N° 05 – CHEMINS D’ESPÉRANCE. CES COMBATS GAGNES, PARFOIS PERDUS MAIS QUE NOUS REMPORTERONS ENSEMBLE.

JEAN ZIEGLER. Vice-président du Comité Consultatif des Droits de l’Homme à l’ONU.
25 janvier 2017 – 150 participants.
De grands combats avec des succès … mais aussi des échecs. Mais c’est finalement un message d’espérance que veut délivrer ce combattant de toujours.

Un grand honneur pour notre association de recevoir Jean Ziegler : simplicité, disponibilité, franc-parler, convictions, franchise, il peut susciter autant admiration que détestation. Après un sandwich maison et un bon verre de vin, (quand on vous dit simplicité) , c’est Christiane Doreau, correspondante du Messager qui présente notre invité. Un parcours professionnel et personnel au service de ses convictions et engagements, une vie de combats.

Comment parler de « Chemins d’espérance » alors que le monde, aux mains de la finance internationale, est à feu et à sang ? Tout d’abord un constat. Près d’un milliard d’êtres humains sont sous-alimentés, toutes les 5 secondes, un enfant de moins de 10 ans meurt de faim. C’est un assassinat, un massacre alors que selon la FAO, l’agriculture actuelle pourrait nourrir 12 milliards de personnes soit près du double de l’humanité. En 2015, selon la Banque mondiale, les 500 plus grandes sociétés transcontinentales privées qui possèdent le capital financier contrôlaient 52,8 % des richesses mondiales et tout ce qui est contrôlé par ces sociétés échappe aux états, aux syndicats, aux populations. A ce jour, c’est un groupe de milliardaires qui va diriger les USA avec Trump. D’après le rapport Oxfam, les 85 personnes les plus riches du monde ont une fortune personnelle égale à ce que possèdent 3,5 milliards d’êtres humains de la planète. Ce n’est plus l’homme qui compte c’est la finance, le capital mondial globalisé va là où le profit est le maximum.

Jusqu’en 1990 il existait une bipolarité avec une moitié du monde sous régime communiste Mais aujourd’hui plus de bipolarité et ce sont les forces aveugles du marché qui gouvernent la planète. On assiste à une lutte de classes mondiale, et on nous présente les inégalités comme un phénomène naturel. 1% des plus riches possède autant que les 99%. Si on analyse les réformes fiscales dans les grands pays, on constate qu’elles sont faites en faveur des classes privilégiée et toujours au détriment des plus pauvres et de la classe moyenne. Et c’est au détriment de la santé, de l’éducation …. Des millions de personnes deviennent « déchets « : n’ont pas accès au travail, à la santé, à la culture ….Nous sommes confrontés à une dictature mondiale du capital financier, dans un univers de violence structurelle.

L’être humain est doté de conscience, complémentarité, réciprocité, solidarité … Nous avons toutes les armes en main pour un monde meilleur mais nous subissons une aliénation par exemple avec des votes contre le peuple par le peuple lui-même. (Voir en Suisse).

L’ONU et la stratégie impérialiste des Etats Unis. Rappelons-nous les raisons et le projet de la création des Nations Unies en 1945 : faire la paix, vaincre la misère dans le monde, garantir à tous l’ensemble des droits humains. Tous les états du monde y sont présents sauf le Vatican. Les USA sont à la pointe pour imposer les règles. Mais aujourd’hui, des guerres ravagent des pays, des régions, Syrie, Darfour, Mali, Soudan. 67 états pratiquent la torture. Les USA donnent 60% des sommes pour lutter contre la faim dans le monde mais suite aux élections, le nouveau président annonce sa volonté de réduire les participations des USA aux actions de l’ONU. Toutes les nominations aux instances de l’ONU sont présentées d’abord aux américains, rien ne se fait sans eux. Il y a une pression américaine dans tous les domaines par exemple avec Bush sur la question de l’Irak : le conseil des Nations Unies avait voté contre l’intervention sur les conseils de la France mais les américains sont passés outre, refusant de se soumettre. Aujourd’hui tout le monde s’attend au pire de l’administration Trump. Que vont devenir diplomatie et négociations?

Peut-on parler d’espérance ? Les richesses produites sont au service de la dette : toutes les exportations des pays africains vont à la dette, pas d’investissements possibles dans l’agriculture, dans l’éducation, dans la santé. Dumping sur les marchés agricoles africains, achat à moitié prix de leurs productions. Spéculation boursière sur les aliments de base. Quand les prix explosent suite à cette spéculation, les habitants ne peuvent plus se nourrir et notamment dans les quartiers les plus pauvres. C’est la cause première de la mort par malnutrition. Si on interdisait la spéculation boursière sur les aliments de base, la malnutrition serait réglée en 15 jours et nous le pouvons. En Syrie, un début de « printemps arabe » avec cortèges, manifestations de citoyens qui demandent un minimum de liberté. Résultat, une punition collective par le régime, sous les yeux du monde entier. Les Nations Unies sont alors paralysées par le droit de veto. Crime contre l’humanité, génocide au Darfour, veto chinois. Attaques sur Gaza tous les 2 ans par l’armée israélienne et impossibilité de reconstruire les maisons détruites à cause du blocus : veto contre toute amélioration de la situation et contre l’interdiction du blocus israélien. A l’ONU, les pays ont tous une voix, la Chine comme les petits pays de quelques dizaines de milliers d’habitants. « Roosevelt affirmait que, une fois libéré du fascisme, le monde devait se doter d’une organisation totalement démocratique. La Chine (1,3 milliard d’habitants) et le Vanuatu (254 000 habitants) ont chacun une voix à l’Assemblée générale, qui est l’organe suprême de l’ONU. Roosevelt voulait s’en tenir à ce principe d’égalité. Mais Churchill avait à l’esprit l’histoire récente de l’Allemagne. En mars 1933, Hitler s’était fait voter les pleins pouvoirs par 441 députés au Reichstag contre 94. Pour Churchill, rien ne garantissait qu’une telle folie ne se reproduise pas un jour, à l’Assemblée générale des Nations unies. Il fallait donc un frein en cas d’urgence ; ce fut le droit de veto. Dit positivement : une décision devient effective si les cinq membres permanents du Conseil sont d’accord. L’origine du droit de veto est donc explicable, mais aujourd’hui cette règle est devenue paralysante.
Nous sommes sur la crête ». Interview de Jean Ziegler du 7 octobre 2016 au journal l’Humanité. Rappel du système du Droit de veto : Les rédacteurs de la Charte des Nations Unies ont voulu que cinq pays – la Chine, les États-Unis d’Amérique, la France, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord et l’Union des Républiques socialistes soviétiques (à laquelle a succédé la Fédération de Russie en 1990) – continuent de jouer un rôle de premier plan dans le maintien de la paix et de la sécurité internationales en raison de la part essentielle qu’ils avaient prise à la création de l’ONU. Ces cinq pays se sont vu accorder le statut privilégié de membre permanent du Conseil de sécurité ainsi qu’un droit de vote particulier connu sous le nom de « droit de veto ». Les rédacteurs de la Charte ont n effet décidé qu’il suffirait que l’un des cinq membres permanents parmi les 15 membres du Conseil de sécurité émette un vote négatif pour qu’une résolution ou une décision ne puisse être adoptée.
Chacun des cinq membres permanents a exercé son droit de veto à un moment ou à un autre. Un membre permanent qui n’approuve pas entièrement un projet de résolution mais préfère ne pas exercer son droit de veto peut s’abstenir et permettre ainsi que la résolution soit adoptée, à condition bien sûr qu’elle recueille le nombre requis de neuf voix pour.

Alors où trouver de l’espoir ? L’espérance réside dans une réforme radicale du Conseil de sécurité telle que la préconisée l’ancien secrétaire général Kofi Annam à son départ en 2006. Ce plan pour réorganiser l’ONU refait surface 10 ans après sa proposition. Il y a une chance réelle que la réforme de Kofi Annan soit adoptée. En Syrie, ce qui paralyse toute intervention de l’ONU (casques bleus, corridors humanitaires, interdiction de survol par les bombardiers …) c’est le veto russe, motivé par des raisons d’Etat tout à fait égoïstes, la défense d’un régime qui garantit aux Russes l’accès à la Méditerranée, par Lattaquié, premier port sur la côté syrienne et Tartous. Tartous est le seul point de ravitaillement et de réparation de la Marine Russe en Méditerrané ce qui évite aux navires de guerre russes de regagne leurs bases de la mer Noire en passant par les Détroits turcs. Le conflit en Syrie provoque des conséquences épouvantables dans tous les pays et surtout en Europe. Les migrants ont le droit absolu de traverser les frontières s’ils sont menacés dans leurs droits fondamentaux universels dans leur propre pays, c’est inscrit dans les Droits de l’homme. Ces migrants vivent dans les pires conditions à cause des délinquants de la commission européenne qui sont responsables des morts en méditerranée quand la route des Balkans a été fermé. Il faut mettre fin au massacre en Syrie et là pas de veto possible. L’espoir suite à la réforme proposée par Kofi Annan, c’est justement que le veto russe soit impossible : Comment sortir de cette paralysie ? En interdisant, par une réforme de la Charte, les veto dans des conflits où des crimes contre l’humanité sont commis par l’une ou l’autre des parties. C’est uniquement si cette réforme passe et que le droit de veto des cinq membres permanents est annulé dans ces situations très concrètes que l’ONU pourra agir.

C’est aux progressistes de dire le monde tel qu’il doit être. Il faut se mobiliser pour que les Nations unies soient réformées radicalement et redeviennent le principal acteur mondial. Cela dépend de nous il faut que les opinions publiques exigent cette réforme et notamment en France. C’est sur ces paroles d’espoir que se termine l’exposé.

Questions : pessimisme sur le résultat des luttes, et les luttes auront-elles vraiment lieu ? Réponse : La France est entrée en résistance, la preuve, son président n’ose même plus se présenter devant elle car le peuple par ses oppositions lui ont signifié qu’il ne veut plus de lui. Et nous avons eu notre révolution qui a changé le monde. Cette révolution peut arriver demain il suffit d’une étincelle.
Evasion fiscale, traités économiques : un progrès, par exemple en Suisse échange automatique d’informations sur l’ouverture de comptes étrangers. Mais les sociétés offshores, anonymes, dont les sièges sont dans les paradis fiscaux, et qui ouvrent un compte en Suisse, dans ce cas il n’y a plus de moyens d’échanges. Un vrai riche décide aujourd’hui s’il veut payer des impôts et combien. Aucun pays ne devrait accepter des paiements de sociétés basées dans les paradis fiscaux ; c’est la seule façon pour éviter le pillage incroyable. Les salariés eux payent des impôts sur leurs revenus et c’est une redistribution pour tous et c’est une très bonne méthode. Mais les ultras riches échappent à ce devoir de redistribution et en plus de façon légale. Les avocats sont là pour mettre tout en ordre selon les lois.
Afrique, les dirigeants qui font des actions pour se libérer du poids des multinationales se font assassiner. Et ce sont les états eux-mêmes qui organisent les famines en acceptant des multinationales les plantations pour les énergies à la place des productions vivrières.

La soirée se conclut par une séance de dédicaces des nombreux livres de Jean Ziegler proposés par la librairie CULTURA.
Parole de Pablo Neruda, camarade de combat de Salvador Alliende : « Ils pourront couper toutes les fleurs, ils n’empêcheront jamais le printemps. »

Un film : L’optimisme de la volonté de Nicolas Wadimoff.
En 1964, le Che demanda au jeune Jean Ziegler la possibilité de rester en Suisse pour lutter dans le « cerveau du Monstre » capitaliste. Lors d’un voyage à Cuba en compagnie de sa femme Erica, ses idées révolutionnaires sont mises à l’épreuve des changements qu’il découvre sur l’île. Ziegler fait-il partie des vainqueurs ou des perdants, face au « Monstre » ?