N° 01 – ÉGALITÉ FEMMES-HOMME, FÉMINISMES, DROIT DES FEMMES : QUELS COMBATS EN 2016 ?

JOHANNA LUYSSEN – Auteur – Journaliste au journal Libération.
21 octobre 2015 – 37 participants.
Après les avancées spectaculaires des années 70, où se nichent les nouveaux enjeux du féminisme et de l’égalité femmes-hommes ?

Que représente le féminisme aujourd’hui alors que de nombreuses personnalités se revendiquent du féminisme, même les membres de la Manif pour Tous alors que ce mouvement milite contre la GPA et a fait reculer le gouvernement sur l’égalité filles-garçons à l’école. Aujourd’hui c’est un sujet de plus en plus débattu et par des gens qui sont bien loin du féminisme. Pic spectaculaire de la notion de féminisme depuis les années 60 et les années 80 et 90 ont vu un essor de l’utilisation du mot.
Pour comprendre nous allons remonter le temps. On a tendance à penser que tout commence au moment de la publication du Deuxième Sexe, de Simone de Beauvoir, en 1949. Un livre fondamental, qui pense les inégalités de genre comme étant culturelles, et non naturelles, et donc, avec cette phrase qui fera date : « On ne naît pas femme, on le devient.». Certains pensent, aussi, que l’histoire des femmes commence avec le Manifeste des 343 salopes, le droit à l’avortement et les manifestations du Mouvement de Libération des Femmes. Mais c’est faux le féminisme remonte à beaucoup plus loin ; les femmes n’ont pas tout à coup fait irruption dans l’Histoire du monde au moment des années 70. Les mouvements féministes non plus. Elles ont toujours été là. Elles ont été politiques, paysannes, avocates, scientifiques, aviatrices, écrivaines, musiciennes. Mais elles ont souvent été remisées au placard, laissées dans l’ombre des “grands hommes”. Connaissez-vous leur nom ? La peintre Elisabeth Vigée-Lebrun, grande portraitiste du 18 et 19ème siècles ? La compositrice Germaine Tailleferre, seule femme membre du Groupe des Six avec Darius Milhaud, Francis Poulenc, Arthur Honegger entre autres ? L’aviatrice Adrienne Bolland, qui a franchi la première la Cordillère des Andes ? Vous connaissez les frères Méliès, mais connaissez-vous Alice Guy, première réalisatrice de fiction de l’histoire du cinéma, qui réalisa son premier film, « La fée aux choux » à 23 ans, en 1896 ? Elle en a réalisé plus de mille dans sa carrière. Elles sont les oubliées des livres d’histoire. Il faut donc réécrire l’histoire du monde en tenant compte de leur présence, comme les Editions des Femmes créées par Antoinette Fouque, figure historique du MLF, en éditant, fin 2014, le Dictionnaire universel des créatrices, soit 10 000 femmes qui sortent de l’ombre. Comme l’historienne Michelle Perrot, auteure d’une Histoire des femmes avec Georges Duby. Autre exemple historique, la Révolution américaine avec les pères fondateurs mais pas de mère fondatrice et qui prône l’égalité mais entre hommes blancs. Combien de femmes dans l’ombre des hommes ? Colette derrière Willy, Marthe Gautier, dont la découverte de la trisomie 21 est volée par Jérôme Lejeune. Et combien d’autres.

Quelques rappels chronologiques : 1945, droit de vote. 1965, droit pour les femmes mariées sans contrat de gérer leurs propres biens et d’exercer une activité professionnelle sans l’accord du mari. 1967, droit d’aller à la Bourse. 1967, droit à la contraception mais décrets d’application en 1971. 1970, autorité parentale conjointe. 1975, autorisation de l’IVG (loi Veil) et autorisation du divorce par consentement mutuel. 1980, le viol devient un crime et en 2010, parité entre violence dans le couple et rapports sexuels imposés même dans le couple. En 2000, la loi sur la parité en politique conditionne les aides publiques aux partis par rapport au nombre de femmes dans leurs rangs.
Mais les lois ne font pas tout. Pour ne pas avoir appliqué la parité en politique de grosses pénalités sont requises (LR). Des femmes mises au rencart dans des circonscriptions dites de contexte. Les textes législatifs ne soit pas suffisants pour lutter contre le sexisme qui règne en politique et dans les médias. La loi garantit l’accès à l’avortement, mais de nombreuses entraves : clauses de conscience des médecins, trahison du serment d’Hippocrate, attaque de la pilule du lendemain par les pharmaciens. Le FN est hostile au financement du planning familial. En Pologne, le parti conservateur essaye d’interdire l’avortement mais recule sous la pression des citoyens. En Irlande en 2012 une femme à qui on a refusé l’avortement est en morte en couche après une septicémie Le combat n’est jamais terminé ni gagné.

Il n’y a pas un féminisme, il y a des féminismes… mais cela reste du féminisme. Aujourd’hui, on entend de plus en plus parler de féminisme et parfois par des gens qu’on n’avait pas associés à la sphère militante. L’actrice Emma Watson l’évoque lors d’un discours à l’Onu en 2014 ; la chanteuse Beyoncé l’écrit en lettres vives sur scène, et récite, en plein Stade de France, un texte de l’écrivaine nigériane Chimamanda Ngozi Adichie, «Nous sommes tous des féministes». En 2015, chaque étudiant suédois s’est vu remettre un exemplaire de ce manifeste traduit dans plusieurs langues. François Hollande se déclare féministe dans une interview dans le magazine Elle, à l’occasion du 8 mars 2016 – on pourra trouver cela opportuniste, mais rappelons, pour mémoire, ce que l’un de ses prédécesseurs, Jacques Chirac, disait, dans un entretien au Figaro Magazine, en 1978 : « Pour moi, la femme idéale, c’est la femme corrézienne, celle de l’ancien temps, dure à la peine, qui sert les hommes à table, ne s’assied jamais avec eux et ne parle pas ».
On voit donc qu’un certain chemin a été parcouru depuis cette époque chez les chefs d’Etat français. En 2016, nous ne sommes pas toutes obligées de répondre aux canons de la femme corrézienne selon Jacques Chirac. Nous pouvons travailler, ne pas cuisiner, voire, même, miracle, partager la table des hommes. Au Canada, Justin Trudeau se dit féministe, tandis que le sexisme violent de Donald Trump est fustigé par les médias américains. En France des mouvements citoyens s’organisent, grève des femmes, collectif des Georgette Sand pour faire baisser le prix des tampons et protections : baisse de 5% de la TVA, collectif de femmes sur Médiapart qui relève les propos et clichés sexistes et machistes des élus, collectif de journalistes « Bas les pattes » contre députés, ministres et porte-paroles. Il y a ainsi des quantités d’exemples. l’affaire Baupin en est un avec 14 témoignages de femmes (harceleur et présumé violeur, ce député avait posé avec du rouge à lèvres pour la journée du 8 mars). 17 anciennes ministres ont signé une tribune appelée « Levons l’omerta ». Même chose aux Etats-Unis avec les jeunes filles victimes de violences sexuelles sur les campus. Les victimes de Bill Cosby, plusieurs dizaines, ont pris la parole en même temps, tout comme les nombreuses victimes de Trump. Comme les courageuses voix de l’association lyonnaise La Parole libérée, qui affirme recueillir en quelques mois seulement plus de 400 témoignages de personnes qui ont été victimes de violences dans leur enfance, principalement perpétrées par des prêtres pédophiles.

Dans tous ces cas, le traitement médiatique et juridique est minoré : on parle délit et non pas crime. Les unes des journaux sont révélatrices : mortes d’avoir été trop belles – amateur de petites filles piégés sur internet (amateur comme de bons vins) – papy fou de sexes trainé au tribunal par une conquête alors qu’il s’agit de prostitution. Les mots tuent mais aujourd’hui on peut les dénoncer. Récupération par certains partis : suite aux agressions à Cologne le FN a brandi l’égalité F-H et affirmé que les violeurs sont les migrants- Double peine pour les femmes noires, comme Angela Davis, femmes et de couleur. Pour les féministes musulmanes. La question du voile est instrumentalisé : défense de la femme par droite et extrême droite alors qu’on ne les entend pas sur les questions d’égalité. Le FN systématiquement vote contre tout ce qui concerne les femmes au parlement européen alors qu’il s’érige en défenseur de l’égalité quand on parle du burkini.
Et les hommes ? Les hommes aussi sont féministes. L’anti sexisme appartient à tout le monde, et n’épargne personne. A voir le parcours de François Poulain de la Barre, philosophe du 18ème siècle qui écrit “De l’inégalité entre les sexes” et qui inspira Simone de Beauvoir, du médecin Paul Milliez, qui, catholique fervent pourfendeur de l’avortement, témoigna pourtant à la demande de Gisèle Halimi lors du procès de Bobigny, en 1971. « Je ne vois pas pourquoi nous, catholiques, imposerions notre morale à l’ensemble des Français ». Le conseil national de l’Ordre des médecins lui adressera un blâme à la suite de son soutien à l’IVG. Si dans les années 70 certains mouvements féministes se disaient “non-mixtes”, afin de laisser la parole des femmes se libérer sans intervention masculine, ce n’est plus le cas aujourd’hui.

Aujourd’hui, nous sommes en pleine troisième vague du féminisme. Un féminisme queer, afro féministe, afropéeen, musulman, un féminisme citoyen qui s’attache à lutter pour faire baisser le prix des tampons… un féminisme pop, 2.0, un féminisme qu’on peut parfois questionner, surtout lorsqu’il est utilisé en cas de récupérations politiques mais toujours intéressant, car il perpétue l’énergie d’un mouvement qui est très ancien, mais d’un mot qui est très récent – on date l’apparition du mot « féminisme » au 19ème siècle seulement…

Suite aux questions, quelques réflexions : ce sont les femmes qui changeront la vie des femmes, pas les hommes. La représentation des femmes en responsabilité dans les médias est salutaire pour l’image de la femme que peuvent avoir les petites filles qui regardent la télévision. Il faut mettre en place des choses qui permettent aux femmes de concilier le travail de la mère de famille et vie publique. Combat : prise de paroles, dire, des initiatives, et pas seulement pour les femmes mais aussi les noirs par exemple aux USA, enseignement, réseaux sociaux pour faire passer plus largement les idées féministes. Apostropher les marques qui jouent sur le genre fille – garçon. (Jouets par exemple).