N° 13 – « OSER FAIRE CONFIANCE »

Emmanuel DELESSERT – Professeur de philosophie, musicien, organisateur d’évènements culturels.
24 mai 2017 – 50 participants.
« Faire confiance quelle prise de risque intolérable ! » Le philosophe prend le contre pied du discours du repli sur soi pour nous inviter à faire le choix de « faire confiance », base de toute solidarité réelle et de tout lien humain riche de sens.

Prof de philo depuis 20 ans, Emmanuel Delessert est obsédé par la question de la confiance. Une forme d’imprévisibilité, une ode à l’incertitude. La philo qui mène à l’art, à la musique. Pourquoi le livre : tout part d’un accident d’avion où il perd son meilleur ami qui laisse 3 enfants le 9 novembre 2013 : début d’un petit changement ; depuis toujours il est admirateur de Socrate, pour sa parole libre et souple mais il lui devient urgent de laisser une trace qui lui corresponde, pour ses 3 enfants. Il commence par une trace sonore à Radio France mais il se pose la question de sa capacité à écrire, lui qui a peur des mots, et qui n’a pas le temps. Il reçoit une invitation et carte blanche par Hachette et il se lance. Et ce livre va changer sa vie.

Pourquoi c’est difficile d’écrire sur la confiance : 1ère chose : c’est une notion familière dans le sens où tout le monde a son idée, l’air de dire on connaît. La familiarité fait qu’on ne creuse pas, on ne cherche pas, on définit et on finit. La philo interroge ce qui se trouve à l’intérieur, pour une nouvelle approche. 2ème chose : un mot furieusement tendance, mot pas désuet mais très utilisé par exemple dans le couple – on peut faire les comptes en toute confiance – on s’aime, on se dispute, on se sépare en toute confiance. Aussi dans le travail, dans l’entreprise : on travaille en confiance mais on fout les gens dehors en toute confiance. (Il intervient en entreprises). 3ème chose : le cynisme, la naïveté, le naïf de service, tout le monde est revenu de tout, tout le monde sait tout sur tout, tout est pourri, et le naïf est bien moqué, sourire en coin, on nourrit un cynisme ambiant. « Les sceptiques, ces hommes éminents qui nous laissent sans recours ou secours » d’après Quant. Paradigmes qui le fascinent l’idiot, le naïf Don Quichotte qui suit tout le monde, qui suit un imposteur – relire Don Quichotte – Sancho c’est vous et moi, qui voit non pas des géants, mais des moulins à vent. « Il doit en être ainsi même si je n’y comprends rien » c’est la grandeur de Sancho. Il vient d’un monde du bon sens où les soirs on racontait des contes autour d’une soupe et de reblochon, et maintenant un monde où nous devons ouvrir nos sacs par sécurité, ou la prudence, la peur de l’invisible sont au maximum et c’est ce qui nous empêche de vivre. Culture de la méfiance encore plus forte en période terroriste et la confusion entre prudence et méfiance est dangereuse. Il suffit que la suspicion existe pour qu’un individu devienne suspect. Culture de la méfiance, le risque c’est notre existence, notre dignité. Son urgence, être le militant du risque retrouvé.

Faire confiance est-ce une force ? 1 – La sagesse ordinaire, c’est de dire je fais confiance aux gens en qui j’ai confiance. 2- Faire confiance peut être un renforcement de soi au-delà de toute attente. Faire confiance c’est être une force pour l’autre et c’est aussi un ferment de reconnaissance et j’ai de la force par cette reconnaissance. 3 – Faire confiance c’est décider le monde dans lequel on veut vivre

1 – Avoir confiance et faire confiance/ Avoir confiance = sentiment de confort, de sécurité, nous permet d’affronter sereinement l’incertitude. Je me sens bien mais l’autre en face reste le même. Je me sens bien mais il ne va rien m’arriver. Avoir confiance n’engage que nous-mêmes, ce n’est pas un indicateur du comportement des autres, c’est un sentiment solitaire et passif. Faire confiance = un acte par lequel je décide de m’en remettre à l’autre pour quelque chose que je ne peux ou ne veux pas faire. Un acte par lequel je me fragilise, une mise en fragilité délibérée. C’est un acte qui donne du pouvoir à l’autre sur moi, un pouvoir à fort enjeu .On laisse faire les autres en faisant confiance même si on est pétrifié par l’idée que l’autre prend notre masque, notre identité, notre savoir-faire. Comment je peux être fort si je lâche l’affaire. Contrôler : la confiance n’exclut pas le contrôle c’est ce qu’on entend dans les entreprises, mais lui, le philosophe dit, la confiance exclut le contrôle. S’en remettre à ceux qu’on connaît : tout le monde a son petit cercle rapproché, l’inconnu ne peut pas nous faire très mal, mais les proches oui, ça fout la trouille d’être aimé, attendre tout de l’autre ça fait peur. La confiance ne peut qu’être qu’entière et pas fragmentée, elle ne peut pas être graduelle. Se fier à son sentiment de confiance c’est aussi se fier à un séducteur, un manipulateur qui dissimule. Je voulais que tu m’aimes, que tu m’aimes à l’intérieur des règles que je fixe.

Faire confiance qu’est-ce qu’on va y gagner ? Pas besoin de test, on y va, on est pris tout entier, on se transforme mutuellement. Une force : et si l’ennemi c’était soi-même ? Nous sommes notre propre ennemi. Nous sommes faibles en face de nos résolutions. Nos limites, on les aime, nous sommes dans le plaisir et on s’y complet. Un maître, ce n’est pas le savoir c’est quelqu’un qui nous dit là où ça bloque (Tu ne travailles pas assez mais tu as du talent), on est mieux vu par un maître que par soi, il faut parfois un choc, une rencontre pour avancer. Faire confiance au maître qui accompagne, qui engueule mais qu’on suit et à qui on fait confiance. Il faut quelquefois être bousculé, emmené, entraîné. Pour avancer, pour être conscient de son potentiel, de ses capacités. Être mis en responsabilité.
Faire confiance c’est juste ne pas aller vers ce qu’on connaît. C’est prendre rendez vous avec soi-même par la médiation de ce que l’autre est, c’est par l’interaction. Force de notre identité. Faire chaque jour des actes de confiance. Retraite en solitaire, se soustraire aux autres comment ça peut aider ? Être libre c’est ne jamais être ce que je suis. Les hommes jouent à ce qu’ils sont, ils jouent à être, on n’est pas ce qu’on est. Cela fait de nous des êtres libres, je ne suis pas malade, je joue à être la maladie et là j’ai des choix et dans ces choix j’ai la liberté. Je ne suis jamais sûr : avez-vous vu ce que je suis ou ce que je m’efforce d’être ? Parler de chemin, nous sommes suspendus à la reconnaissance. Faire confiance en quelqu’un c’est respecter ce quelqu’un. Et celui qui vous fait confiance vous illumine. Je suis investi de ta confiance. Je peux habiller l’autre plus grand.
Passer par la force d’un autre, et transformer l’autre en allant de l’humain à l’humain. Faire confiance de personne à personne, de l’humain à l’humain.
Quel monde je fabrique en faisant confiance ? Un monde où les libertés sont activées.
Socrate, condamné à mort pour avoir corrompu la jeunesse : soit je ne l’ai pas fait express soit je l’ai fait express, là il faut me condamner. Si j’avais nuit aux gens, corrompu en conscience j’aurais quitté la Grèce depuis longtemps, tous ces gens que je ne voudrais pas côtoyer
Faire confiance, c’est ce dire que c’est pour de vrai. Rechercher du sens. On ne fait pas confiance pour quelque chose, mais confiance aux autres, à l’humain, à la vie.

Questions : Se faire confiance, c’est passer par les autres, les autres nous donnent ce que nous sommes, notre identité : vous êtes là ce soir donc je suis conférencier.
Quand on a été trahi doit-on repartir avec les mêmes personnes ? Attention, on parle toujours de trahison des autres mais jamais de la nôtre ! Dans la relation affective, l’autre a changé, tu n’es plus le même, celui que j’aimais. Avoir le dernier mot, rupture car quelque chose a changé, violence de la trahison et difficulté à refaire confiance à quelqu’un d’autre.
Prendre des risques : être cohérent dans ses actes de prévention mais l’idée de maîtrise est illusoire. Gérer les risques, réduction des risques c’est ne pas tenir compte de l’intelligence collective. Tout calibrer c’est abêtissant.
Faire confiance c’est concret, l’espérance c’est dans l’espace, dans l’air, ça va arriver mais on ne sait pas. Faire confiance c’est mettre en œuvre, c’est faire du sens, c’est poser des actes, c’est faire ce qu’on a à faire.
Ne pas projeter des attentes sur les autres mais apprendre à les voir pour ce qu’ils ne sont pas, dans leur vulnérabilité, leur faiblesse.

Quelques citations du livre : La méfiance favorise des comportements frileux qui s’installent d’autant mieux qu’ils peuvent être confondus avec la prudence. – Contrairement à la force tranquille que l’on possède quand « on a confiance », on assume, quand on « fait confiance », une indéniable incertitude. – Il peut y avoir une certaine arrogance dans l’incapacité à recevoir, à accueillir ce que les autres ne cessent pourtant de nous offrir. – Tout lien social, toute force collective semblent requérir cette possibilité première de faire confiance, pour que se mette en œuvre quelque chose de neuf.

Séance de dédicace. L’évènement organisé par Emmanuel est le Elle’stival à Veyrier-du-Lac, en début d’été, un festival de musique au féminin.