BILLET D’HUMEUR N° 6 – AVRIL 2015

Comme il est difficile de reprendre la plume après les drames de janvier et l’ambiance actuelle dans notre pays ! Que dire qui n’a pas déjà été dit ? Comment vous exhorter encore à réagir à la violence des mots, aux paroles inacceptables, aux idées d’extrême-droite et à tous les amalgames alors que moi-même je suis découragée ? Comment continuer à vous dire que le monde est plein de beauté et qu’il suffit de les apprécier chaque jour pour être heureux ? Qu’ai-je raté, pas compris dans l’évolution de notre société ? Mes belles idées, toutes les forces de ma jeunesse qui croyaient inventer le monde, le rendre plus humain, plus fraternel, qu’ont-elles réalisé ? Ce monde est le mien ! Est-ce moi qui ai accouché de ce monde de haine ? Il y a quarante ans, je militais pour une société plus fraternelle, plus juste et je pensais dans la naïveté de la jeunesse que les valeurs portées par notre devise seraient les garants de ce monde ouvert. Bien sûr, j’ai connu de cruelles désillusions et bien d’autres avec moi, militants de la première heure comme camarades d’une saison mais aujourd’hui, je remets en question toute une vie d’engagements. A quoi ont servi les luttes, tous les mots, tous les livres, toutes les batailles ? Même à l’Université Populaire, avec mes amis, quand nous voulons faire passer une idée pour que les gens pensent autrement, ne touchons-nous pas seulement un public acquis à cette idée ? Comment savoir si tout cela sert à quelque chose ? Pourquoi suis-je si démunie, moi qui dis si facilement que nous devons réagir quand nous sommes témoins d’actes ou de paroles inacceptables, face à une personne qui, tranquillement et naturellement, a des propos homophobes, islamophobes, racistes… Pourtant, je pourrais avoir des arguments pour essayer de convaincre l’autre de son erreur et je l’ai souvent fait, mais aujourd’hui, il me semble que la personne en face est plus forte, plus déterminée, plus violente et plus certaine de la légitimité de sa parole que je ne le suis moi-même. Je suis désarçonnée face à la haine et à l’intolérance. Que faire ? Où trouver le courage de continuer malgré tout ?
Le courage, il est en partie à l’UP, il est dans la rencontre avec des conférenciers qui croient en ce qu’ils font et des gens heureux de les entendre. Je pense à Abdessalem YAYHAOUI qui nous a offert une parole que l’on n’entend jamais sur le déracinement. Je pense à Soha BECHARA, une belle personne qui nous racontera Gaza. Je pense à Catherine SAMARY, militante infatigable qui viendra pour l’Ukraine. Je pense à Hélène DUMAS qui nous donnera à croire que le pardon est possible au Rwanda. Et il y a vous, mes amis, mes camarades, vous les auditeurs assidus ou d’un seul soir, vous qui me donnez le courage. Et il y a la promesse du printemps avec le théâtre de Michèle KESZEI et une belle balade autour du lac du Bourget. Non, tout n’est pas perdu, tant qu’il y a la vie … il faut croire en cette vie.

Quelqu’un m’a demandé mon âge, après avoir vu la vieillesse grisonner sur mes tempes et les boucles de mon front.
Je lui ai répondu : une heure. Car en vérité je ne compte pour rien
Le temps que j’ai par ailleurs vécu.
Il m’a dit : « Que dites-vous là ? Expliquez-vous. Voilà bien la chose la plus émouvante. »
Je dis alors :
« Un jour, par surprise, j’ai donné un baiser, Un baiser furtif, à celle qui tient mon cœur.
Si nombreux que doivent être mes jours, Je ne compterai que ce court instant,
Car il a été toute ma vie. »
IBN HAZM, écrivain andalou (Xème et XIème s.)