N° 08 – LA CENSURE AU CINEMA

Abderrahmane BEKIEKH – Enseignant en cinéma – 23 janvier 2015 – 29 participants. Le pouvoir des images … Les images du pouvoir …

Au commencement, la censure – de tout temps, l’église, le prêtre : ce qui est dessiné, ce qui est montré est interdit. Dès le premier âge, on intègre ce que l’on peut regarder, le bien, le mal. On l’intègre et la censure est acquise, on la porte en nous, elle parcourt toute notre vie, ou alors on est libre et provocateur. Luis Bunuel, Alfred Hitchcock ont été des provocateurs. Thomas Edison : Créer, solliciter du bonheur. Le cinéma est une industrie, un spectacle collectif. Le premier baiser s’attire les foudres des bien-pensants mais le public aime. 1896 :
« Coochee coochee danse de Fatima » la danse du ventre et le mari, la femme, l’amant. Pour les ligues de vertu le cinéma est un lieu de perdition. Dans les scènes de baisers, de toilette, de danse, on cache les parties du corps qu’on ne saurait voir. Société de protection de l’enfance – Interdiction de diffusion – Autorisation au coup par coup. Le public veut du sexe mais bien enrobé : on choisit une histoire pour montrer des scènes interdites sans trop les montrer (Traite des blanches). Femme fatale, plus de frontière entre l’actrice et la femme réelle. La vamp = femme fatale = vampire = Cléopâtre. 1915, Hollywood va conquérir le monde mais les censeurs avec leurs ciseaux sont très actifs. Ils s’appuient sur une liste très complète de ce qui est interdit : alcool, baisers lascifs, maladies vénériennes, lacération à l’arme blanche, prostitution, traites des blanches, femmes enceintes … 1915, le film de D.W. Griffith « Naissance d’une nation », le plus long et le plus cher de l’histoire, déclenche des torrents de détestation pour la manière dont il dépeint la Reconstruction du Sud après la Guerre de Sécession. Les personnages noirs sont présentés comme des prédateurs sexuels et des voyous avides de revanche, les anciens propriétaires d’esclaves comme de pauvres victimes et les membres du Ku Klux Klan comme des chevaliers blancs. Ce film est à la fois un tour de force technique et une abjection morale qui illustre à merveille la pensée raciste : violente, paranoïaque, névrotique sur le plan sexuel, sentimentale et absurde. La question de savoir si une œuvre d’art peut être dangereuse et mérite d’être interdite n’a pas été tranchée. Certains libéraux de l’époque considéraient que l’histoire distordue présentée dans le film avait des implications si dangereuses pour les noirs américains qu’ils n’hésitèrent pas à s’allier à des réactionnaires qui souhaitaient mettre le cinéma sous coupe réglée. Au même moment, les partisans les plus durs de la liberté d’expression à gauche renvoyaient dos à dos le film et ceux qui voulaient le faire interdire. «Les libéraux sont partagés entre deux désirs: ils détestent autant l’injustice faite au nègre que l’idée d’un contrôle bureaucratique de la pensée.» L. Chenery, journaliste de Chicago.
Les producteurs demandent plus de sexe mais leurs films sont saccagés par les censeurs. Rudolf Valentino, sexe symbole, va provoquer la censure. En 1922, le procès de Fatty Arbuckle (acteur scénariste) pour viol et homicide sur la personne de Virginia Rappe (actrice, modèle) suivi de plusieurs meurtres et suicides dans le monde du cinéma, provoque l’élaboration du « code de la censure ». Les scénaristes vont l’appliquer au moment de l’écriture et ceux qui réalisent le film le font aussi. Mais le code va être détourné dans l’écriture : conflit ouvert avec les censeurs. L’acteur réalisateur Erich Von Stroheim, très influencé par D.W Griffith, (il a été acteur dans ses films), provocateur, qui travaille dans la démesure, revendique la liberté d’expression. (Réalisateur de « Folies de femmes », acteur dans « La grande illusion »). Les chansons, les titres peuvent aussi être censurés : « Une femme pour sept frères » devient « les sept femmes de Barberousse». Les accessoires, les vêtements défient la censure. Gros plans sur la poitrine de l’actrice habillée d’un modèle de soutien-gorge aérodynamique, la poitrine garantit le succès commercial. C’est Jane Russel dans le film de Howard Hughes, The Outlaw (Le banni). La publicité en est très dénudée et les ligues de décence obtiennent l’interdiction du film dans certains états. Mais le public en fera un succès. Autre accessoire bien utilisé : le révolver, symbole sexuel. 1948 : Le temps des baisers, les baisers sont entrecoupés de dialogues pour détourner la censure, comme dans «Les enchaînés », film d’Alfred Hitchcock. 1953 : c’est « Tant qu’il y aura des hommes » de Fred Zinnemann. Attaque du mariage sacré, (adultère sur la plage), de la hiérarchie militaire mais aussi souffrance de la femme, émotion. Les censeurs en perdent leurs repères. Les scènes de sexe sont interdites mais une cigarette, une bretelle qu’on remonte, une boucle d’oreilles qu’on accroche : l’acte a bien eu lieu. « Haute pègre », film de 1932 de Ernst Lubitsch : pas de couple dans un lit mais des jeux de miroirs, des ombres sur le lit. 1934, « Tarzan et sa compagne » et Jane nue dans l’eau. La violence : le méchant doit être tué mais pas le policier. « Scarface » en 1932, un film de Howard Hawks : la police remet les choses en ordre, les méchants sont punis (Tony), la sœur (Cesca) se détourne du frère. Homosexualité : les scénaristes savent très bien cacher des images subliminales de l’homosexualité. « Calimity Jane ou la blonde du Far-West » – 1953 avec Doris Day et son caractère de garçon manqué. Et aussi en 1954 dans « Johnny Guitar » film de Nicolas Ray et le duel entre deux femmes qui ne s’en laissent pas conter : l’altière Joan Crawford, Vienna et Mercedes McCambridge, Emma, bloc de haine étouffant le désir et la jalousie qui la rongent. En 1959, William Wyle, sous l’impulsion de l’écrivain Gore Vidal qui participe au scénario de Karl Tunberg, fait de Ben- Hur l’un des plus beaux drames de l’amour homosexuel au cinéma, avec une telle subtilité que seuls les plus avertis peuvent lire à livre ouvert dans le cœur de Messala (Stephen Boyd) et de Ben Hur (Charlton Heston), dans celui aussi du consul Quintus Arrius (Jack Hawkins) dont le regard est empli de désir pour le ténébreux galérien.

Pour conclure, un film de 1946 qui a lui seul montre la femme fatale qui n’est plus désirée, sa frustration sexuelle, l’érotisme le plus intime, le sadisme de deux hommes et camoufle habilement l’homosexualité masculine. C’est Gilda, de Charles Vidor, avec Rita Hayworth (Gilda), Glenn Ford (Johnny) et- George Macready (Ballin)
Sources Télérama : A Buenos Aires, en Argentine, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, Johnny Farrell, un joueur médiocre, est agressé par des mauvais perdants dans une sombre ruelle des docks. Il est tiré d’affaire par un certain Ballin Mundson, propriétaire d’une maison de jeu. Johnny entre à son service. Les deux hommes deviennent rapidement amis. Ballin, toutefois, dissimule à Johnny ses activités clandestines. Au retour d’un voyage, il lui présente sa femme, la capiteuse Gilda. Johnny reconnaît en elle l’amante fatale qui fut jadis la cause de sa déchéance. En présence de Ballin, ni l’un ni l’autre ne laisse paraître le moindre signe qui pourrait trahir leur ancienne liaison. Entre ces trois êtres, des relations étranges prennent forme… Gilda n’apparaît que très tard à l’image. Non pas qu’elle ne sache se faire désirer. Au contraire, parce qu’on ne la désire pas. Ni Ballin, son mari, directeur de casino livide et balafré ; ni Johnny, son ex, jeune loup fringant et gominé. En 1946, alors que Rita Hayworth est au sommet de sa carrière, l’insinuation est de taille. Il ne s’agit en rien d’un avertissement à l’actrice sur sa chute prochaine, mais plutôt de l’audacieux camouflage d’un sujet impossible à traiter à l’époque, l’homosexualité masculine : filmé comme un objet de désir, Johnny est littéralement levé sur le trottoir par le mari de Gilda, armé… d’une canne. Caché sous le label « film noir », Gilda met donc à nu l’entourage d’une femme fatale au charme inopérant. Impavide et mateuse, la caméra épouse le regard sadique des hommes qui l’entourent. Elle scrute le visage de Gilda, secoué de mouvements de joie toujours interrompus par l’irruption de figures masculines malveillantes. Rongée par sa frustration sexuelle, Gilda n’a qu’une seule satisfaction physique : la danse. Pour la première fois à Hollywood, dans la mythique scène du strip-tease ganté, une actrice osait danser seule à l’écran, tout en extériorisant ses pulsions érotiques les plus intimes Dès la sortie, le public fit un triomphe à ce film sec et amer sur le manque d’amour. Aujourd’hui encore, Gilda reste un bluffant manifeste sur l’atrophie du désir.