VOUS AVEZ DIT « VIOLENCE » ?

Jamais au cours des trois conférences, nous ne nous lancerons dans une définition du mot « violence ». Cela mérite quelques critiques du public et quelques justifications de notre part.…
Le terme « violence » est utilisé pour désigner un peu « n’importe quoi » : une agression, des heurts, une tension, un rapport de force, un sentiment d’injustice, voire toute forme de hiérarchie…
Essayons à la fois de clarifier la signification du terme et de montrer l’impossibilité d’en cerner les contours de manière rigoureuse.

Que dit le Petit Robert ? La violence est un « acte de contrainte douloureusement ressentie, visant à agir sur quelqu’un ou le faire agir contre sa volonté en employant la force ou l’intimidation ».
Définition qui a le mérite de la clarté et de la simplicité, mais qui est loin d’être pleinement satisfaisante. Pourquoi ?
• Elle est trop extensive : toute contrainte n’est pas violence. Ainsi du travailleur contraint de se lever tôt, d’exécuter des tâches fastidieuses et qui n’est pas toujours satisfait de cette obligation.
• Elle laisse entendre qu’il y a clairement un (ou des) auteur(s) et une (ou des) victime(s). Or, ce n’est pas toujours le cas : – Parce que auteur et victime peuvent n’être qu’un : suicide – dopage – drogue… – il est fréquent de la part des coupables, d’adopter ce que l’on appelle « la posture du juif » : tenter de démontrer que l’on est une victime innocente de la violence de « l’autre ». Cf. ce qui se passe au Proche orient ou en Ukraine : qui est victime de qui ? – les auteurs sont parfois difficiles à désigner : on peut, d’une signature d’un texte de loi, privée des millions de jeunes filles d’aller à l’école…
• Elle est incomplète, parce qu’elle donne à penser qu’il y a toujours un seul objectif dans l’acte de violence : contraindre. Or, l’acte violent a parfois d’autres buts : salir une personne par vengeance – détruire pour le plaisir que cela procure – se construire, par un passage à l’acte, pour frôler la mort. On parle d’ailleurs de violence « gratuite », lorsque les mobiles sont mal identifiés. Et que dire de la violence routière, puisque que dans ce cas, l’intention de contraindre n’y est pas (il y a aujourd’hui environ 40 fois plus de tués sur les routes que d’homicides volontaires…)
• La douleur ou la peur qui sont associées à la violence ne suffisent pas à la définir : – si je heurte un passant, je peux lui faire très mal, mais s’agit-il de violence ? Et le chirurgien qui vous enlève un rein, est-il violent ? – La résistance à cette douleur est d’autre part fort variable. La violence du dentiste d’aujourd’hui n’est pas celle d’hier, ni celle d’un dentiste à Kigali… – N’y a t-il pas également une « violence de la paix » lorsqu’elle est imposée par les armes ?
• Et qui doit décider qu’il y a violence (ou pas) ? La victime, son bourreau, un professionnel, l’opinion publique, les historiens ? La réponse à cette question ne va pas de soi.

Illustrations :
– combien de regards d’hommes sur des femmes, ou de gestes, de paroles ne sont pas vécus comme des actes violents par ces hommes, alors qu’ils sont, sans ambigüité, ressentis comme étant une violence par les femmes ?
– observons la difficulté, parfois, de faire reconnaître un génocide par ceux-là même qui l’ont organisé. La violence doit donc être nommée pour « être. » Dire que tel acte violent est politique et que tel acte ne l’est pas, c’est déjà peser sur les processus de légitimation d’une pratique moralement condamnable. Ce choix est donc tout sauf neutre…
• D’autre part, la violence peut avoir une dimension positive, voire constructive, libératrice, créatrice : lorsqu’elle fait partie des règles du jeu : violence dans certains sports (rugby – boxe)… – si elle est réponse à une agression (cas des actes d’auto-défense)- si elle est un moyen de reconnaissance identitaire. La Terreur de Robespierre, les attentats du Hamas, ou les attentats corses sont des actes violents. Cela ne fait aucun doute. Mais leur revendication politique, ainsi que le statut des auteurs vise à rendre ces actes violents au moins en partie légitimes. D’ailleurs, dans le terrorisme, l’enjeu de la reconnaissance politique de la violence est essentiel. – Lorsqu’elle se déploie contre l’occupation, le totalitarisme, l’oppression : les mouvements de résistance…
• Enfin, on verra – dans la 3ème conférence – qu’il existe même des formes de violence insidieuses et, selon nous, très prégnantes dans les sociétés modernes. C’est la violence symbolique. Elle ne prend pas les habits classiques de la violence contre les personnes. Bien au contraire. Elle est caractérisée par la méconnaissance, l’acceptation, la légitimation même, par la victime elle même, des souffrances qu’elle endure. Comment savoir si cette violence-là est importante, augmente ou recule, puisque, par définition elle est masquée, niée même par ses victimes et ses auteurs ?

CONCLUSION
• ne nous demandez pas de proposer une définition de la violence…
• diagnostiquer un recul ou une progression de la violence suppose, au préalable, de s’entendre sur ce que l’on désigne comme étant violent. Or, nous venons de vous le montrer, il n’y a pas de réponse à cette question qui soit consensuelle et atemporelle.
Nul ne peut donc affirmer que, en France, « la » violence recule (ni qu’elle s’accroît)

Marc Gindre