Michel ETIEVENT – Ecrivain – Historien – 1er avril 2015 – 26 participants.
L’histoire sociale française, le Front Populaire, la Résistance, la Libération et l’héritage social qu’il nous a légué avec le Conseil National de la Résistance.
Ambroise Croizat nait le 28 janvier 1901 en Tarentaise, à Notre Dame de Briançon. Le père, Antoine, travaille à l’usine de la Société d’Electrochimie, pour huit sous de l’heure, à frapper sur des bidons de carbure douze à quatorze heures la journée. Devant les creusets en fusion, pas de protection, l’accident de travail est fréquent, des blessures, la mort, pas de sécurité sociale. On ne peut compter que sur les quêtes de charité, la solidarité et le bon vouloir paternaliste des patrons. Pas même de congé hebdomadaire. La retraite ne concerne qu’un million de salariés sur sept millions. En 1906, le père est le meneur d’une grève pour la protection sociale, 10 hommes sont licenciés pour cause de syndicalisme. Mais les ouvriers, après une semaine de négociations obtiennent la création de la toute nouvelle CGT, deux jours de congé par an et une augmentation de 20 centimes pour les postes les plus exposés. Mais Antoine est muté, il part avec sa famille à Ugine et en 1908 à Lyon où il sera cheminot à la gare de Vaise. Lors de la manifestation monstre du 30 juillet 1914, il se fait remarquer en intervenant violemment contre la guerre, il est emprisonné à Saint-Paul et à peine libéré il est affecté en première ligne à Charleroi. En l’absence du père, la mère fait des ménages et Ambroise abandonne l’école et devient apprenti ajusteur-outilleur dans une robinetterie ; il a 13 ans. Par les lettres de son père, il prend la guerre en horreur et est farouchement antimilitariste. Il adhère à la CGT des métallos, en 1917 devient membre de la direction général et adhère ensuite à la SFIO. Deux mois avant le congrès de Tours, la jeunesse socialiste du Rhône opte pour la Troisième Internationale et le 25 décembre 1920, à Tours, nait le Parti Communiste Français, antimilitariste, anticolonialiste. Au côté d’Ambroise, se tient le père revenu du front.
Pour Ambroise, 1926-1930 sont des années de lutte, avec les Jeunesses Communistes. Il fait un tour de France des usines, suscite des grèves, soutient des conflits. Il s’oppose au départ des jeunes appelés pour l’étranger afin d’y réprimer des révoltes. C’est à Toulon alors qu’il exhorte à la désertion les soldats en partance pour la Syrie, qu’il rencontre Marcel Paul, orphelin, marin, syndicaliste. En 1927, il est nommé à la tête de la Fédération des métaux CGTU, permanent. En militant ambulant, il sillonne la France, Marseille, Saint-Chamond, Lille … A Audincourt, il rencontre sa future épouse, Denise, militante du textile et licenciée pour avoir défilé un 1er mai. Ensemble ils gagnent Paris. Au Congrès communiste de Saint-Denis, Ambroise entre au Comité central. Il y siègera jusqu’à sa mort
Très tôt il se bat contre le fascisme « Si on veut arrêter l’arrivée du fascisme, il faut unir le peuple français ». En effet, le péril fasciste, l’aggravation des conditions de vie et de travail, le chômage provoquent peu à peu un fort besoin d’unité dans la classe ouvrière. Suite à la tentative des ligues d’extrême-droite de s’emparer de l’Assemblé Nationale – 6 février 1934 – deux manifestations s’organisent, CGT et SFIO d’un côté, PCF et CGTU de l’autre. On peut craindre l’affrontement mais c’est au contraire le rassemblement. Le Front Populaire est né. Le 3 mai 1936, la France tourne à gauche. Le PCF compte 72 députés dont Ambroise. Le 7 juin 1936, les Accords Matignon donnent naissance aux 15 jours de congés payés, à la semaine de 40 heures et des « 2 dimanches », aux conventions collectives sur les conditions de travail : « La dignité désormais entre dans les usines ». Création de maisons de repos, parc de loisirs, colonies de vacances. La Maison des Métallos à Paris accueille dès le 2 mai 1937, une mutuelle, la caisse des assurances sociales, une librairie, des salles de lecture et de sport. Ambroise a ces mots prémonitoires : « Santé, culture, loisirs, des mots que les ouvriers n’osaient prononcer. Ils font désormais partie de nos quotidiens ; nous confierons ces mots en héritage à nos enfants ; mais gardons-nous de les considérer comme acquis, la bourgeoisie ne désarme jamais ».
Mais le rêve est court, dès janvier 1937, la fragile coalition au pouvoir se fendille sous la pression des trusts, d’un patronat réorganisé et des chefs d’entreprise n’appliquant pas les lois. Le gouvernement ne respecte pas ses engagements et la non-intervention de la France dans la guerre d’Espagne (Léon Blum) brise encore plus la fragile unité. A l’initiative du PCF, les Brigades Internationales envoient armes, vivres, médicaments et vont se battre au côté des Républicains. « Ne pas être en Espagne, c’est laisser le chemin libre à la barbarie. Les Républicains sont nos frères. Résister avec eux, c’est prendre des gages pour le futur. La servitude n’empêche pas la guerre. Au contraire, elle la précipite ».
En novembre 1938, le gouvernement Daladier impose des mesures qui attentent à la plupart des acquis : semaine de 40 heures (loi de paresse et de trahison), baisse des salaires, impôts nouveaux. Le 30 novembre 1938, grève générale mais 40 000 licenciements. Les syndicalistes sont sur la liste noire, la classe ouvrière est décapitée.
L’année 1939 est noire pour Ambroise, Marcel et les organisations. Le 23 août, la signature du Pacte de non-agression germano-soviétique jette la consternation chez les militants. Le gouvernement en profite : l’Humanité est suspendue, le PCF est dissout. S’en suivent arrestations, perquisitions, révocations d’élus. Le 7 octobre, Ambroise est arrêté sur le parvis de l’Assemblée Nationale et enfermé à la Santé avec 35 autres députés communistes. Les futurs ministres de Pétain leur promettent « le pistolet derrière la nuque » ou « la guillotine ». Le 3 avril 1940, 44 députés communistes sont condamnés à cinq ans de prison et déchus des droits civiques et politiques. Ambroise est envoyé au bagne de Maison Carré à Alger. Il sera libéré avec ses compagnons le 5 février 1943 par les Alliés qui occupent Alger. La résistance commence mais la tâche sera longue et rude. Ambroise rejoint le gouvernement provisoire libre, avec De Gaulle.
« Il faut bâtir une France à l’ambition de nos rêves et de nos mains. Dès l’annonce du programme du Conseil National de la Résistance en mars 1944, Ambroise, depuis Alger, définit les grands axes de la future « sécu » sur lesquels il travaillera dès son retour avec les syndicats, les associations familiales et les services du ministère de la Santé. Une ordonnance paraît le 4 octobre 1945. En novembre 1945, Ambroise Croizat est nommé ministre du Travail. Une véritable révolution est en marche : sécurité sociale, allocations familiales, congés maternité, comités d’entreprises, statut des mineurs, de la fonction publique, du bâtiment. Une révolution en termes de droit à la santé, de droit au travail, solidarité, universalité, démocratie. Une des plus belles conquêtes dans une France ruinée et cela bien que les médecins, les assurances privées, la droite s’y opposent.
Ambroise Croizat, un homme moderne, qui met l’humain au centre de tous les combats, un homme actif proche du peuple, qui connaît la souffrance sociale, qui la constate sur le terrain, qui écoute les doléances et agit pour la satisfaction immédiate des besoins des gens avec une vision à long terme.
Après les années 1950, on ne parle plus du CNR. En 70 ans, divers plans ont démantelé les acquis, pour arriver au privé. Une base sécurité sociale au minimum, des complémentaires et des sur-mutuelles pour ceux qui pourront les payer.
Ambroise Croizat meurt le 11 février 1951 des suites d’une hémorragie. Il a la première attaque le 24 octobre 1950 après son discours à l’Assemblé Nationale sur le bilan de 5 ans de sécurité sociale. Ses derniers mots seront : « Jamais nous ne tolèrerons que soit rogné un seul des avantages de la sécurité sociale, nous défendrons à en mourir et avec la dernière énergie cette loi humaine et de progrès ».
Ce texte a été rédigé avec le concours du livre de Michel Etiévent : Marcel Paul, Ambroise Croizat. Chemins croisés d’innovation sociale ».
« Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur, surgissent les monstres » Antonio Gramsci, écrivain, théoricien politique, membre fondateur du Parti communiste italien.