HISTOIRE DU CERVEAU ET DE SES REPRÉSENTATIONS.

Marcel TAPPAZ

Neurobiologiste – Directeur de Recherche CNRS honoraire.

15 mai 2013  –   27 participants

Comment nous nous représentons notre cerveau aujourd’hui est l’aboutissement d’une longue histoire qui remonte à l’Antiquité. Après les questionnements d’ordre philosophique ou religieux sur la nature et la localisation de l’âme, la méthode expérimentale devient, à partir de la Renaissance, l’approche la plus féconde pour faire progresser les connaissances et faire évoluer les idées. Localisation des fonctions cérébrales, réseaux de neurones interconnectés par des synapses, nature moléculaire des signaux élémentaires transmis par les neurones, tel est le cadre conceptuel hérité de l’histoire qui a permis l’essor des neurosciences contemporaines. Le propos de la conférence est de retracer l’évolution du regard que porte l’homme sur l’organisation de son propre cerveau depuis l’Antiquité jusqu’aux neurosciences.

La représentation du cerveau est l’aboutissement d’un long cheminement depuis l’Antiquité. A la préhistoire, 3000/4000 ans avant JC, on a retrouvé des crânes trépassés. Quelle signification attacher à cet acte ? Nous n’avons pas de réponse, peut être était ce pour se libérer des esprits. A l’Antiquité égyptienne, 17ème siècle avant JC, les papyrus médicaux font état d’une relation entre blessure du cerveau et déficit physique – mouvements, paroles – mais pas vraiment de suite : le cerveau n’est pas considéré comme un organe noble. A l’Antiquité grecque : Aristote (384/322 avant JC), localisation de l’âme, le cœur est le siège des sensations, des passions et de l’intelligence. Hippocrate (460/377 avant JC), plaisirs, joies, peines, chagrins ne nous arrivent que du cerveau. Enfin Platon (427/347 avant JC) notent 3 âmes : Appétit, le foie – Colère, le cœur – raison, le cerveau. De la constitution du monde découle la théorie des humeurs : Air = sang – Terre = bile noire, la rate – Feu = bile jaune, le foie – Eau = flegme, le cerveau – Le cerveau est un organe comme un autre qui sécrète du flegme – Encore aujourd’hui, ne dit-on pas rhume de cerveau ? 4 tempéraments découlent de cette théorie : sang = sanguin – Bile noire = mélancolique – Bile jaune = colérique – cerveau = flegmatique. A Alexandrie, 1ère dissection du cerveau à l’école de médecine suivie par Galien dans l’Antiquité romaine (131/201). Réflexion sur la nature de la vie. L’esprit souffle sous 3 formes : naturelle, le foie – vitale, le cœur – animale, les ventricules, les nerfs. Au Moyen Age, pas d’idées nouvelles, suite de Galien, on veut sauver son âme. A la Renaissance, méthode expérimentale : dissection des nerfs, du cerveau. (Le cortex : Andréas Vesale – ou Vesalius qui produit une œuvre monumentale sur l’anatomie humaine). Au 17ème siècle Descartes (1596/1650) pense le monde, dualité entre corps et esprit, dualisme cartésien. Matériel/ immatériel – mortel/immortel – Articulation corps-esprit,  l’image c’est le corps, le souvenir c’est l’esprit. Thomas Willis (1621/1675), médecin, savant, expérimentateur : l’âme est double, l’âme matérielle, corporelle, mortelle et  l’âme spirituelle, immatérielle, immortelle. Travail de dissection du cerveau : l’esprit émane du cerveau. Nicolas Sténon (1638/1686) est le 1er à reconnaître que le cœur n’est qu’un muscle et différencie la substance blanche de la substance grise du cerveau. Julien Offray de la Mettrie (1709/1751),  l’esprit est l’organisation de la matière dans le cerveau humain, l’homme n’est donc qu’un animal supérieur. Dans l’Homme-machine, il étend à l’homme le principe de l’animal-machine de Descartes et rejette par là toute forme de dualisme. Cabanis (1757/1808) enseigne le matérialisme et va jusqu’à dire que le cerveau digère les impressions et secrète la pensée comme l’estomac digère les aliments. Jean Pierre Changeux (1936), conception moniste du cerveau de l’homme (tout ce qui existe – l’univers, le cosmos, le monde – est essentiellement un tout unique) alliant niveaux moléculaire, cellulaire et cognitif – la sélection est à la base de processus vitaux plutôt que l’instruction. Début 19ème siècle : la phrénologie – Franz-Joseph Gall (1758/1828), chaque partie du cerveau correspond à une faculté – instinct de reproduction – destruction – courage – mémoire/mots – estime de soit (Connais-toi toi-même) – sens des nombres – Les conservateurs refusent que l’âme soit reliée à des organes. La crânioscopie  : palpation du crâne pour déterminer le caractères, les facultés intellectuelles. Paul Broca (1824/1880) : troubles du langage, les aphasies. Karl Wernicke (1848/1904) : 1861, production du langage – 1874, compréhension du langage et deux zones dans l’hémisphère gauche pour ces deux fonctions. 2ème moitié du 19ème siècle : les maladies neurologiques – ParkinsonAlzheimer – Travaux de Jean-Martin Charcot  (1825/1893), clinicien et neurologue à la Salpêtrière et de Jules Bernard Luys (1828/1897) : méthode anatomo-clinique (relative à l’anatomie et à la clinique, à l’étude des vivants et des morts). Hystérie, hypnose et psychanalyse. Freud (1856/1939) : regard sur la neurobiologie. Charles Darwin (1809/1882) : évolution des êtres vivants, généalogie du vivant jusqu’à l’homme. Paul Mac Lean (1918/2007) : théorie du cerveau triunique ou 3 cerveaux en un – reptilien, les instincts – paléo-mammalien, les émotions – néo-mammalien, la raison.

Essor des recherches  en neurosciences depuis les années 1950. De 1950 à 2013, 658 672 publications scientifiques ;  grandes difficultés à organiser toutes ces recherches. Les idées de 1950 sont approfondies : imagerie cérébrale – circuits neuronaux – mécanisme moléculaire. Les nouvelles idées  travaillent autour de la plasticité du cerveau : rééducation des zones abîmées.

Le cerveau est objet et moyen d’études mais jusqu’à quel  point le cerveau humain peut-il se comprendre ?