N° 1 – LA RARETÉ ET LA VALEUR DES CHOSES

Marie Jo EGGER – Marc GINDRE – Professeurs d’économie et de sciences sociales – 19 septembre 2013 – 42 participants. Une histoire de la pensée économique à partir de cette interrogation fondamentale : la rareté explique t’elle la valeur des choses ?
Ce qui fait la valeur des choses est souvent la rareté mais pas toujours, les prix ne sont pas cohérents, par exemple, celui d’une voiture, d’un portable, d’une clé USB qui peut contenir des thèses entières. Expérience de Joshua Bell, un violoniste virtuose parmi les plus brillants au monde, gagne 32 dollars en jouant dans le métro de Washington sur un Stradivarius Gibson fabriqué en 1713, d’une valeur de 3,5 millions de dollars. Ses concerts s’arrachent à 100 dollars la place.
Jusqu’au 18ème siècle le monde est celui de la rareté matérielle. Avec la révolution industrielle, on pense que l’homme s’est affranchi définitivement de la rareté et pourtant, une nouvelle rareté existe à notre époque : comment vivre avec des besoins illimités mais des ressources limitées ?
1 – Une réponse pessimiste au problème de la rareté – C’est le principe de Thomas Malthus : travail humain = production, les hommes sont condamnés à vivre dans la misère. D’après lui croissance géométrique de la population et croissance arithmétique des ressources alimentaires feront qu’une régulation se fera par la famine. Il préconise que les pauvres ne fassent plus d’enfants. Il ne peut voir comment augmenter la production agricole si ce n’est sur des terres peu fertiles qui demanderont plus d’hommes que sur des terres fertiles. Suppression de la soupe populaire, politique de l’enfant unique, on ne peut pas accepter toute la misère du monde, cela est tout à fait malthusien.
2 – Le rêve de l’abondance au banquet de la nature – Amélioration de la production, de la santé (vaccins), augmentation de l’espérance de vie = recul progressif de la rareté. Plus de ressources = moins de violence pour la survie. Efficacité du travail, accroissement de la productivité = on pense la rareté révolue. Accumulation du capital, utilisation des machines, spécialisation, rationalisation (travail à la chaîne) = tendre à supprimer le travail humain. La classe ouvrière se développe et devient force politique. Hausse des salaires, baisse des prix, augmentation du pouvoir d’achat. Produire de plus en plus en étant moins nombreux et en travaillant moins longtemps. Fin du 19ème siècle : 3000 heures/an, aujourd’hui : 1800 heures/an.
Le regard sur la valeur des choses va être modifié : ce qui fait la valeur n’est plus ce qui est rare mais ce qui est utile. Drogue, dopage, prostitution, restaurants pour chiens ont de la valeur pour ceux qui les utilisent. Émergence de l’homo œconomicus, le Prophète égaré des temps nouveau : il est à la recherche de son bien-être, de sa satisfaction mais tout en se posant aussi la question de ce à quoi il renonce en faisant tel choix. Ce qui fait le prix, la valeur des choses, c’est le marché : le prix est déterminé selon la demande – Je vends, j’achète – Trop de demandes et peu d’offres, les prix augmentent (logements, actions …). C’est idem pour le chômage, le marché remplace l’état. On laisse faire le marché, l’offre et la demande et le marché devrait s’équilibrer, c’est ce que disent les tenants du marché et de la valeur. Chacun gagne selon son mérite : 1 million d’€uros/mois ou 1 €uro/heure, c’est parce « qu’ils le valent bien ». Produire plus pour faire baisser les prix, optimiser ses compétences pour se vendre sur le marché. L’appât du gain doit profiter à tout le monde. L’homme est un loup pour l’homme.
3 – Un optimisme qui ne fait pas l’unanimité – Les détracteurs de cette pensée, de ce système. Karl Marx : la rareté organisée. C’est la valeur travail qui fait la valeur de l’échange. Tout est travail, l’homme mais aussi la machine, les ingrédients. Exemple : valeur des pêches = valeur d’usage + valeur travail + valeur d’échange, fonction de la rareté relative. Si la valeur d’échange est inférieure à la valeur travail, on détruit des pêches pour augmenter la valeur d’échange. Marx montre que le capitalisme est contradictoire. Le travail étant une marchandise, les salariés sont en compétition et cela entraîne une concurrence entre pays. Les patrons voudraient produire peu pour garder les pris à un niveau supérieur pour une élite mais ils ont aussi besoin de l’abondance. Les entreprise profitent du chômage, peuvent jouer sur les compétences, les salaires, faire du chantage. John Keynes : la valeur de la confiance. La théorie keynésienne : le marché ne régule rien, la demande de travail est portée par les décisions des entrepreneurs. Pour lui, les chômeurs, des gens non portés à la demande. L’équilibre porté par les marchés est l’exception. La sortie de crise, pour Keynes, c’est l’information, avoir la bonne information avant les autres. Les années 1980 répondent à un grand libéralisme mais on se rend compte qu’il faut quand même réguler le marché.
4 – Pas de réponse simple sur ce qui fait la valeur des choses. Il faut tenir compte de la complexité de l’être humain. Il faudrait savoir ce qui va découler d’une action, d’une décision, union, embauche, achat … on fera un choix mais qui ne sera pas rationnel. On fait des choix parce qu’on a des valeurs , on ne réfléchit pas, on le fait. Mais on transforme l’individu en calculateur qui abandonne ses valeurs. On doit gérer en permanence des décisions contradictoires. On a besoin des économistes mais aussi des sociologues pour comprendre. Nouvelles formes d’abondance et de rareté car on vit toujours dans la rareté, pour les pauvres, fin de mois difficile, pour les riches, désir de quelque chose qui manque encore.
Albert Jacquard : les ressources s’épuisent et nous devons sans cesse renoncer à des ressources et faire des choix. Nous sommes condamnés à la rareté et en croyant à l’abondance on a épuisé les ressources.
Kenneth E. Boulding : « Celui qui croit qu’une croissance exponentielle peut continuer indéfiniment dans un monde fini est soit un fou, soit un économiste ».
5 – Conclusion. On devrait payer beaucoup plus cher tous ces biens qui deviennent rares. Quand les prix sont trop bas, il faudrait chercher à savoir comment on a produit à ce prix. Aujourd’hui, les richesses immatérielles sont en abondance : on trouve sur Internet le savoir dans tous les domaines. Un clé USB qui n’est que de la copie peut contenir une richesse considérable et n’est pas plus chère que le pain. Du coup le pain acquiert une nouvelle valeur car c »’est un travail et non pas un copie. Si le fruit du travail des chercheurs, des artistes … devient un bien public, comment allons-nous les rémunérer ? Comment pouvons-nous hiérarchiser la valeur des choses de tout ce que nous pouvons acquérir pour rien ? Si tout est gratuit, l’argent ne donne rien de plus. Alors, les pauvres ne seraient-ils pas ceux qui n’ont pas les moyens intellectuels de transformer toutes ces connaissances en savoir ? Gagner du temps, rechercher frénétiquement du temps ? Nous avons perdu l’habitude d’attendre, perdu le désir de désirer. En gagnant du temps dans toutes les activités, on n’a plus le temps de rien. La rareté serait-elle aussi le temps ?
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