, femmes propriétaires de domaines, femmes qui avaient une vie culturelle et artistique mais femmes issues de la bourgeoisie. Alsace-Lorraine : il faudrait vraiment abandonner le Concordat mais ce n’est pas à l’ordre du jour. Le communautarisme en Grande-Bretagne : historiquement des pratiques très différentes de la France : musulmans qui viennent en majorité de l’Inde, c’est une façon de ne pas vouloir les intégrer en les laissant vivre ensemble entre eux. Et cela ne met pas à l’abri des problèmes. Dans le Guardian, un article qui dit qu’en France la laïcité est raciste : cela vient que la laïcité est détournée d’une façon honteusement opportuniste par la famille Le Pen.
Une librairie : la Librairie des Femmes créée par Antoinette Fouque en mai 1974. Toujours très active, elle représente tous les courants féministes. Lieu très riche en films, conférences, essais, fiction, histoire …. www.Librairie-des-femmes.fr