N° 13 – LES FEMMES AU TEMPS DE LA GRANDE GUERRE

Mathilde DUBESSET – Historienne – 25 mars 2015 – 17 participants.
Ouvrières dans l’armement, enseignantes dans les écoles de garçons, infirmières pour les blessés, les femmes remplacent les hommes mais ont-elles gagné leur émancipation ?
Le travail de Mathilde DUBESSET s’appuie sur une recherche historique par le biais des femmes dans la Grande Guerre. Collecte de documents au niveau national, beaucoup de photos, de courriers. Guerre européenne et mondiale, elle a été guerre de l’ère industrielle, guerre de morts de masse. Elle a laissé des traces dans les paysages, dans la mémoire collective. Elle a séparé le monde des hommes sur le front des personnes de l’arrière. C’est une ligne de partage entre deux mondes. A partir des années 70, on commence à étudier le rôle des femmes dans la société de 1914. Voir les travaux de Françoise Thébaud.
L’ordre de mobilisation est proclamé le 2 août 1914. Une partie de la France rurale découvre la guerre, il faut partir, la fleur au fusil. Ce n’est qu’une image car le départ engendre beaucoup d’angoisse et de chagrin bien qu’on pense que le retour sera très rapide. On part par patriotisme, pour la défense de la patrie. 3,6 millions d’hommes sont mobilisés en France. Les cinq premiers mois sont les plus meurtriers, 300 000 morts français, 27 000 en une seule journée, le 22 août. Impossible de monter à l’assaut, on s’enterre dans les tranchées. L’industrie de l’armement tourne à plein régime.
Dès le 7 août 1914, appel du président du Conseil, René VIVIANI : « Debout, femmes françaises ». Les bons ouvriers, les conducteurs, les mineurs sont rappelés pour travailler à l’arrière et ce sont les ruraux qui sont envoyés sur le front. Dans les campagnes plus de chevaux, les conditions de vie sont très difficiles. Pas d’aide des Préfets, des administrations. Dans les villes, dans l’espace public, les femmes s’engagent comme factrices, conductrices de tramway, coltineuses (transport du charbon), enseignantes dans les collèges et lycées de garçons, pasteurs. Dans l’industrie de l’armement, dans les grands bassins industriels, énorme mobilisation des femmes, c’est l’autre front de la guerre. Les ouvriers qualifiés revenus du front seront les contremaîtres d’ouvriers chinois, indochinois, kabyles, portugais, grecs, espagnols. Et les femmes qui sont affectées dès 1915 à la fabrication des obus et de projectiles divers. (Les munitionnettes).
Beaucoup de femmes s’embauchent car le salaire est très correct, il correspond à celui des hommes. De nombreuses usines se convertissent dans l’armement. En 1918, on compte 430 000 femmes dans ces usines, le travail est dur et en particulier celui des soudeuses. Un témoignage de Marcelle Capy publié dans la revue La voix des femmes et qui décrit «le travail à l’usine de guerre, une réalité âpre ». En effet, plus de lois du travail, travail de nuit, conditions très difficiles, produits toxiques. En en plus, ces femmes doivent assumer le quotidien de leur famille et l’angoisse causé par le sort de leurs parents sur le front.
On salue le travail des femmes, bien sûr mais les regards vont se faire accusateurs : elles contribuent à la guerre. A partir de 1917, protestations, mutineries, grèves des femmes, mouvements pacifistes. Les médecins s’inquiètent de la masculinisation des femmes, du changement de leur comportement, de leurs revendications.
Dès août 1914, mobilisation massive pour les soins aux soldats blessés. Beaucoup de femmes s’engagent même sans attendre les autorités. Les blessures sont terribles, amputations en masse près du front, les services médicaux militaires sont totalement dépassés. Beaucoup de femmes se forment aux soins, assurent l’accueil dans les gares, c’est la grande armée de la charité. 100 000 femmes dont 70 000 bénévoles comme celles de la Croix Rouge et 10 000 religieuses qui ont une formation d’infirmière. 3 millions de soldats blessés, hospitalisés et quelquefois deux fois. La femme au chevet des blessés et mourants et qui côtoie la mort au quotidien est l’ange blanc, l’ange gardien qui répare les dégâts causés par la guerre sur les corps et dans les âmes.
Des infirmières recevront la Légion d’Honneur. Marie Curie a l’initiative de la radiologie mobile pour les blessés : elle obtient du Ministère de la Guerre un ordre de mission pour le transport d’un véhicule équipé de matériel jusqu’au front belge. Après ces unités mobiles, 200 postes fixes seront installés.
La séparation est une épreuve, la pratique de l’écrit est très importante, essentielle et seul moyen de communiquer. L’homme s’inquiète de la marche de la ferme, de la maison, donne des conseils. Au début, il essaye de ne pas alarmer la famille, mais plus tard il parlera mieux de la réalité de ses souffrances. La prière, la religion sont un recours. Il parle aussi, peu à peu, de soldats exécutés juste parce qu’ils n’ont pas tenu leur poste. Ces lettres sont des témoignages sur la guerre mais aussi sur les relations des femmes et des hommes.
Le deuil : des artistes en parlent. Jane Catulle-Mendès et « La prière à l’enfant mort » en 1921. Les estampes de Théophile Steinlen. 700 000 veuves sans compter toutes les jeunes filles qui resteront célibataires, les veuves blanches.
Les femmes des territoires occupés : Belgique et dix départements français. Vie difficile pour les civils, viols de guerre par les soldats allemands. Conséquences, des grossesses et des infanticides d’où un débat sur l’avortement, sujet tabou levé en temps de guerre pour la défense de la race française. Travail forcé, 20 000 femmes déportées de Lille, Roubaix, Tourcoing dans les Ardennes pour y travailler. Faim, détérioration de l’habitat, destruction. Des femmes résistantes comme Louise de Bettignies à Lille avec un réseau de 250 agents de renseignements, une héroïne de guerre qui meurt de pleurésie en prison en 1918.
Fin de la guerre. Ce n’est pas une victoire mais un soulagement. 1,5 millions de tués, un mort pour 28 habitants, un homme sur 5. Des veuves et des enfants sans père. 3 millions de blessés dont 1,2 millions handicapés, physiques et mentaux, défigurés, invalides, gazés, alcooliques. Difficulté à se réinsérer dans la famille. Certains ne supportent plus les enfants qui doivent être placés dans des institutions. Beaucoup de divorces, quelques meurtres de femmes infidèles. (Meurtriers acquittés)
Emancipation des femmes : dans les années 20, les choses changent, vêtements, coupes de cheveux courtes, robes, jupes raccourcies au genou, (les garçonnes). Accès à des emplois, niveau d’instruction en hausse, comportement plus autonome. Une veuve sur deux s’est remariée, souvent avec un homme revenu de la guerre ou même un compagnon du mari.
Mais beaucoup perdent leur emploi de guerre et on les renvoie sans ménagement. On les rappelle aussi car manque de main d’œuvre masculine. Devoir de maternité, interdiction de la publicité sur la contraception, avortements jugés très sévèrement, multiplication des médailles et décorations pour le mérite des mères. Et même le droit de vote pour les femmes est repoussé par le Sénat.