N° 14 – LES NOUVEAUX VISAGES DES INÉGALITÉS EN FRANCE AUJOURD’HUI.

Marie Jo EGGER – Marc GINDRE – Professeurs d’économie et de sciences sociales – 2 AVRIL 2014 – 35 participants.
Inégalités de revenus et de patrimoine. Inégalités à l’école. Egalités des chances et idéologie du mérite
Certaines inégalités sont justes telles que les salaires de différentes catégories d’emploi, infirmière et aide-soignante par exemple mais quand une inégalité devient-elle une injustice ? Un idéal français : Liberté – Egalité – Fraternité est bafoué quand on parle d’inégalité de salaires hommes/femmes. Des égalités comme le montant des Allocations familiales, des contraventions, des frais d’inscription à la fac peuvent paraître comme des inégalités. Un constat, les inégalités de situation progressent alors que les droits dans la loi progressent aussi.
Retour des héritiers et des rentiers.
A – Evolution des revenus. Revenus du travail et prestations sociales et revenus de la propriété, loyers, actions, obligations. Niveau de vie 2012 : 8 % ont des revenue entre 1000 et 1200 €/mois. En 2011, les plus hauts revenus sont 400 à 1500 fois le SMIC. De 2000 à 2010, 10% des plus pauvres gagnent entre 7 540 et
7 940 €/an et 10% des plus riches, entre 47 240 et 56 160 €/an. Entre les deux guerres, les inégalités avaient beaucoup chuté et s’étaient stabilisées jusqu’en 1995 et ont progressé ensuite. Le seuil officiel de pauvreté correspond aux 60% du revenu médian soit 977 € pour une personne seule. Au début des années 2000 le nombre était passé de 4 millions à 3 millions 700 000 personnes. En 2011, il était de 4 millions 755 000. En Haute Savoie il y a une augmentation des plus pauvres dans les zones où se trouvent aussi les plus riches : Chamonix, La Clusaz. C’est une situation explosive. Salaires bas : niveau du marché du travail, embauches au plus bas même avec des diplômes, gel des salaires après les 35 heures, 16% au SMIC, coup de pouce au minimum. Revenus les plus élevés : contexte favorable avec partage de la valeur ajoutée selon l’exigence des actionnaires, faiblesse des syndicats, 40% des actionnaires basés à l’étranger, revenus immobiliers en forte hausse, choix politique de la fiscalité avec allègement sur les revenus les plus élevés et sur la propriété, diminution du taux marginal. Pour les plus aisés, le taux d’imposition est plus bas que celui des classes moyennes et même populaires.
B – Patrimoines, actifs financiers et non financiers : les patrimoines globaux ont augmenté entre 1996 et 2010. Le non financier est bien plus important que le financier. Le patrimoine des 10 personnes plus riches égale celui de 6 600 000 Français. Par exemple, le patrimoine des Betancourt égale celui de 13 200 000 Français. Concentration des patrimoines supérieure aux revenus : hausse des valeurs mobilières et immobilières, réduction des droits de succession, évolution des Bourses.
C – Anciens clivages et nouvelles fractures : on constate une meilleure acceptation sociale des inégalités du patrimoine par rapport aux inégalités des revenus. Ségrégation spatiale : centre-ville très amélioré et habitat en relégation en périphérie. Phénomène d’entre soi, concentration des riches, des pauvres. Plafond de verre, murs de verre. En Haute Savoie projet de 25% de logements sociaux, Bonneville, Evian, Seynod Annemasse y parviennent, Saint-Pierre-en-Faucigny a été sanctionné en 2012 avec 11%. Besoins physiologiques : accès aux soins : renoncement aux soins pour raisons financières : en 2002, 11.8%. En 2012, 17.5%. 10% n’avaient pas de mutuelle en 2002, 15.3% en 2012. 15.6% étaient à la CMU en 2002, 24.6% en 2012. Constat de bien moins de soins chez les enfants d’ouvriers, caries, appareils dentaires, lunettes. Enquête en classes de CM2 : en surpoids, 7.4% d’enfants de cadres et 24.5% d’enfants d’ouvriers. Obésité : 0.6% d’enfants de cadres et 6.1% d’enfants d’ouvriers. Inégalité devant la mort. Fracture générationnelle : la thèse est que les enfants de parents nés après la guerre n’ont pas connu la même progression des salaires, qu’ils vivent le chômage, la précarité, une baisse des retraites, de nouvelles souffrances au travail, le risque du sida, des difficultés à se loger. Cette thèse est à nuancer mais l’instabilité est certaine, emploi, famille. Recul de l’âge d’entrer dans la vie active : en 1992, on partait de chez les parents à 22 ans, en 2010, à 27 ans. Tout se fait plus tard. On ne peut parler d’une génération en général tant les écarts sont considérables : 150 000 jeunes sortent du système scolaire sans rien – diversité de vie des parents.
La société française a toujours été inégalitaire mais se sont les évolutions qui peuvent poser problème. La progression rapide de la propriété conduit à une société de rentiers, d’héritiers.
Ecole – Berceau – Mérite.
Malgré des efforts pour un rattrapage des inégalités de naissance depuis 30 ans, pas beaucoup de mieux.
A – Etat des lieux – Massification : tous les enfants vont au collège et un maximum au lycée. Forte croissance des élèves qui passent le BAC général (1.1% en 1906, 78% en 2013). Nouveaux BAC, techniques, professionnels, qui marquent une hausse mais est-ce une marque de démocratisation ? Ceux qui se dirigent vers ces filières techniques sont les ruraux, les filles, les jeunes issus de familles modestes. C’est vrai, l’inégalité des chances a reculé depuis 30 ans mais il y a un tri selon la catégorie sociale. Sur 100 élèves, enfants d’ouvriers, 21 en BTS – 15 en DUT – 6 en CPGE – 11 en UNI – 5 en école d’ingénieurs – 2 en commerce. Les enfants de cadres sont dans ces mêmes niveaux : 16 – 28 – 49 – 31 – 48 – 50. Dans les grandes écoles même constat et recul du nombre d’enfants d’ouvriers. Dans les années 1951/1952 la moyenne des enfants d’ouvriers à Polytechnique était de 21, 18 à l’ENA, 38 à HEC 24 à L’ENS. Entre 1989 et 1993 ils n’étaient plus que 8 à Polytechnique, 6 à l’ENA, 12 à HEC et 6 à l’ENS.
B – Persistance d’une forte inégalité des chances, comment l’expliquer ? L’école fait tout pour l’égalité : anonymat des copies, accompagnement personnalisé de 2 heures en lycée, aide au handicap … Elle exige toujours la grammaire, l’orthographe, l’appétence pour la culture, le goût du questionnement. Elle exige des sacrifices immédiats dans une société qui a évolué. Tous les jeunes ne peuvent pas suivre ces exigences. Dans les milieux sociaux supérieurs, les enfants bénéficient d’une meilleure proximité avec le bon langage, la culture, livres, films, musée, voyages. Les parents donnent de l’importance à l’enseignant. Les autres enfants vivent dans un monde étranger à l’école, les parents se demandent même à quoi sert d’étudier des choses tellement loin de leur vie. Le drame de l’école d’aujourd’hui, c’est de demander aux enfants des codes qu’ils n’ont pas et de transformer le capital culturel de certains enfants en mérite. C’est l’idéologie du don et du mérite et l’enseignant est complice. Il fait une erreur d’analyse quand il dit « si tu travaillais plus tu réussirais». Et les jeunes qui sortent des filières prestigieuses peuvent dire qu’ils le doivent à leurs talents et non pas à leur héritage et peuvent accuser les autres de ne pas avoir assez travaillé. Les « miraculés » sont les pauvres qui réussissent, les « déclassés », les riches qui échouent et c’est un alibi pour dire que oui, on peut réussir même en venant d’un milieu populaire. La France, dans les grandes enquêtes, est mal classée pour l’égalité des chances. Il faut quand même des efforts pour réussir, on fait des choix et ces choix ont une influence sur la scolarité. Mais les choix sont bien souvent imposés. Par exemple, pour un enfant d’ouvrier on acceptera une moyenne de 8 à 10 en 3ème pour entrer au lycée. Pour un enfant de classe supérieur elle sera de 10 à 12. Les enfants de milieu populaire vont moins loin, n’osent pas choisir certaines filières, ils s’auto-éliment de certaines formations (ce n’est pas pour nous) même si les notes sont bonnes. Ces choix subis confortent l’inégalité des chances. Dès la Maternelle, écarts selon le milieu social, le lieu d’habitation, la carte scolaire, l’établissement, le revenu. A la fin des études, l’enfant de milieu modeste prend le premier emploi qui se présente.
Conséquences -Paradoxe d’Anderson. La mobilité sociale et intergénérationnelle en France est relativement faible. Reproduction sociale, l’ouvrier reste ouvrier. Le destin se joue bien au berceau. Le lien entre formation, diplômes et métier est très fort. Un poste de cadre reviendra à un BAC +++, aucune chance pour un non-bachelier. Mais, le diplôme ne suffit pas et la montée du chômage le prouve : inflation de diplômés, 2/3 des emplois sont dédiés aux débutants d’où une concurrence effrénée. Les entreprises vont sélectionner ceux qui ont des diplômes, qui ont fait des stages (mais les stages sont conditionnés au carnet d’adresses des parents), qui ont la maîtrise des langues (vacances à l’étranger), une culture générale, un comportement de savoir-être, une maîtrise du stress. A même diplôme, on va choisir sur d’autres critères que purement scolaires.
Conclusion : c’est l’effondrement d’un mythe, celui de l’idéologie du mérite. Serions-nous à la fin d’une histoire basée sur la méritocratie ? 1 – Le mérite n’explique pas tout « Parce que je le vaux bien » « Invente le monde qui te ressemble » Ces slogans sont d’une grande violence. 2 – Une société inégalitaire engendre des souffrances psychologiques insupportables pour ceux qui échouent car on veut leur faire croire que ce serait de leur faute.
Le paradoxe d’Anderson désigne une situation dans laquelle l’obtention d’un diplôme plus élevé que celui de ses parents n’est pas une condition suffisante pour accéder à une position socioprofessionnelle plus élevée que celle de ses parents. Il trouve son origine dans l’étude de la mobilité sociale. Près de la moitié des fils de la génération actuelle peut avoir un diplôme supérieur à celui de son père sans pour autant occuper une position sociale supérieure. Il s’agit bien d’une forme de déclassement, dans la mesure où l’obtention par un individu d’un niveau de diplôme plus élevé que celui de ses parents ne lui assure pas d’occuper une position sociale plus élevée dans la structure sociale. On constate un déclassement social intergénérationnel. Le déclassement revêt d’autres formes. En effet, il peut aussi correspondre à un décalage entre le niveau de qualification obtenu et le niveau requis pour l’emploi occupé. Le déclassement social peut être objectif ou subjectif (ressenti). Sources : site ANNABAC.