L’EDUCATION EST EN CRISE, MAIS COMMENT EN SORTIR ?

Bruno  MATTEI

Professeur honoraire de philosophie et président de l’Université Populaire et citoyenne de Roubaix.

13 novembre 2012   –   14 participants

Que l’éducation soit en crise, cela est avéré et répété depuis au moins le début des années  70, d’autant plus que la crise ne cesse de s’aggraver … au fil des réformes. On finirait à la  longue par s’y habituer, voire en prendre son parti ! Mais au prix de quelles inégalités et de quelles exclusions scolaires et sociales, de quels désarrois et souffrances chez de plus en plus d’élèves et d’enseignants. ? Quant aux parents, beaucoup doutent ou désespèrent des  « bienfaits » annoncés de l’école de la République. Il importe aujourd’hui, au-delà des constats réitérés, de comprendre en profondeur l’origine et la nature de cette crise pour tenter d’en sortir. Et d’envisager ensemble quel nouveau  projet et quelles valeurs communes sont à (ré) activer pour des écoles (enfin)  « créatrices d’humanité ».

Alexandre Dumas Fils (1824-18958) disait : « Comment se fait-il que les enfants étant si intelligents, la plupart des hommes soient  bêtes ? Cela doit tenir de l’éducation. ». Déjà Platon avait conscience de la crise éducative. En Occident, voici 3500 à 4000 ans que l’on se pose des questions sur l’éducation  et on ne sait toujours pas ce que veut dire éducation. On ne parle que de crise, dans tous les domaines et à trop répéter ce mot de crise il perd tout son sens. En ce qui concerne la crise de l’éducation, on n’a pas vraiment de débat, pas de compréhension de cette crise. Plans, réformes, injonctions se suivent, nous en sommes au 15ème plan national, celui-ci sur la question de la violence à l’école. Eduquer, c’est transmettre mais quel monde allons-nous transmettre ? Un monde qui n’a pas de sens, pas d’avenir ? Les jeunes n’ont pas de visibilité, ils souffrent du blocage de la machine à penser des adultes. Les familles sont en crise, en souffrance, chacun se replie sur soi, on a peur de la souffrance des autres. Nous vivons une crise globale de civilisation. « La gigantesque crise de l’humanité n’est autre que la crise de l’humanité qui n’arrive pas à accéder à son humanité. » – Edgar Morin. Pourquoi cette crise de l’éducation ? Cela traduit un dysfonctionnement. C’est l’état qui est éducateur (programmes, formation des maîtres …) L’école républicaine annonce, promet l’égalité, le droit à la réussite pour tous. Chacun doit être mis dans une situation de réussite. En retour, une société, une école de plus en plus inégalitaire. Les écarts se creusent, de plus en plus d’exclusion. 130 à 150 000 jeunes sortent chaque année sans aucune formation ni diplôme. Ils sont considérés inaptes, pas capables. 20 % des jeunes réussissent quoi qu’il arrive, 40 % sont ni bons ni mauvais mais ils auront un diplôme, une formation qui leur permettra de s’insérer dans la société, le reste sort du système éducatif sans rien. Et dans ceux-ci, 20 % sont exclus du système : étrangers, pauvres, enfants du quart monde (xénophobie, racisme). Ceux-ci sont relégués dans les angles morts de la République. On s’habitue aux situations les plus insupportables, on ne proteste pas. C’est un échec total. Il faut changer le regard qui voit dans un enfant pauvre une pauvre enfant. Les promesses de l’école ne sont pas tenues ce qui engendre souffrances et violence. Enseigner ne suffit pas pour faire un être humain ; il faut éduquer.

De quelle réussite parlons-nous ? Réussir humainement, grandir en humanité ou réussite sociale dans la compétition, la concurrence, l’exploitation ? Jean-Jacques Rousseau, penseur de l’éducation a dit qu’on ne sait pas éduquer, on ne sait pas ce qu’est un enfant, on ne le connaît pas. Comment lui apprendre à vivre, la vie humaine avec les autres, le métier d’homme ? Perspectives : Quels repères avons-nous déjà pour mesurer la force de vie humaine, les valeurs qui pourraient nous humaniser ? Après les guerres, la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (1948) Le 1er article est la base de la société : dignité, respect de l’égale dignité, pour mon enfant comme pour un enfant du quart monde. Une seule famille, la famille humaine.  Tous les êtres humains sont doués de raison et de conscience, ils doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité. C’‘est un devoir, celui de la responsabilité de devenir un humain fraternel. « Soyez frères avec votre ennemi » a dit Jésus ; c’est difficile mais il faut travailler sur sa peur, ses angoisses pour arriver à ce grand bonheur d’être humain et fraternel avec son ennemi, avec l’autre. Le chemin est long, exigeant, il y a des échecs, des obstacles. Il faut traverser nos ombres, nos enfers.  Le seul intérêt de l’éducation c’est faire grandir en humanité. Apprendre avec les autres, à côté des autres, en lien avec les autres, la fraternité c’est concret. Ne plus classer les enfants par rapport aux uns et aux autres. Changer de cap pour une éducation « humanisante », c’est nécessaire et possible, pour cela donner toute sa chance à l’école.La Déclaration des Droits de l’Enfant est une convention qui oblige tous les états signataires à agir pour la protection de l’enfant mais surtout à reconnaître que les enfants ont des droits et qu’ils peuvent les réclamer. Entre autres, droit de réunion, d’association, d’expression, de pensée. Toutes les écoles devraient appliquer cette convention. Coopérer, réfléchir ensemble, c’est déjà de la fraternité. Exemples : Ecole Freinet – Ecole Pestalozzi (Suisse)

Bibliographie

Codirection de : « Ecole, changer de cap. Vers une éducation humanisante ».

« L’éducation en crise. Reconstruire l’école » (en préparation)

« La fraternité est-ce possible ? » dans la collection : « Brin de philo » destinée à des enfants de plus de dix ans et à leurs parents.