LES ADDICTIONS : QUE NOUS APPREND LA NEUROBIOLOGIE ?

Marcel TAPPAZ

Neurobiologiste – Directeur de Recherche CNRS honoraire.

5 juin 2013  –   25 participants

 Depuis qu’il a été montré que les animaux de laboratoire présentent des phénomènes de consommation de drogues et d’addiction aux drogues similaires à ceux observés chez l’homme, les recherches en Neurosciences ont progressivement révélé comment les drogues affectent le fonctionnement du cerveau.

Chaque drogue a un site d’action primaire spécifique au niveau des neurotransmissions synaptiques. Directement ou indirectement, toutes les drogues stimulent, via des neurones à dopamine, le circuit de la récompense à l’origine des sensations de plaisir. Cet effet constitue le fondement neurobiologique de l’appétence pour les drogues. La consommation régulière de drogue perturbe de façon chronique des mécanismes cérébraux. Ces perturbations entrainent des modifications de comportements et peuvent conduire aux phénomènes d’addiction. La vulnérabilité aux drogues dépend de facteurs génétiques et environnementaux.

D’après ces données la consommation de drogue relève de mécanismes neurobiologiques et l’addiction est une maladie de nature neuropsychiatrique.

Voici la dernière séance d’un cycle passionnant qui a fait appel à notre curiosité et notre soif de savoir. Et aussi peut-être qui a suscité en certains le désir d’aller plus loin dans la connaissance. S’il en est ainsi, la mission de l’Université Populaire est atteinte.

L’addiction est un phénomène qui a longtemps été considéré comme spécifiquement humain (c’est une  question de volonté). Mais la recherche dévoile ces mêmes addictions chez l’animal avec les mêmes corollaires, plaisir,  abus, souffrance, vulnérabilité. Rien n’a été publié avant  1990,  mais depuis 3 280 articles ont paru. Nous avons vu ce qui se passe dans le cerveau : 100 milliards de neurones – dendrites qui collectent les infos – Axones qui intègrent les infos – Terminaisons qui les transmettent. De nombreuses substances sont impliquées dans la neurotransmission des synapses : dopamine, endorphine, sérotonine. Le système qui agit est le système méso-cortico-limbique : le circuit de la récompense. Neurobiologie du plaisir : toxicomanie, addictions. Circuit de la récompense : dans notre cerveau, nous avons un circuit que nous pouvons stimuler pour ressentir du plaisir. Expériences d’autostimulation avec des électrodes intracérébrales chez le rat. Réception des stimuli, valeur hédonique, émotions associées – motivation – prise de décision – mémorisation. Ce circuit peut être activé par un stimulus hédonique naturel par exemple boisson sucrée, activité sexuelle (dopamine),  interactions sociales chez les singes, très actifs, dominants, peu actifs, dominés. Chez l’homme,  après étude de l’organisation des systèmes, le circuit de la récompense est le même que chez les rats et les singes.

Effets des drogues sur le cerveau : la recherche est très avancée. On a travaillé avec un système d’auto injection de drogue, cocaïne, chez le rat (système de levier ou par cellules photoélectriques)

Drogue                Substance active            Mode d’action

Héroïne                             morphine                            agoniste

Tabac                                 nicotine                               agoniste

Alcool                                 éthanol                               agoniste

 Site d’action :     neurotransmission

Récepteurs : endorphine – acétylcholine – GABA et autres.

« Agoniste se dit d’une substance qui se fixe sur les récepteurs des cellules, et qui produit les mêmes effets, du moins en partie ».

On a pu démontrer la localisation des récepteurs de la morphine dans le cerveau : Cortex cérébral = euphorie – thalamus = analgésie – tronc cérébral = dépression respiratoire.

Chez la souris, expérience d’inactivation du gène de récepteur à la morphine.

Injection de drogue = libération de dopamine dans le noyau accumbens (qui semble jouer un rôle très important dans le circuit de la récompense) = stimulation des systèmes du plaisir et sur -activation de tout le circuit de la récompense.

Consommation chronique : les neurones sont constamment stimulés = réduction des récepteurs pour se protéger = appel à la drogue. Ces drogues modifient l’activité du cerveau, le cortex préfrontal (énergie, prise de décision) fonctionne au ralenti. Modification des circuits neuronaux, très dommageable chez l’adolescent pour les zones encore immatures. Des associations, des lieux d’échange de seringues, des lieux d’injection existent pour aider au sevrage et éviter les maladies (sida, hépatites …).

Après l’abstinence : la densité des transporteurs de dopamine est très faible chez un drogué et il faut plus d’un an pour retrouver cette densité.

Différents usages : simple soit occasionnel – nocif soit troubles somatiques, dépendance physique – addictif  soit motivation très forte pour trouver la drogue, besoins compulsifs, incapacité à contrôler la consommation (15 à 17 % des consommateurs)

Vulnérabilité aux drogues

1 – Facteurs génétiques : nous ne sommes pas tous égaux. Par exemple, les rats Lewis sont très rapidement dépendants, les rats Fischer sont peu touchés. Pour des vrais jumeaux qui ont le même patrimoine génétique, il y a 50 % de risque que les deux consomment.

2 – Environnement : expériences sur les rats – le stress, l’isolement (1 heure par jour sur 7 jours) augmentent la consommation. Si l’environnement est enrichi, jouets, sons, couleurs … sur le lieu de prise, les rats sont moins sensibles à la prise de drogue. Chez les singes, l’interaction sociale joue, les dominés sont plus vite dépendants. Chaque drogue possède un site d’action spécifique  au niveau des neurotransmissions synaptiques.

Bilan : l’activation par les drogues des neurones à dopamine du circuit de la récompense est à l’origine de la sensation de plaisir associée à la prise de drogue. La consommation régulière de drogues altère durablement le fonctionnement des circuits neuronaux. Il en résulte des perturbations dans les  comportements. La vulnérabilité aux drogues dépend de facteurs génétiques et environnementaux.

Conclusion : la consommation de drogues relève de mécanismes neurobiologiques. L’addiction est une maladie chronique de nature neuropsychiatrique.

Dans les comportements addictifs aux jeux, sexe, argent  … l’imagerie du cerveau ressemble à celle de personnes addictives aux drogues.

La démesure, quelle qu’elle soit peut conduire à l’addiction.